Avocat spécialisé en droit du dommage corporel, le Bordelais Jean-Christophe Coubris publie "Au nom de toutes les victimes", un livre témoignage, qui revient sur les combats menés par les victimes de dysfonctionnements, d'erreurs médicales ou de scandales sanitaires.
Il voulait "donner la parole aux victimes". Après avoir envisagé dans un premier temps de leur donner la plume directement, Jean-Christophe Coubris a écrit "Au nom de toutes les victimes", aux éditions Flammarion.
Un livre qui revient sur plus de vingt ans de procédures judicaires, mais également sur des rencontres. "La souffrance, le bonheur, la déception, la joie, l'horreur, l'espoir sont autant de sentiments terriblement intenses qui se mêlent et s'entremêlent au fil des longues années que durent parfois les procédures", écrit l'avocat bordelais en préambule.
Le cabinet de celui qui défend quelques 2 000 victimes dans le procès du Médiator – dont le jugement sera rendu ce 29 mars - a aussi plaidé dans le procès de la Dépakine, l'affaire des pilules de 3e et 4e génération, ou encore de l'anesthésiste d'Orthez. Jean-Christophe Coubris défend également la famille de Naomi Musenga, morte après un appel glaçant au Samu de Strasbourg. Rencontre.
D’où vient ce choix de vous orienter vers cette spécialité, celle des dommages corporels ?
Me Jean-Christophe Coubris : Ma vie m'a amené à gérer le handicap au sein de ma famille. Cela m'a donné une motivation supplémentaire et un éclairage différent.
Je connaissais la difficulté du système, je connaissais aussi la complexité de ce que signifie avoir un enfant différent, et toute l'énergie dont il faut faire preuve. J'ai donc souhaité partager mon expérience et aider ces victimes à trouver les solutions adaptées à leur situation.
Pour quelles raisons les victimes viennent-elles vous voir ?
On ramène souvent le contentieux à l'argent ou à l'indemnisation des victimes, voire aux honoraires de l'avocat. Je n'ai quasiment aucune victime qui vient me voir pour chercher une indemnisation.
Elles viennent chercher une vérité, essayer de comprendre, savoir ce qui s'est passé.
Le discours du corps médical a progressé, mais mérite d'être amélioré : parfois, les victimes ne comprennent pas les réponses qu'on leur apporte, car elles sont complexes ou trop scientifiques. Parfois, la douleur les empêche de comprendre ce qu'on leur dit. Parfois aussi, on ne leur dit strictement rien.
Dans tous les cas, cette recherche de vérité, obtenue via les expertises, est la première motivation des victimes. Ensuite, vient le temps de la sanction, ou de l'indemnisation. Celle-ci peut prendre de l'importance, surtout pour des victimes qui ont de grands besoins : une voiture aménagée, un fauteuil adapté… Tout ce qui est du monde du handicap coûte extrêmement cher.
C'est très rare qu'un chirurgien, un professeur ou un médecin accepte de reconnaître son erreur.
Vous êtes assez dur avec le corps médical et son corporatisme. Vous décrivez ce qui ressemble parfois à une omerta, un monde où les médecins font bloc pour protéger les leurs, parfois au détriment de la vérité justement…
J'ai tenté de ne pas être dans l'excès. Je n'oublie pas que nous avons un corps médical fantastique en France, qui sauve des vies tous les jours et nous permet d'avoir un système de santé envié dans le monde.
Il est vrai que je ne vois que les situations compliquées. J'assiste donc souvent à une incapacité à reconnaître des erreurs, de dire tout simplement le dysfonctionnement qui a pu entraîner des séquelles ou des conséquences gravissimes. C'est très rare qu'un chirurgien, un professeur ou un médecin accepte de reconnaître son erreur.
Et c'est en cela que je vais être sévère avec le corps médical. Cela fait plus de vingt-cinq ans que je le pratique et autant de temps que je me heurte à ce mur du silence, cette loyauté du corps médical, et même de certains experts, qui ont totalement embrassé leur cause et ne font preuve d'aucune objectivité.
Vous évoquez l'histoire d'Isabelle G.*. Sa fille est morte dans ses bras à l'hôpital, malgré ses alertes auprès des médecins. L'expertise confirmera ensuite une défaillance du personnel médical.
Pourtant, juste après le décès, le directeur de la clinique avait reproché dans la presse à cette maman de s'être endormie quelques instants au chevet de sa fille… De même, lors du décès de Naomi Musenga qui a ému la France entière, on a rapidement culpabilisé la victime. Ce mécanisme reste un réflexe ?
En effet. Pour se défendre, les victimes doivent déployer une énergie considérable. Elles sont écrasées par la douleur et doivent, en permanence, affronter ce réflexe dont use le corps médical pour se protéger. On leur reproche de ne pas avoir remarqué un détail, de ne pas avoir pris telle ou telle initiative… Ce qui est terrible, c'est que le "bouton culpabilité" fonctionne merveilleusement bien. On finit par accepter, par rentrer dans ce schéma de culpabilité et on perd toute intention de manifester notre désaccord ou nos suspicions.
Quand je vois le nombre de fois où j'ai devant moi une erreur médicale et on veut faire admettre à une victime que le problème est dans sa tête, qu'elle souffre de troubles psy…
Dans le cas de Naomi Musenga, les premiers bruits qui ont circulé dans les couloirs et les rues de Strasbourg, c'était qu'il s'agissait d'une fille dépressive qui probablement avait mis fin à ses jours.
Voilà ce que les parents ont entendu. Ensuite, on a parlé d'une surconsommation de paracétamol non contrôlée. On n'est plus sur la tentative de suicide, car on s'est rendu compte qu'on n'aurait jamais la possibilité d'apporter un début de preuve de ce qu'on avance. C'est cynique à l'extrême. C'est détestable pour la famille de supporter ça, en plus du décès et de l'horreur de l'écoute de la bande sonore de son appel au Samu.
Le corps médical a compris qu'un laboratoire, ou que des scientifiques, pouvaient délibérément mentir.
Pourquoi ciblez-vous aussi l'agence du médicament, en disant qu'elle protège le médicament plutôt que le patient ?
C'était le cas, de façon sûre et certaine avant le Médiator. [Depuis 2019, les laboratoires Servier sont jugés pour avoir volontairement dissimulé pendant des années la toxicité du Médiator. Dans ce dossier, l'Agence de sécurité du Médicament (ANSM) comparaît pour homicides et blessures involontaires par négligence, ndlr].
C'est une certitude : l'AFSSAPS (ancien nom de l'ANSM) ce n'était pas l'Agence du médicament, mais plutôt "l'agence de protection des laboratoires et du corps médical". L'ANSM d'aujourd'hui n'est sûrement pas parfaite. Elle a ses failles, mais son système est quand même plus rassurant.
Quelle que soit la décision du procès du Médiator, le 29 mars, il y a une chose qui est sûre : les mentalités ont évolué de façon vraiment significative. Le corps médical a compris qu'un laboratoire, ou que des scientifiques pouvaient délibérément mentir. Ça, c'est le Médiator qui nous l'a appris, ou plutôt, c'est la pneumologue et lanceuse d'alerte Irène Frachon qui a permis cette prise de conscience.
Le Médiator ne traitait aucune pathologie, n'avait aucun effet positif. La pilule 3e génération ne guérit pas une maladie. Le vaccin, lui, nous protège d'un virus qui vient de paralyser le monde entier. Ce n'est pas moi qui vais aujourd'hui le critiquer.
Vous évoquez également dans votre livre "la délicate question de la dangerosité de certains vaccins". Comment observez-vous aujourd'hui les doutes, et même la défiance de certains, face aux consignes sanitaires et aux vaccins contre la Covid-19 ?
Je ne mène pas de combat contre les vaccins. Je mène un combat contre les sels d'aluminium, utilisés comme adjuvants dans certains vaccins. Les vaccins commercialisés aujourd'hui dans le cadre de la lutte contre la Covid-19 ne contiennent pas d'adjuvants, et encore moins de sels d'aluminium, ce qui est rassurant.
Aucun médicament n'est garanti à 100 % sans danger. Il y aura toujours des accidents, et des effets secondaires sur les médicaments quels qu'ils soient. C'est une évidence.
Aujourd'hui, l'AstraZeneca est un peu mis sur la sellette, du fait de ses effets indésirables, temporaires pour la plupart. La question est : avons-nous le choix ? A-t-on besoin de ce vaccin, sachant que nous en manquons terriblement ? La réponse est oui.
Le Médiator ne traitait aucune pathologie, n'avait aucun effet positif. La pilule 3e génération ne guérit pas une maladie. Le vaccin, lui, nous protège d'un virus qui vient de paralyser le monde entier. Ce n'est pas moi qui vais aujourd'hui critiquer ce vaccin indispensable et nécessaire.
Par ailleurs, je suis absolument ravi d'entendre certains scientifiques tenir un discours cohérent et intelligent, et reconnaître qu'il y aura des effets indésirables pour un faible nombre de personnes, mais un nombre tout de même.
Entre votre expérience personnelle et les dossiers que vous traitez, des histoires qui génèrent beaucoup de douleurs et de souffrance, vous sentez-vous en empathie totale avec vos clients ?
Certains métiers nous amènent à être dans la souffrance en permanence. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles j'ai écrit ce livre : personne ne veut écouter mes histoires, tant elles sont dures et dans la souffrance. Généralement, je n'ai pas un grand succès autour de moi (rires).
L'empathie est nécessaire, tout en se protégeant et en préservant un peu de soi. Mais je considère que si on ne donne pas un peu de nous, si on n'est pas dans cette empathie et ce partage, je ne suis pas certain qu'on fasse correctement notre métier. En tout cas, je ne sais pas le faire autrement
Vous demandez finalement un peu plus d'humanité à tous les échelons : les scientifiques, le corps médical, les laboratoires, les assureurs… Vous pensez réellement que ce soit possible dans la société dans laquelle nous vivons actuellement ?
Je suis un grand optimiste ! Je vois aujourd'hui une évolution. Avec de plus en plus de professionnels de la santé, mes échanges ne sont plus sur la méfiance et le conflit, mais sur une volonté de progresser, les uns et les autres, et de progresser ensemble. Plus personne ne veut de scandale sanitaire. J'ai donc l'espoir qu'on puisse arriver à un discours franc et loyal, à l'égard de tous les consommateurs de la médecine et des produits fournis par les laboratoires.
* Le prénom a été changé