Le site de dépollution Marcel Paul devrait laisser entrevoir de nouveaux bâtiments retapés. Problèmes : les sols sont pollués, les riverains tombent malades et il est fortement déconseillé d’y faire un potager et de rester trop longtemps en raison des risques de pollution.
L’alerte a été lancée en février 2024. Le chantier de reconversion d’une ancienne usine à gaz de La Rochelle, situé rue Marcel Paul, pose question. Il va bon train, trop vite d’après l’association Robin des bois, experte dans la gestion des sites pollués.
« Cela nous catastrophe, c’est un scandale de site pollué, un scandale sanitaire de faire une dépollution à vitesse grand V qui va mettre en danger la vie des prochains usagers, alerte Jacky Bonnemains, de l’association Robin des Bois. Nous sommes habitués des sites pollués, mais c’est la première fois que l’on voit des seuils si élevés, et ce qui est encore plus inédit, c’est de commercialiser déjà les logements dans ces conditions. C’est une désolation. »
Troublante coïncidence ou lien de cause à effet ?
Depuis le début du chantier de dépollution des déchets toxiques enfouis jusqu’à cinq mètres de profondeur, en septembre dernier, plusieurs centaines de personnes (enfants et adultes) voient des troubles de la santé apparaître.
« Les symptômes observés et rapportés au Centre antipoison et de toxicovigilance et à l’Agence régionale de santé, sont des céphalées, des vertiges, des irritations ORL et oculaires, des nausées et des douleurs abdominales » énumère la préfecture.
C’est cette même préfecture qui se disait contre l’arrêt des travaux. Pourtant, beaucoup d’enfants présentaient ces symptômes. Ils sont scolarisés dans des établissements scolaires qui jouxtent le chantier, l’ensemble scolaire Fénelon l’école élémentaire Massiou. La préfecture expliquait par ailleurs que « ces symptômes sont compatibles avec l’exposition aux gaz et poussières issus du chantier, mais il s’agit aussi de signes peu spécifiques pouvant être le témoin d’autres pathologies. »
La cuve qui fait exploser les symptômes
En octobre, tout bascule. Le scandale éclate. Tout autour du chantier, les odeurs sont intenables. Les symptômes s’accroissent et surtout se multiplient. Enfants et adultes sont pris de nausées et vomissent, voire de perte de conscience, d'autres sentent leur tête exploser, sans que personne ne comprenne et ne sache pourquoi.
À quelques mètres de là, pourtant, les employés du chantier de Speed Rehab font une découverte, dont ils se seraient bien passés. Une cuve est remontée à la surface. Une citerne souterraine de 550 mètres cubes. La découverte n’est pas le contenant, mais bien le contenu.
« Des goudrons visqueux et des liquides associés », relate après coup Pierre Leménager, directeur adjoint environnement de la société mère de Speed Rehab, Brownfields. « Nous avions connaissance de cette citerne, mais le contenu n'était pas identifié. Néanmoins, nous avons pris la précaution de la traiter pendant les vacances scolaires, en concertation avec le lycée Fénelon ». Pas tout à fait, puisqu’à la rentrée scolaire, alors que le traitement n’est pas terminé, enfants et adultes retrouvent les écoles et les symptômes continuent de se multiplier. Des enfants sont admis aux urgences de l’Hôpital. Sauf que là encore personne n’est au courant de cette découverte d’hydrocarbures contenus dans cette cuve. Personne, en dehors des responsables du chantier et ceux à qui ils doivent rendre des comptes.
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« Comment peut-on découvrir de telles choses alors que les archives servent à cela ? » s’énerve Jean-Marc Soubeste, militant et élu écologiste à La Rochelle. « Non seulement le diagnostic a été fait bien trop rapidement, mais en plus, la mairie et la préfecture n’ont ni écouté les lanceurs d’alerte, ni appliqué le principe de précaution. L’ARS n’a pas joué son rôle de protection vis-à-vis de la population. Tout le monde a laissé les enfants reprendre les cours alors qu’une source de pollution a été décrétée. Je dénonce l’irresponsabilité des élus de la mairie et de la préfecture et les tiendrais pour responsable en cas de drame ».
Sols pollués de déchets toxiques
De ce site émanent du benzène et du naphtalène.
« Comme nous avons senti des odeurs de goudron dès le début de septembre, nous avons demandé des explications à la société de dépollution, explique Eric Portier, élu CSE dans l’établissement scolaire Fenelon. Lors d’une réunion en septembre, la société qui s’occupe de la dépollution nous a expliqué que les produits polluants dans les sols étaient du benzène et du naphtalène ».
C’est ici qu’une usine à gaz fournissait le chauffage et l’éclairage public aux Rochelais pendant plus d’un siècle. Du charbon y a été distillé, générant des fortes pollutions industrielles avec les traditionnels polluants : hydrocarbures, benzènes, cyanure et métaux lourds.
Des déchets toxiques ont donc été enfouis durant des années sur ces terres exploitées par une société privée à partir de 1840, puis par Gaz de France entre 1946 et 1961 avant d’être à l’abandon.
D’après Centre de Lutte Contre le Cancer, « l’exposition au benzène peut entraîner des effets aigus et chroniques (c’est-à-dire qui persistent dans le temps), cancérogènes ou non. L’atteinte de la moelle osseuse constitue le premier signe d’une toxicité chronique susceptible d’évoluer vers une leucémie. Les propriétés cancérogènes du benzène sont connues depuis longtemps. Le CIRC le classe parmi les cancérogènes avérés pour l’homme ».
D’après le ministère du Travail, « Le benzène est connu pour sa forte toxicité. Les voies de pénétration sont en premier lieu respiratoires, en second lieu cutanées. Intoxication aiguë : (exposition courte, inhalation de vapeurs à forte dose) sont céphalées, nausées, excitations nerveuses pouvant être à l’origine de facteurs dépressifs, narcose, convulsion, décès (en cas d’exposition sévère) ».
L'association Robins des Bois alertait sur la volatilité des particules lors de la dépollution des sols contaminés aux hydrocarbures. Ça, c’était en février 2024.
« La distillation d’une tonne de charbon produisait 300 à 350 m3 de gaz, mais aussi 50 à 70 kg de goudron benzénique cancérogène (…) , les premières excavations déclenchent des pollutions atmosphériques difficilement supportables par les populations, lit-on sur le communiqué de l'association Robins des Bois, datant du 2 février 2024. Dans la majorité des cas, même avec l’installation d’un chapiteau sous dépression d’air et avec une filtration par charbon actif, les fouilles, les transferts de goudron par camions vers des installations dédiées exposent les riverains et usagers à des nuisances insupportables et à des risques sanitaires. Les enfants, les asthmatiques et autres personnes à risque, les femmes enceintes ou en âge de procréer sont les plus exposés. » Malheureusement, l'association n’a pas été écoutée.
Des seuils de toxicité non adaptés aux populations non protégées et aux enfants
Le terme employé par Jean-Marc Soubeste (militant et élu écologiste à La Rochelle), ne peut être plus parlant. Une catastrophe. Les seuils d’alerte dépassent les seuils de toxicité admis pour le benzène. Mais ce n’est pas tout. Le plus gros problème, c’est que jusque-là, mairie, préfecture, société en charge du chantier, DREAL, ARS, centre antipoison, parlent de seuils qui ne sont pas adaptés aux populations non protégées et en particulier les enfants. Il faudra attendre le 9 décembre pour que cette information soit reconnue publiquement par l’entreprise Speed Rehab.
« Les seuils ont été trop hauts et n’étaient pas calibrés pour des populations non protégées et en particulier des enfants, reconnaît un dirigeant de Speed Rehab. Nous allons les réadapter dans les prochaines semaines ».
Et pourtant, ce sont ces populations non protégées et ces enfants qui ont été les premières victimes de ces émanations toxiques polluantes.
« Depuis le début de la rentrée scolaire, on sentait le goudron, on se doutait que cela venait du chantier, mais cela ne nous inquiétait pas, car on se disait que s’il y avait un danger, depuis le temps que cela sentait on nous aurait alerté, regrette une maman d’élève. Mais la semaine au retour des vacances de la Toussaint, l’odeur était gênante. Pour être cru, on s’est dit « ça pue, c’est insupportable ». On a dû enchaîner les Dolipranes, on avait les yeux irrités, des vertiges. Le soir même, sur le groupe des parents d’élèves, nous nous sommes fait la remarque que nos enfants sentaient les hydrocarbures. Le lendemain, on a tous retiré nos enfants de l’école. Et je sais que l’autre école a fait de même ».
Le mouvement de panique prend de l’ampleur. Mais les parents d’élèves n’ont toujours aucune communication de la part de la mairie, ni des écoles.
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Suspension du chantier mais pas des symptômes
Le 13 novembre, sous la pression des parents et du personnel des établissements, le préfet et la mairie suspendent le chantier, mais continuent de nier la dangerosité de ce dernier. Les établissements scolaires ont fermé leurs portes quelques jours, mais reprennent rapidement.
Jeudi 28 novembre, les résultats sont si parlants que le déni ne peut subsister. « La corrélation est faite entre les émanations du chantier et les symptômes, déclare le docteur Magali Labadie toxicologue au Centre antipoison et de toxicovigilance de Bordeaux. Il y a intoxication, j’en conviens. En revanche, il n’y a pas eu de cas prouvé d’intoxications aiguës, c’est-à-dire pas d’hospitalisation ; même si mon analyse est incomplète car les données que j’ai ne sont que partielles, il manque l’analyse des poussières et d’autres polluants présents sur le site. Néanmoins, j’en conclus qu’en l’absence d’intoxications aiguës, les enfants peuvent revenir à l’école ».
Apparemment rien d’alarmant selon le centre antipoison, qui, même s’il admet qu’il y a eu des dépassements de seuils d’alerte à plusieurs reprises, il n’y a pas eu de « sur-risques ».
« On voit dans les analyses des seuils anormaux qui ont représenté des risques mais l’exposition des personnes n’a pas été suffisamment longue pour des sur-risques, explique le Dr Magali Labadie ».
C’est l’incompréhension totale d’une telle conclusion.
« C’est complément aberrant de dire aux enfants et au personnel des écoles de retourner dans les établissements scolaires alors qu’ils ont des symptômes à chaque fois qu’ils retournent sur site alors que le chantier est suspendu, réagit Julie, du collectif Zérotoxic. Cela veut bien dire qu’il y a d’autres éléments toxiques à chercher, en plus du benzène. Il faut impérativement qu’un dôme de protection soit installé au-dessus du chantier pour que lorsqu’ils vont évacuer les terres polluées des bennes (qui sont actuellement à l’air libre) et les ferrailles ultra-pollués ».
Élus et État admettent avoir commis des erreurs
Le 9 décembre, lors d’une réunion entre tous les acteurs, le ton change. La préfecture et la mairie admettent avoir commis des erreurs sur la conduite du chantier de dépollution et une date est trouvée pour l’évacuation de tous ses déchets toxiques.
« Il y a eu des erreurs » admet le maire de La Rochelle.
« J’ai bien conscience que le lien de confiance entre l’Etat et les populations concernées est rompu, surenchérit Brice Blondel, le préfet de Charente-Maritime. Le chantier n’a pas été abordé par le bon bout, car depuis le début, sa mise en place était strictement abordée de façon « réglementation ». Depuis jeudi, on a décidé de se mettre dans une posture d’écoute, une posture de concertation (…) on décide de choses très concrètes tous ensemble, on en discute, et une posture de transparence totale, il est essentiel que tout ce qu’on sait tout le monde y ai accès ».
Des mesures renforcées de la qualité de l’air doivent être mises en place, des analyses des poussières, des dispositifs visant à ce que ces poussières ne divaguent pas dans l’air, des brumisateurs, … et le chantier ne reprendra pas avant qu’une analyse des sols soit réalisée, selon le préfet.
Mais cela ne suffit pas au collectif Zéro Toxic Agir Ensenble (constitué par les riverains du chantier), qui voit bien plus loin, mais aussi plus concrètement. Aujourd’hui, rien n’est mis en place pour le suivi médical et psychologique des victimes.
« Cela fait des semaines que nous demandons un suivi médical de la cohorte des personnes qui ont eu des symptômes et ceux qui en ont toujours, mais rien n’est fait, déplore Julie du collectif Zéro Toxic Agir Ensemble. Idem pour une cellule psychologique ! Les gens ont peur, les gens sont inquiets et rien n’est fait alors que c’est une vraie urgence ! »
Un projet Speed Rehab - Vinci : dépolluer vite, vendre vite, déguerpir vite
« Les victimes seront aussi les futurs habitants des logements si le chantier de construction est maintenu, conclut Julie, du collectif Zéro Toxic Agir Ensemble. Nous exigeons son arrêt total, c’est absurde d’imaginer des personnes vivre ici, alors même que la préfecture émet des réserves sanitaires. »
Ces pollutions de l’air et des terres semblent être problématiques à l’avenir. Quand bien même le chantier serait terminé et les nouveaux logements construits. Dans un arrêté préfectoral, des restrictions mettent en garde :
- Il est interdit d’avoir des jardins potagers et des arbres fruitiers / à baies en pleine terre
- Les terres pouvant être en contact avec les résidents et/ou les travailleurs doivent être recouvertes par des matériaux d’apports sains externes au site (sur une épaisseur minimale de 30 cm), y compris le square public)
- Un grillage avertisseur doit être installé afin de délimiter la terre saine et les terres polluées subsistantes
- La restriction à usage résidentiel à durée limitée de cinq ans du bâtiment destiné à accueillir une résidence étudiante
- Il est interdit d’utiliser les eaux souterraines
- Il est interdit d’infiltrer les eaux sauf à démontrer que cette infiltration n’induit pas une mobilisation de la pollution résiduelle vers les sols et/ou les eaux souterraines
- Les canalisations pour amener l’eau potable devront être en matériaux non-poreux et non-perméables, ou installées dans les sous-sols après décaissement préalable des terres polluées en place
- Les sols devront systématiquement être recouverts par des dalles de béton, bitume ou apport de terre saine sur 30 cm.
- Pour un renouvellement de l’air, les locaux résidentiels devront être en permanence ventilés, au minimum, de 0,3 volume par heure (soit la ventilation minimale obligatoire) et le parking et les sous-sols de 3 volumes par heure
« Vous vous rendez compte qu’ils disent à nos enfants de revenir à l’école mais qu’ils recommandent à des adultes de ne pas rester plus de cinq une fois que le site sera dépollué, s’énerve une maman d’élève. En gros c’est « Venez, mais ne restez pas plus de cinq ans sinon vous risquez un cancer ». Ça me dégoûte car les agents immobiliers ne préviennent évidemment pas les futurs habitants ».
Autant de restrictions et d’interdictions qui n'apparaissent pas sur la fiche promotionnelle de commercialisation du promoteur Vinci Immobilier, dont la société Speed Rehab est la filiale.
« Vertueuse, cette réalisation limite l'étalement urbain et contribue à la désartificialisation des sols à la faveur d'un espace végétalisé de plus de 4 220 m², soit plus de 40 % de la surface totale. Avec son architecture sobre et épurée Le Parc de l'Envolée s'intègre parfaitement dans ce quartier historique. Son coeur d'îlot végétalisé prisé en centre-ville se compose d'espaces arborés, de cheminements doux et d'un jardin potager. Dans cet écrin la résidence propose des appartements de standing du studio au 4 pièces et des maisons 3 ou 4 pièces avec un jardin privatif. Tous les appartements visent la certification NF Habitat répondant ainsi à des critères de qualité supérieure. »
Publicité mensongère ou non, ce projet verra-t-il vraiment le jour ? Affaire à suivre.
Une grande manifestation est organisée le samedi 19 décembre.