Avorter loin des villes : des progrès depuis cinquante ans, mais toujours de nombreux obstacles pour les femmes

Il y a cinquante ans, le 17 janvier 1975, la loi Veil dépénalisait l’avortement. Un progrès immense attendu par les femmes. Quelle est la prise en charge en Limousin depuis ? Dans les zones de désert médical comme en Creuse, les progrès sont là, mais les difficultés demeurent.

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En 2023, 243 623 IVG ont été réalisées en France. 191 en Creuse. Un chiffre en hausse par rapport à 2022. Pourtant, selon la dernière enquête du Planning familial, 82% des femmes ayant eu recours à un avortement reconnaissent qu'il y a encore des freins.

"J’ai toujours en tête ce qui s’est passé"

À 75 ans, Marie-Christine se souvient de son avortement. Avec pudeur, elle nous le raconte. "C’était dans une clinique à Londres. C’était en 1972. J’avais 21 ans. C’est traumatisant, mais j’ai eu la chance d’être dans une famille très ouverte et aimante. Ma mère m’a accompagnée en Angleterre."

Ce qui a profondément marqué cette femme, c’est la souffrance endurée par certaines de ses amies qui ont dû avorter clandestinement en France à l'époque.

Une de mes amies a accouché à Limoges avec une faiseuse d’anges, je l’accompagne et je vois tout. J’ai toujours en tête ce qui s’est passé, toute cette grande souffrance morale et physique.

Marie-Christine

Limougeaude et militante pour les droits des femmes

Pour cette militante féministe, le 17 janvier 1975 reste gravé dans sa mémoire : "C'était un soulagement et un grand bonheur pour les femmes de ma génération et pour les générations futures."

Répartis en France, des centres dédiés à l'avortement existent. Celui de Creuse, l'unique se trouve au Centre Hospitalier de Guéret. © France 3 Limousin

"L’avortement fait partie de la vie de plein de femmes"

En cinquante ans, les progrès sont immenses. La dernière en date, le 8 mars 2024, l’accès à l’IVG a été inscrit dans la Constitution : "toute femme peut recourir librement à l’IVG".

Des centres dédiés ont vu le jour partout en France, comme celui de la Creuse, basé à Guéret. C’est le seul endroit où il est possible d’avorter dans le département. Il se trouve au sein d’un service de gynécologie obstétrique au centre hospitalier, comme la loi l’exige : chaque service gynécologique doit avoir la possibilité de réaliser des IVG.

Il y a une chambre d’hospitalisation classique avec un lit. "Ça permet d’avoir un accompagnement, un ami, un conjoint, un parent, afin de ne pas être seul", explique Valérie Picot, sage-femme au centre d'orthogénie du centre hospitalier de Guéret.

En Creuse, le centre d’orthogénie connaît une hausse du nombre d’IVG : 191 en 2024, contre 146 il y a cinq ans, soit une hausse de 30%. "L’avortement, cela fait partie de la vie de plein de femmes. Il peut y avoir des moments où on a eu un désir de grossesse, mais la vie fait que l’on ne la souhaite plus. Il peut y avoir des échecs de contraception. L’IVG résulte parfois d’une mauvaise information sur la manière de se protéger. Par exemple, certaines femmes privilégient une méthode naturelle peu efficace en comptant les jours pour tenter de contrôler ses cycles. Mais le problème de la contraception n’est pas le premier facteur", détaille la Docteure Lenaïc Mazé, médecin généraliste du centre hospitalier de Guéret.

Une chambre supplémentaire serait nécessaire pour pouvoir répondre confortablement à la demande. Aujourd’hui, les professionnelles doivent parfois intégrer une chambre à la maternité quand la place manque dans le service. L'IVG, un droit garanti, mais son accès est plus difficile en milieu rural.

"Le principal frein finalement, c’est le tabou. Le fait d’avoir peur d’en parler autour de soi et d’être accompagné. Souvent les femmes le font seul." Ninon Brouard, salariée au planning familial © France 3 Limousin

Quels freins ?

L’accès à l’avortement peut parfois être difficile dans le département. "C’est compliqué d’accéder à l’IVG en Creuse comme de se faire arracher une dent, parce qu’on est dans un désert médical", confie la déléguée départementale aux droits des femmes et à l’égalité (23), Lorraine Couture.

L’accès géographique peut être compliqué parce qu’on est le seul centre en Creuse. Il y a des parties en zone blanche pour l’accès aux points médicaux, je pense beaucoup à la Courtine ou au plateau de Millevaches où on a rapidement du kilométrage à faire.

Valérie Picot

Sage-Femme au centre d'orthogénie du centre hospitalier de Guéret

Mais heureusement, le centre d’orthogénie fait tout pour que les personnes puissent venir et repartir, explique Ninon Brouard, conseillère conjugale et familiale au Planning familial de la Creuse. "Au planning, avec les bénévoles, on fait en sorte d’aller chercher les femmes si besoin." Le planning familial, seul lieu pour l’écoute, l’orientation, l’accompagnement des femmes en Creuse, est basé à Guéret. Pour Ninon Brouard, un autre frein persiste.

En Creuse, le centre d’orthogénie de Guéret connaît une hausse du nombre d’IVG : 191 en 2024 contre 146 il y a 5 ans soit une hausse de 30%. © France 3 Limousin

Le principal frein finalement, c’est le tabou. Le fait d’avoir peur d’en parler autour de soi et d’être accompagnée. Souvent les femmes le font seul.

Ninon Brouard

Conseillère conjugale et familiale au Planning familial de la Creuse

Les préjugés persistent, selon Lorraine Couture. "Une femme qui y a recours est encore considérée comme une femme facile ou comme une mauvaise fille, que ce soit en milieu rural ou en milieu urbain. Alors que plus d’une femme sur trois avorte au cours de sa vie, les 18 – 25 ans pensent toujours qu’on ne peut pas avoir accès à l’IVG. Malgré cette loi, il y a toujours cette espèce de légende urbaine pour dire que finalement, on n’y a pas accès. J’arrive du Val-de-Marne et c’est la même chose." 

Lorraine rêve d’améliorer l'accès à l'IVG, grâce à plus d’itinérance des équipes du planning familial, mais aussi grâce à des taxis solidaires ou un bus gynécologique qui permettrait un meilleur suivi.

Selon le dernier rapport parlementaire sur l’accès à l’IVG daté de 2020, en Creuse, en Corrèze et en Haute-Vienne, plus de 70% des IVG sont réalisés dans le département de résidence.

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