Le préfet de Gironde compte autoriser, par arrêtés, le déversement des eaux usées non traitées dans le bassin d'Arcachon lors d'épisodes pluvieux exceptionnels. Il attend les recommandations du parc naturel marin pour se décider. "Cela nous priverait de toute action en justice" dénoncent ostréiculteurs et défenseurs de l'environnement.
"Ce serait considérer comme normal le fait de polluer les eaux du bassin, c'est donner l'autorisation de polluer, c'est consternant" s'indigne Jacques Storelli, le président de la CEBA, l'organisme qui coordonne les associations environnementales du Bassin d'Arcachon.
Comme tous les acteurs du secteur, il a pris connaissance ce mercredi 15 janvier, du communiqué de la préfecture relatif aux problèmes des eaux usées. Le préfet Etienne Guyot y indique préparer des arrêtés modificatifs qui pourraient permettre le déversement des eaux usées dans la nature "lors d'évènements pluvieux très exceptionnels" et de façon très encadrée.
"Le préfet n'a pas été en mesure de contraindre le SIBA (syndicat intercommunal gestionnaire des eaux usées) de prendre les mesures nécessaires pour empêcher toute pollution, alors il va créer une dérogation et la rendre légale", dénonce Jacques Storelli.
C'est hautement inquiétant pour tous les métiers de la mer
Jacques StorelliPrésident de la CEBA
"Ça voudra aussi dire que les actions en justice seront beaucoup plus compliquées", poursuit le défenseur de l'environnement. Jacques Storelli prévient : lui et tous les acteurs locaux concernés seront très vigilants et ne laisseront pas faire sans réagir.
Dans l'attente de l'avis du parc marin
Etienne Guyot explique dans son communiqué qu'il "va maintenant recueillir l'avis du parc naturel marin du Bassin d'Arcachon sur ces projets d'arrêtés préfectoraux. À l'issue, il rendra sa décision".
"On a en effet reçu cette demande le jeudi soir, indique Franck Mazéas, à la direction du parc naturel marin. Nos experts vont constituer un dossier basé sur leurs observations et analyses techniques et scientifiques, ils vont expliquer les tenants et aboutissements du problème, faire part de leurs remarques et réserves éventuelles".
Ce dossier sera ensuite transmis aux cinquante-six membres du conseil de gestion du parc, constitué d'élus, de représentants de la Région, du département, mais aussi des professionnels de la mer, usagers de loisirs et associations de protection de l'environnement. Ce sont eux qui voteront, en assemblée délibérative, pour un avis favorable ou non au projet d'arrêtés préfectoraux. "Le conseil de gestion devrait se réunir le 31 janvier prochain pour statuer", précise Franck Mazéas.
"On espère que le préfet sollicite le parc marin pour un avis conforme, et non pour un simple avis technique, déclare, pour sa part, l'ostréiculteur Thierry Lafon, qui préside par ailleurs l'association de défense des eaux du bassin, l'Adeba. Un avis conforme, si le comité vote contre, le préfet ne pourra rien faire. Sinon, ça ne restera qu'un simple avis". C'est bien ce que redoute ce professionnel de la mer qui a vu son chiffre d'affaires chuter de 40% l'an dernier, après un épisode de pollution dévastateur.
Le marché de l'huître complètement déstabilisé après la pollution de l'hiver 2024
En fin d'année 2023, la vente d'huitres avait dû être interdite durant trois semaines suite à de nombreux cas de gastro-entérites. "Les eaux usées avaient débordé, entraînant une contamination au Norovirus. Ça a provoqué une chute de la demande et complètement déstabilisé le marché, rappelle Thierry Lafon qui a longtemps payé les conséquences de ces débordements. Les consommateurs sont devenus méfiants. Maintenant la confiance est revenue, mais il a fallu écouler les stocks. Moi, par exemple, pour la vente en gros, j'ai dû vendre à 2,5 euros le kilo contre 3,2 l'an dernier. Et contrairement à ce que tout le monde pense on n'a reçu aucune aide, juste une exonération à 90 % de la redevance domaniale", souligne-t-il.
Pas question pour Thierry Lafon, et tous ses collègues, de subir ce traumatisme une nouvelle fois. "Il faut que le SIBA s'occupe des 6 % du réseau des eaux qui pose problème. Il faut le rendre complètement étanche aux entrées d'eaux pluviales. Pour l'instant, c'est une vraie passoire !", dénonce-t-il.
Le travail du préfet c'est d'exiger la protection du réseau des entrées d'eaux parasites, pas de dépénaliser le déversement d'eaux polluées dans la nature.
Thierry LafonOstréiculteur, président de l'association de défense des eaux du Bassin
"Il abonde dans la logique du SIBA qui affirme qu'il n'y a pas d'autres solutions, pas d'autres alternatives. C'est un mensonge éhonté", s'indigne l'ostréiculteur.
Un programme massif d'investissements
Le SIBA a annoncé un plan à 120 millions d'euros d'investissement sur cinq ans et notamment la création d'une nouvelle station d'épuration entre Lège-Cap Ferret et Andernos. "C'est du hors sujet total" s'insurge Thierry Lafon qui ne pense pas qu'une nouvelle station soit la solution pour gérer le trop-plein d'eaux pluviales. "Et après cette dépense, il restera moins d'argent que ce qui a été dépensé ces cinq dernières années, sachant que c'était déjà très insuffisant".
Pour Jacques Storelli, "la préfecture reconnait implicitement que le SIBA est, et reste, en dépit du budget de 120 M€ annoncé en octobre dernier, dans l'incapacité de garantir au Bassin d'Arcachon, au milieu aquatique, à la forêt, à la ressource halieutique, aux métiers de la Mer, à la biodiversité, aux herbiers, aux administrés, une nécessaire sécurité environnementale et sanitaire".
Il regrette que des mesures efficaces n'aient pas été prises dès 2021, date du premier épisode de pollution au norovirus. "L'Etat aurait déjà pu imposer au SIBA de prendre des mesures efficaces de nature à prévenir tout rejet de matières polluées dans le milieu naturel".
Son association "mènera toutes les actions juridiques et judiciaires que la situation impose et imposera, lorsque les arrêtés à venir seront publiés" prévient-il.