Les cannelés Baillardran ne sont pas si qualitatifs que le disent leurs publicités. La célèbre entreprise bordelaise vient d'être condamnée pour pratiques commerciales trompeuses. Elle a notamment vendu des produits décongelés qu'elle garantissait "frais" ou utilisé des ingrédients de synthèse au lieu de ceux promis sur l'emballage.
Des cannelés congelés, décongelés le lendemain, puis vendus comme étant "frais". De la "vanille bourbon de Madagascar" garantie bio ou de qualité supérieure, en réalité essentiellement remplacée par des arômes industriels. Du beurre marqué dans la liste des ingrédients, pourtant absent de la recette... Lors de leurs visites dans les locaux de Baillardan en mai 2023, les enquêteurs de la direction départementale de protection des populations (DDPP) avaient relevé une série de pratiques douteuses.
100 000 euros d'amende
Plus d'un an et demi plus tard, ce jeudi 16 janvier, l'entreprise bordelaise produisant ces iconiques petits gâteaux moelleux vient d'être condamnée par le tribunal correctionnel à une amende de 100 000 euros pour pratiques commerciales trompeuses. Au cours de l'audience du 5 décembre dernier, le parquet de Bordeaux avait requis une peine de 800 000 euros, dont 400 000 avec sursis. Une sanction finalement allégée, "compte tenu de la gravité des faits, de la situation financière de l'entreprise et de l'absence d'antécédents", a précisé le président du tribunal.
Ce vendredi 17 janvier, la direction de Baillardran a réagi dans un communiqué. "Actuellement, la maison prend acte du jugement qui a été prononcé et analyse la motivation pour décider si cette décision sera acceptée ou frappée d’un recours", indique-t-elle, n'excluant donc pas la possibilité de faire appel de la décision.
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"Par rapport au chiffre d'affaires qu'ils font à la semaine et pour avoir trompé les clients tous les jours, c'est dérisoire 100 000 euros", réagit Kenzah, une ancienne vendeuse dans les boutiques de la gare, qui avait lancé l'alerte aux services d'hygiène. "Ils forcent les vendeurs à mentir aux clients, alors qu'on sait que les produits ne sont que du vent. Éthiquement parlant, ça ne fait pas plaisir. Pour moi, travailler ici a été un an et demi de souffrance", continue-t-elle.
Quand on arrive en tant qu'employé, on nous fait apprendre un speech par cœur : tous les cannelés sont faits quotidiennement par nos pâtissiers, avec des produits bios, etc. C'est bidon.
KenzahAncienne vendeuse Baillardran
Avec ses recettes au rabais à base de lait en poudre, d'arôme de synthèse ou encore de rhum blanc contenant du colorant pour faire croire à du rhum vieilli, sans en informer les clients, la maison Baillardran aurait économisé 600 000 euros. Sur le marché du cannelé, elle affiche des tarifs deux à trois fois supérieur de ceux de ses concurrents. Il faut compter 20 euros, le coffret de 10 canelés moyen. De quoi faire grimper le chiffre d'affaires annuel à près de 12 millions d'euros.
Pas de publicité sur la condamnation
Au cours des réquisitions, le parquet avait également demandé la diffusion et la publication de la décision de justice. Concrètement, l'entreprise aurait dû payer des encarts publicitaires dans les pages de médias nationaux ou régionaux pour rendre publique sa condamnation. Cette réquisition, qui aurait continué d'entacher la réputation de la marque, n'a pas été retenue. Elle n'aura pas non plus à l'afficher dans sa vingtaine de points de vente en Gironde.
Les salariés se plaignaient de devoir vendre des canelés pas très frais à des clients, des enfants parfois, en se disant qu'ils pourraient tomber malades.
Brigitte CoudercResponsable CGT Commerces en Gironde
Dans une enquête de France 3 Aquitaine publiée en novembre 2023, plusieurs salariés, encore en activité ou non, avaient dénoncé les méthodes de la société bordelaise. "On nous demande de mentir. Quand les cannelés sont congelés et remis à la vente, on nous demande de ne pas changer le speech et donc de dire que ce sont des produits frais", avait décrit Kenzah.
Les nombreux témoignages révélaient l'hygiène douteuse dans les boutiques, stockages et laboratoires où est fabriquée la pâte. Par-dessus le marché, les employés avaient décrit des espaces de travail en mauvais état, des conditions d'exercice à la limite du harcèlement entre discriminations, absence de chaises et surveillance par caméras. Un volet qui n'a pas été étudié par la justice.
"L'affaire n'est pas terminée"
Les représentants syndicaux espèrent que le dossier "conditions de travail" sera le prochain à être jugé. "L'affaire n'est pas terminée. Il faut aller plus loin dans la reconnaissance de la souffrance au travail. On pense que cette victoire va être un tremplin pour être écouté et mieux accompagné dans la bataille", estime Brigitte Couderc, la représentante de la branche Commerces de la CGT en Gironde.
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En trois décennies, la petite pâtisserie familiale crée en 1988 est devenue un empire comptant aujourd'hui 150 salariés. Développant des activités annexes dans l'immobilier, l'actuel dirigeant et fils du créateur, Philippe Baillardran, a délégué la gestion de la partie production de cannelés à son épouse Angèle. Le couple a confié la responsabilité de certaines boutiques à ses enfants. Aucun d'entre eux n'était présent pour le délibéré. Contactés, la direction et ses avocats n'ont pas répondu à nos sollicitations.