Pour la deuxième année consécutive, les bateaux de plus de huit mètres équipés de certains filets ravageurs pour les dauphins et cétacés ont interdiction de sortir en mer sur la façade atlantique à partir de ce mercredi 22 janvier et jusqu'au 20 février. Une mesure incompréhensible pour les professionnels de la pêche dont certains ne recevront aucune indemnisation.
Ce mardi 21 janvier, au petit matin, Léopold Brot et son équipage débarquent leurs cageots remplis de soles, entre autres, poissons pêchés ces derniers jours dans le golfe de Gascogne, sur les quais du port d'Arcachon. C'est son dernier déchargement avant l'arrêt obligatoire d'un mois imposé par les autorités. Le patron de pêche est amer.
On va faire comme l'an dernier, on se met à quai, on attend et on pleure. C'est un mois de février qui sera perdu pour tout le monde.
Léopold Brot,marin-pêcheur du port d'Arcachon (Gironde)
Pertes importantes de revenus
Malgré les aides promises, calculées sur la base des chiffres d'affaires moyens de chaque entreprise, cet arrêt d'activité n'est pas sans conséquences. "L'indemnisation annoncée, c'est 80 à 85% de notre chiffre d'affaires, mais ce n'est pas assez par rapport à ce que l'on pêche habituellement. Ce qu'on a touché en 2024, c'est quasiment ce qu'on a fait en une semaine de pêche en repartant en mer, déplore le marin-pêcheur. Et les aides pour février, on ne les a touchées qu'en juin. Les gars ont dû avancer leurs loyers, leurs crédits et attendre d'être indemnisés après".
À la criée, on s'apprête aussi à subir une chute drastique d'activité. "Elle va être diminuée de 90%" assure Germain Stoldick, le directeur du port d'Arcachon. Seuls les petits bateaux n'évoluant qu'à l'intérieur des eaux du Bassin et quelques chalutiers, non concernés par l'interdiction de pêche, vont pouvoir ramener de la marchandise.
Sur la période, c'est entre 800 000 et 900 000 euros de chiffre d'affaires en moins, et pour les criées, il y a zéro aide
Germain Stoldick,directeur du port d'Arcachon (Gironde)
Alors que les poissons sont triés, pesés et emballés dans le hangar de la criée, un autre professionnel de la mer s'apprête à fermer boutique pendant le mois d'interdiction. Ce grossiste travaille avec la grande distribution, mais aussi avec des poissonniers et le marché de Rungis. "Moi, je ne travaille aucun produit d'importation, explique-t-il, uniquement des produits 100% débarqués sur les criées françaises de l'arc du golfe de Gascogne principalement.
Cette année, nous fermons, on n'a pas le choix, d'autant qu'on a appris qu'on n'aurait droit à aucune aide contrairement à l'an dernier
Un grossiste à la criée d'Arcachon
Ses quinze salariés ? "On est en train de regarder ce qu'on peut faire. Comme c'est une perte d'activité totale, on les mettra certainement en chômage technique".
"Pas une solution de long terme"
L'an dernier, première année de fermeture, l'observatoire des mammifères marins Pelagis avait relevé "une diminution significative de la mortalité (des dauphins) par captures, environ 76 % de mortalités en moins par rapport aux hivers précédents" rapporte le ministère de la Transition écologique, de la biodiversité, de la mer et de la pêche.
La mesure, décriée par les professionnels de la mer d'un côté, et jugée insuffisante par les défenseurs de l'environnement de l'autre, devrait être reconduite en 2026, mais ce "n’est pas une solution de long terme, reconnaît le ministère. L’objectif commun doit être de travailler avec l’ensemble de la filière pour parvenir à la levée de cette fermeture temporaire dès 2027".
L'observatoire Pelagis lui-même prévient qu'il n’est "pas possible d’assurer une efficacité semblable de cette mesure pour les autres années", expliquant que d'autres facteurs peuvent entrer en jeu dans la mortalité des cétacés.
Les autorités souhaiteraient équiper les navires de "dispositifs d’effarouchement (« pingers ») et de caméras" permettant de "limiter les captures accidentelles de petits cétacés". Une phase d'expérimentation sur un échantillon représentatif de bateaux pourrait être décidée. Si les résultats s'avèrent probants, ces techniques d'effarouchement pourraient être généralisées.
Menace pour la survie à long terme de la population de dauphins
La décision de fermeture de la pêche du 22 janvier au 20 février 2024 à 2026, pour les bateaux de plus de 8m, équipés d’engins capturant le plus de dauphins communs, tels les filets maillant, trémails, chaluts pélagiques en bœufs et à panneaux, chaluts de fond en bœufs et sennes pélagiques a été prise suite au constat alarmant des experts du Conseil International pour l’Exploration de la Mer qui affirment que le "niveau de captures (est) trop élevé pour la survie à long terme de la population des dauphins communs".
"L'idée n'est pas de condamner un secteur économique tout entier" abonde l'association Sea Shepherd France.
Il s'agit de permettre aux écosystèmes de se régénérer. Cela engendreraient moins d'effort de pêche pour récupérer des poissons
Association Sea Shepherd
L'association militante espère pouvoir ouvrir le dialogue avec les pêcheurs sur ce dossier sensible, "c'est la condition sine qua non si on veut avoir une chance de trouver des solutions écologiquement efficaces et socialement acceptables, dans un contexte global d’effondrement du Vivant".