"Ça a été horrible, les journalistes m'appelaient sans arrêt" : cinq ans après, rencontre avec Laurent Chu, premier cas de Covid-19 en Europe

Le 23 janvier 2020, Laurent Chu, un commercial bordelais, est déclaré positif au Covid-19. Il devient alors le premier cas en France et même en Europe. Ses 22 jours d'hospitalisation, le déferlement médiatique et la gestion de l'épidémie, il témoigne.

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Laurent Chu. Ce nom ne vous évoque peut-être rien, et pourtant, il y a cinq ans, ce conseiller commercial à la Chambre d’agriculture était connu de la France entière pour une raison dont le quadragénaire se serait bien passée : il est le premier cas de Covid-19 détecté en France. Cinq ans plus tard, la santé et l’apaisement sont revenus. “C’est un virus qui a bouleversé le monde. Une triste histoire que j’espère dépassée, sourit Laurent Chu. Je vais très bien.”

De Wuhan à Bordeaux

Ce 23 janvier 2020 marque une bascule : l’entrée du Covid-19 dans la vie de Laurent Chu, et des Français. Quelques jours auparavant, ce conseiller commercial auprès de la Chambre d’agriculture était en Chine, dans la province de Wuhan, pour des affaires à la fois professionnelles et familiales. “J'étais à Shanghai puis j’ai pris le train pour aller à Wuhan. D’ordinaire, je prends l’avion, mais là, ils étaient trop chers, se remémore Laurent Chu. Je crois que c’est là que j’ai attrapé le virus, à cause du marché d’animaux sauvages qui se trouve près de la gare de Wuhan.”

À l’époque, le Covid existe déjà, mais la presse chinoise relaie qu’elle ne serait pas transmissible à l’homme. Laurent Chu rend donc visite à sa mère et son frère, qui résidaient dans la région, sans se soucier de la maladie.

Trois jours après, j’ai eu de la fièvre légère. J’ai commencé à tousser.

Laurent Chu

Premier cas de covid en Europe

Les secouristes du SAMU avaient enfilé des combinaisons intégrales. © France 3 Aquitaine

Le séjour du conseiller commercial se terminant, il reprend l’avion depuis Shanghai. Une étape à Qingdao pour inaugurer leur nouvelle liaison avec Paris, puis Bordeaux. “J’avais un masque tout le trajet parce que je savais que j’avais attrapé quelque chose, sans savoir précisément quoi, ajoute Laurent Chu. Je ne l’ai quitté qu’à Paris parce que personne n’en portait et je ne voulais pas que les gens aient peur de moi.” Il atterrit à Bordeaux vers 22h30 et s’isole, sentant le virus gagner du terrain. Nous sommes le 22 janvier 2020. Quelques heures plus tard, Laurent Chu sera le premier patient Covid traité à Bordeaux, en France et même en Europe.

"Je me suis demandé si j'allais mourir"

Au réveil, Laurent Chu appelle SOS Médecins. Au bout du fil, les médecins lui donnent un rendez-vous au cabinet. “Je leur avais tout dit de mes symptômes, toute la vérité”, assure le Bordelais d’origine chinoise. Par précaution d’ailleurs, il prend une valise, s’attendant à se voir être confiné comme c’était déjà le cas en Chine.

À la médecin qui le reçoit, Laurent Chu liste de nouveau tous ses symptômes et retrace son périple depuis Wuhan. “On m’a analysé le taux d’oxygène dans le sang. C’était pas mal, je n'étais pas très inquiet”, explique le Bordelais qui ne s’attend pas à patienter deux heures, isolé dans le cabinet de consultation, que le SAMU arrive. Équipés de combinaison intégrale, deux secouristes prennent en charge le malade et l’emmènent, “alors qu’il n’y a que 100 mètres” en ambulance, dans la zone de réanimation du CHU de Bordeaux. QUarante-huit heures plus tard, le verdict de l’Institut Pasteur tombe : il est porteur du Covid-19, le premier cas déclaré en France.

Ca a été une douche froide. Je me suis demandé si j’allais mourir parce qu’entre temps, j’avais vu ce qu’il se passait en Chine.

Laurent Chu

Premier patient covid de France

Il est installé dans une salle à pression négative, dédiée aux personnes atteintes de problèmes respiratoires. “La machine qui absorbait l'air faisait du bruit qui m’empêchait de dormir, se souvient Laurent Chu. Ce n'était pas vraiment une chambre, il y avait une porte demi-vitrée avec un SAS pour que les soignants puissent s’équiper avant de pénétrer dans la pièce”.

Laurent Chu (au centre) entouré des soignants qui l'ont pris en charge à l'hôpital Pellegrin © France 3 Aquitaine

"J'étais tout seul"

Pour lui, durant six jours, cette porte est aussi la seule vision d’un monde extérieur. “En réanimation, les gens sont endormis. J’étais le seul à pouvoir bouger, à être réveillé. Comme si j’étais tout seul ”, confie, encore marqué, Laurent Chu. D’ailleurs, les gestes basiques comme aller aux toilettes devenaient complexes : il n’y en avait pas dans la chambre puisque ce n'est pas nécessaire quand on est en réanimation.”

J’étais un peu un cobaye parce que j’étais le seul malade. J’ai donné beaucoup de choses pour la région bordelaise.

Laurent Chu

Premier patient covid de France

Débute alors un rituel répété pendant vingt-deux jours, six en réanimation, puis seize dans l’unité des maladies infectieuses et tropicales, avec le professeur Malvy et le Dr Duc Nguyen qui sont en charge de ce patient extraordinaire. Examens des poumons, prises de sang, expérimentation de traitements. “Il n’y avait pas de remède miracle, confie Laurent Chu qui se souvient notamment avoir testé le traitement contre Ebola. Je suis toujours resté coopératif, je signais régulièrement des décharges de responsabilité.”

En parallèle, et pour tenir durant ces journées cernées par la maladie, Laurent Chu reçoit de nombreux soutiens. De sa famille évidemment, mais également de ses collègues et supérieurs, qui suivent son état à distance. "Ces soutiens moraux étaient très importants dans cette période difficile", souligne le patient, cinq ans plus tard.

Torrent médiatique

À sa sortie, le 13 février, Laurent Chu a recouvré la santé, malgré les six kilos qu’il a perdus durant son hospitalisation. Il découvre aussi le déferlement médiatique. Durant son séjour, l’hôpital avait réussi à “protéger” le Bordelais. Seuls ses proches et ses collègues savaient pour sa maladie. “Après, ça a été horrible. Les journalistes m'appelaient sans arrêt, sauf que j’étais malade, et je n'avais pas envie de parler. Et puis un journaliste quand il vous parle, il ne vous soutient pas, il veut juste savoir quel médicament j’ai pris, des nouvelles de mon état de santé”, se remémore Laurent Chu.

Pour terminer sa convalescence, un collègue de la Chambre d’agriculture lui propose sa villa au Cap-Ferret. “Je n’ai pas pu sortir de chez moi pour y aller parce que ma résidence était bloquée par les médias”, se souvient celui qui n’a jamais été à l’aise avec ces excès d’attention intéressés.

Je ne suis pas le patient zéro parce que je n’ai contaminé personne.

Laurent Chu

Premier patient covid de France

Aux yeux du monde, Laurent Chu est le visage du “patient zéro”. Un qualificatif qui ne plaît pas du tout, cinq ans plus tard, au principal concerné. “L’ARS a prouvé en retrouvant toutes les personnes que j’avais rencontrées, jusqu'au chauffeur de taxi, que personne n’a eu le covid par moi, explique le Bordelais. Je suis le premier patient en France et même en Europe, mais pas le patient zéro”.

Triste période

Un déferlement médiatique qui rapidement se détourne vers d’autres cibles : le Covid est alors installé sur le territoire français, le pays s’apprête à vivre son premier confinement. Cinq ans plus tard, et plusieurs campagnes de vaccination après, Laurent Chu refuse de minimiser la maladie. “C’est un virus très puissant qui a fait des milliers de morts. Aujourd’hui, on en a moins peur”, assure le premier cas français.

Comme Paris, Bordeaux a été désertée durant de longues semaines, lors des confinements. © France 3 Aquitaine

De cette époque, le conseiller commercial se souvient surtout des confinements, les rues vides, la “tour Eiffel et les Champs Élysées désertés”. “C’était une triste période. On ne pouvait pas voir nos proches. Il n’y avait plus de vie dans la société, reconnaît Laurent Chu. J’espère que ça ne reviendra pas avant 200 ans au moins.”

Face aux épidémies de grippe aujourd’hui, le Bordelais se fait vacciner chaque année. Après son séjour à l’hôpital, Laurent Chu veut transmettre un message. “Il faut croire en la science. Elle n’est pas parfaite, mais sans elle aujourd’hui, je ne serai pas bien. Il faut que la société continue de lutter contre ce genre d’épidémie.”

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