Le secteur de la construction est l'un des milieux les plus polluants. Des techniques et des éco-matériaux sont donc développés pour des constructions et rénovations plus vertueuses. En Limousin, la filière chanvre se développe progressivement. Cette plante est facilement produite et utilisée comme isolant particulièrement efficace. Explications.
Dans l’exploitation de Peyrelevade qu’il a hérité de son père, Geoffrey Broussouloux a décidé de se diversifier de manière originale. En plus d’élever des vaches, il cultive du chanvre. "J'ai cherché une culture rémunératrice et surtout bonne pour les sols qui demande peu d'intrants. On est en bio, on n'utilise aucun produit phyto, ni aucun engrais".
Une méthode gagnante
Depuis six ans, il cultive donc cette plante aux multiples utilisations sur une dizaine d’hectares. Premier bénéfice environnemental, Geoffrey remarque que lors de la rotation des cultures, les terres sur lesquelles a poussé le chanvre sont beaucoup plus productives.
"Le blé planté à la suite du chanvre a eu un bien meilleur rendement. C'est lié à l'action de la plante, dont les racines pivot vont chercher profondément l'eau. Elle ne craint donc pas les sécheresses et ça ameublit les sols. Le chanvre absorbe également les métaux lourds du sol qui sont ensuite emprisonnés dans la plante".
Haché lors de la récolte, le chanvre est stocké avant de passer dans une drôle de machine. Sous le hangar vers lequel il nous entraîne, une immense structure, un immense assemblage hétéroclite de plusieurs machines agricoles, occupe une grande partie de l'espace. "Cette machine sert à défibrer le chanvre, à séparer le bois de la laine et à enlever de la poussière".
Bricoleurs, Geoffrey et son frère ont patiemment construit cet engin pour éviter de payer les 250 000 euros que coûte la machine traditionnelle. Geoffrey actionne quelques boutons, lance le moteur d'un tracteur qui fournit l'alimentation électrique et, dans un vacarme assourdissant, la machine prend vie. Une quantité phénoménale de poussière s'en dégage. À tel point qu'il est indispensable de revêtir un masque pour éviter que tout cela n'aboutisse dans les poumons. Geoffrey ne cesse d'ailleurs de pester contre son frère qui ne veut pas s'équiper.
"On prend le chanvre haché et on le met dans l'épandeur. On a remplacé le hérisson de l'épandeur par un démêleur qui sert à aérer la paille pour qu'elle soit mieux triée. Après ça tombe sur des secoueurs de moissonneuse-batteuse qui gardent la laine en suspens. La chènevotte passe à travers, elle tombe sur le tapis dessous et vient s'agglomérer en tas au pied de la machine".
Un peu plus loin, un long conduit crachote des pelotes de laine sur un autre tas qui s'agrandit à vue d'œil. Tout l'enjeu de la construction de cette machine était de ne pas seulement produire le chanvre qui serait traité et conditionné ailleurs. Geoffrey cherche à transformer sur place pour accaparer la valeur ajoutée. Une valeur ajoutée générée par deux produits importants : la laine et la chènevotte (petits fragments de paille de chanvre).
Toucher les professionnels
Ces deux ingrédients servent pour l’isolation des bâtiments. La laine peut être pulvérisée dans les combles. La chènevotte entre dans la composition des enduits chaux-chanvre ou terre-chanvre. Pour l’instant, seuls les particuliers qui font de l’autoconstruction et de la rénovation viennent s’approvisionner, mais l’idée, c'est de pouvoir fournir aussi les professionnels.
"Dans l'avenir, on veut toucher les professionnels, voire les marchés publics. La rénovation de bâti ancien pour avoir un matériau bio sourcé, très agréable à vivre et non polluant".
Chez les professionnels justement, Nicolas Clavereul, maçon de son état basé près d'Ahun, est déjà convaincu. Il a mis du chanvre partout chez lui. Dans sa maison en granite typiquement creusoise, toutes les parois comportent du chanvre à différents degrés de finition. La chaleur ressentie est très agréable dans le logement seulement chauffé par un poêle. Sans forcément parvenir à égaler les performances de la laine de bois, le chanvre est utilisé selon l'épaisseur, soit en correcteur thermique, soit en isolant.
Devant un mur recouvert de chanvre appliqué en banchage, il explique. "Ce qu'on apporte avec ce matériau-là, c'est une meilleure gestion de l'hygrométrie de la pièce. Il y a aussi le côté inertie qu'on va ramener dans la pièce. Couplé à un enduit chaux-chanvre qui emmagasine la chaleur, le ressenti n'est pas du tout le même. D'un placo classique avec de la peinture émane une sensation de paroi froide qui n'est pas du tout la même".
Nicolas a découvert le chanvre en 2009 en arrivant en Creuse. Son patron de l'époque l'utilisait déjà. Depuis qu'il est à son compte, il en a fait une de ses spécialités et les affaires marchent bien. Son agenda est déjà bouclé pour toute l'année 2025. Il nous entraîne sur un chantier en cours, à deux pas, chez son voisin. Ici, il a utilisé une autre technique encore plus vertueuse en mélangeant le chanvre à la terre. L'application se fait avec une machine à projeter.
"C'est de la projection en terre chanvre, c'est pour ça qu'on a cette couleur un peu chaude de la terre. On a remplacé le liant. Au lieu de la chaux, on a utilisé la terre, de l'argile. Ce qui est intéressant, c'est le côté énergie grise (l'énergie nécessaire à la production du matériau de construction). La laine de bois, ou la laine de verre, ça demande une consommation en énergie assez énorme. Là, le terre chanvre, on est sur une énergie grise très faible".
Un label ?
Pour que les professionnels utilisent le chanvre produit localement, il faut maintenant parvenir à le faire labelliser. Rassemblés dans une association baptisée Lo Sanabao une vingtaine de producteurs limousins s’y emploient. Ils cultivent déjà 43 hectares de chanvre et cherchent à développer encore plus la filière.
"On a besoin d'isoler nos maisons, de travailler différemment avec des matériaux biosourcés locaux. C'est pour ça qu'on essaie d'implanter des unités de défibrage, comme celle de Geoffrey, pour que les agriculteurs puissent l'acheter à plusieurs, pour qu'ils transforment eux-mêmes la paille et s'approprient la valeur ajoutée. Le drame de l'agriculture à l'heure actuelle, c'est qu'on les cantonne à un rôle de producteur vendeur" explique Nicolas Lévy-Frébault, animateur de Lo-Sanabao et par ailleurs président du réseau chanvre Nouvelle-Aquitaine.
Autrefois présent sur plusieurs milliers d’hectares en Limousin, le chanvre pourrait donc faire son grand retour. La surface cultivée ne cesse d’augmenter.
