Une mobilisation s'est créée depuis quelques semaines autour du sort de plusieurs travailleurs agricoles à Lamothe-Montravel en Dordogne. Logés dans des pièces insalubres, certains n'auraient pas touché leurs salaires depuis six mois. L'un d'entre eux aurait été menacé de mort en réclamant son dû. Une enquête de gendarmerie a été ouverte. L'employeur mis en cause nie les accusations.
Ce 24 février, la préfecture de Dordogne confirme qu'"une enquête de gendarmerie a été ouverte sous l'égide de la procureure de la république de Bergerac", et précise qu'elle ne fera pas de commentaire. Les faits semblent suffisamment graves pour que les services publics s'y intéressent.
Ce jeudi, à l'appel de Christophe Delgado, des associations, médias et militants étaient conviés à constater les conditions de logement et de travail de neuf travailleurs viticoles marocains, venus en Dordogne l'été dernier. Leur employeur leur doit plusieurs mois de salaires.
Ils ont tous touché 1500 euros au mois d'août et depuis, plus rien.
Christophe Delgado, association Coeur de bastideRédaction web France 3 Aquitaine
"Menacés avec des fusils"
Christophe Delgado est spécialiste en droit du travail à l'association Cœur de Bastide et a déjà eu affaire avec cet employeur. L'alerte que lance l'association porte, cette fois particulièrement, sur la situation de ces neufs travailleurs, arrivés en juillet et dont les salaires n'ont pas été versés depuis septembre.
Le militant associatif confirme qu'ils sont en situation régulière, en possession de cartes de séjour françaises et espagnoles, et qu'ils assumaient leur travail jusque-là. "Ils ont travaillé dans des châteaux, dans le Monbazillac, à Pessac-sur -Dordogne, à Castillon"... "Ils ont tous des papiers jusqu'en 2025".
D'après M. Delgado, l'employeur mis en cause par les salariés "avait, dans le temps, une entreprise viticole, "Travaux viticoles d'Aquitaine", passée en liquidation judiciaire en août dernier".
"Il a monté autre chose avec un numéro de Siret qui ne correspond pas du tout à l'activité qu'il fait faire. Il est coutumier du fait (...) Ça correspond à "locations de terrains". Ça n'a rien à voir avec des travaux viticoles", dénonce-t-il. Pourtant, l'homme continuerait de proposer de la main d'œuvre viticole aux châteaux, malgré tout.
Et dernièrement, comme ces neuf travailleurs n'étaient toujours pas payés, ils se sont rendus à deux pour réclamer leurs salaires, de cinq mois. C'est là qu'ils ont été "menacés avec des fusils", d'après le bénévole. C'est pourquoi, ils ont porté plainte, ce 23 février, à la gendarmerie de Vélines.
Joint par nos soins, l'employeur Michel Garcia, un agriculteur âgé de 60 ans, donne une toute autre version. Il se dit "sous la menace d'une quinzaine de personnes qui squattent un bâtiment qui appartient à son épouse" et qui se situe à 300 mètres de son habitation.
"ils m'ont menacé physiquement à plusieurs reprises, ils ont tapé ma femme et mon fils. nous avons peur d'eux et nous sortons de la maison que rarement. L'endroit où ils squattent est une zone de non droit et je ne peux pas y rentrer" .
Michel Garcia assure par ailleurs que ces personnes de nationalité marocaine sont situation irrégulière en France. "Ils ont des titres de séjours espagnols et avaient obtenu une autorisation de travail saisonnier pour six mois l'été dernier. Au début, je les ai fait travailler par empathie, puis par peur. Toutes leurs accusations sont fausses".
Michel Garcia devrait être entendu par les gendarmes de Vélines la semaine prochaine. il dit se rapprocher d'un avocat pour se défendre. "J'ai bientôt 60 ans, je n'ai jamais eu ce genre de problème avant. J'ai une invalidité à 100 %, mais je vis comme agriculteur avec quelques moutons, et des prestations agricoles".
Logements insalubres
Face à cette situation déjà complexe, l'association s'est ensuite intéressée ensuite à leur logement. Ils étaient, à leur arrivée en juillet, logés dans des Algecos fournis par l'employeur, pour 150 euros mensuels. Mais, avec le froid, le patron leur a proposé d'utiliser un bâtiment, une ancienne coopérative, désaffectée et délabrée.
"Il y a des câbles partout. Moi, j'ai vu des rats, des risques de feu électriques. Il n'y a rien aux normes, des carreaux cassés..."
Christophe DelgadoRédaction web France 3 Aquitaine
Un site qui, malgré leurs tentatives d'aménagements précaires, ne représente pas un logement décent. Là aussi, l'association constate l'insalubrité du site où ils s'abritent depuis bientôt six mois. L'association a également alerté la mairie de Lamothe-Montravel à ce sujet. "Je souhaiterais que la MSA, l'URSAFF fassent des contrôles...", affirme Christophe Delgado.
En revanche, il s'inquiète du devenir de ces personnes, si le bâtiment doit être fermé par sécurité, car "il y a une mesure d'urgence !"
"Je me suis fait piéger par lui"
Rachid, 41 ans, souhaite témoigner. Son frère fait partie de ces neuf personnes. Il est également suivi par l'association. Lui aussi, il a porté plainte dernièrement contre ce même employeur, car il a, lui aussi, été menacé. C'était en mai 2022. A l'époque il explique avoir déjà porté plainte à la gendarmerie de Vélines. Selon lui, les militaires, après avoir pris notes de ses explications, n'auraient pas validé cette plainte.
En possession de papiers espagnols, il aurait pourtant expliqué son histoire : l'employeur, le rencontre en Espagne (à 60 km de Madrid), en 2021, où il travaille et où est restée sa femme. D'après Rachid, il lui fait miroiter un emploi CDI, en France. Il lui dit qu'il est en capacité de faire faire des papiers après un visa de touriste, pour être dans les règles, mais qu'il s'occupe de tout, connaît du monde. "Je me suis fait piéger par lui".
A cause de lui, j'ai perdu mon emploi en Espagne. Il m'a mis dans une situation difficile... Je suis perdu !
Rachid, travailleur marocainRédaction web France 3 Aquitaine
Rachid le croit, et le suit. Comme c'est "un peu compliqué" et "pour aller plus vite", l'employeur lui demande 9 000 euros. "J'ai la preuve que j'ai retiré 9 000 euros en liquide sur mon compte. Jamais il ne m'a donné quelque chose". "Il est malin", ponctue Rachid, dégoûté.
En fait, Rachid n'a reçu que les deux premiers mois de salaires à cette époque. Ensuite, il estime que l'employeur le "tenait", selon lui, avec cette promesse de papiers, le faisant travailler très occasionnellement, malgré tout, et en le payant, également en liquide.
Menacés d'un fusil
En mai 2022, alors que Rachid continue de demander ses papiers, l'employeur veut mettre fin à l'histoire. Il lui demande de quitter le logement . "Il m'a dit : "tu ne m'as rien donné, je ne te connais pas". Il a sorti le fusil", poursuit Rachid.
Ce 23 février 2023, accompagné par une personne de l'association, il a à nouveau porté plainte, en même temps qu'un autre compagnon d'infortune qui venait, lui, d'être menacé par le fils de l'employeur pour avoir réclamé six mois de salaires dont il était redevable. Sans grand espoir.
Les gendarmes, ça fait longtemps qu'on essaie de trouver une solutions. Ils ne font rien.
Rachid, travailleur viticoleRédaction web France 3 Aquitaine
Pourtant, à écouter Rachid, les exemples sont nombreux autour de cet employeur. Selon lui, des dizaines de litiges n'ont jamais été réglés. Des personnes escroquées qu'on dissuade de porter plainte. Sûr de lui, l'employeur leur aurait même dit avoir "le mari de sa sœur à la gendarmerie de Vélines, et que ça ne servait à rien".
Liberté, égalité...
Mais s'il voulait travailler en Espagne ou en France, c'est aussi parce que "dans mon pays, il n'y a pas la loi. On est ici protégés par la loi, européenne ou française. Liberté égalité etc... Mais ce que j'ai trouvé avec cette personne... Ce monsieur-là, il est hors-la-loi. Il est très très malin. Il n'y a personne qui peut l'arrêter".
Aujourd'hui, Rachid dit reprendre espoir d'être enfin entendu, grâce à l'action de la procureure, comme ses compatriotes floués. Il souhaiterait pouvoir travailler, ici en Dordogne, auprès d'un employeur correct qui, comme lui, veut respecter la loi.
Nous avons tenté de joindre l'employeur en question qui est resté injoignable malgré notre demande d'explications.
Solidarité
Ce 23 février, une petite collecte a permis de faire quelques courses de produits de première nécessité, d'alimentation et d'hygiène, pour ces personnes. Ce 24 février, l'association les aidait à monter, avec les associations Ruelle et la Fondation Abbé Pierre, pour qu'ils puissent être aidés à être payés, mais aussi trouver un logement décent, en attendant de trouver un véritable employeur. En attendant, l'association demande à ce qui souhaitent les aider momentanément de venir porter des dons alimentaires à l'association Coeur de Bastide.
Coeur de Bastide : 44 rue Alsace Lorraine 33220 Sainte Foy la Grande - 05.57.49.61.21. - contact@coeurdebastide.fr