Après des condamnations pour lesquelles il a déjà payé sa dette en prison il y a longtemps, cet homme est bloqué en Creuse depuis 25 ans. Dans une tribune, ses avocats appellent à un sursaut des juridictions concernées pour en finir avec une situation qu'ils qualifient d'"ubuesque".
"Je veux que la France entière soit au courant qu’il y a un homme en Creuse qui en train de se faire écraser en se faisant bafouer ses droits fondamentaux."
Ces mots, Garbis Dilge, les prononcent depuis sa chambre d'hôpital, à Sainte-Feyre. Sa voix est à peine audible, affaiblie par la maladie qui le ronge. Atteint d'une pathologie très grave qui met son pronostic vital en danger à court terme, Garbis Dilge, 68 ans, le plus ancien assigné à résidence du territoire français, met toute l'énergie qu'il lui reste dans son combat pour recouvrer sa liberté. "Tout le monde me dit que ce dossier ne peut être que gagnant. Le problème, c'est que je suis dans un état catastrophique, même si les médecins m'ont donné de l'espoir."
Dans une tribune publiée le vendredi 31 janvier dans le journal L'Humanité, ses avocats appellent à un sursaut de la justice : "Monsieur Garbis Dilge voit sa vie disparaître peu à peu sans que la justice ait les moyens de le rétablir, au moins symboliquement, dans sa dignité la plus élémentaire."
Car l'histoire de M. Dilge ressemble à un inimaginable imbroglio judiciaire digne d'un roman de Kafka. Condamné dans les années 1980 pour des faits de banditisme, de détention d'armes et de stupéfiants, il purge sa peine, puis fait l'objet d'un arrêté d'expulsion en mars 1994. Mais en tant qu'Arménien de nationalité turque, il bénéficie d'un statut de réfugié qui le protège, raison pour laquelle il est assigné à résidence en Creuse depuis plus de vingt-cinq ans.
Pour qu'il regagne sa liberté, ses avocats doivent parvenir à faire tomber, à la fois, l'arrêté d'expulsion et les peines d'interdiction du territoire français. Depuis des années, les différentes institutions concernées se renvoient la balle.
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"L'administration pourrait tout à fait enlever les obligations de pointage à la gendarmerie"
Interpellée en décembre dernier par Jean-François Coulomme, député LFI de la Savoie et soutien de M. Dilge, la préfète de la Creuse lui rétorquait que cette assignation à résidence découle des deux interdictions définitives du territoire français prononcées par la justice à l'encontre de M Dilge."Ces procédures restent en vigueur et ne peuvent être levées que par une procédure judiciaire, non administrative", répondait alors Anne Frackowiak-Jacobs, dans un courrier adressé au député.
Pour M. Dilge, l'espoir réside aujourd'hui dans deux procédures distinctes : une requête en relèvement des peines a été déposée en mars 2024 par le cabinet Bourdon & Associés devant le tribunal judiciaire de Sens pour lever les interdictions de territoire. À ce jour, la procureure de la République de Sens n'a toujours pas rendu son avis.
La deuxième procédure vise à faire tomber l'arrêté d'expulsion. En juin dernier, les avocats de M. Dilge ont saisi le tribunal administratif de Limoges contre le refus des préfectures de la Creuse et de l'Eure d'abroger cet arrêté. Contacté, le tribunal administratif de Limoges nous fait savoir que le dossier est en cours d'instruction et qu'aucune date d'audience n'a encore été fixée.
Toutefois, ses avocats font remarquer que les conditions d'assignation à résidence du sexagénaire pourraient être assouplies. "L'administration pourrait tout à fait enlever les obligations de pointage à la gendarmerie ou même étendre le périmètre de l'assignation pour lui simplifier la vie, ce qu'elle ne fait pas", pointent Me Vincent Brengarth et Me Jim Villetard.
Interrogée à ce sujet, la préfecture de la Creuse ne fait pas de commentaire.