Des patients psychiatriques au micro d'un podcast avec des stars : cet hôpital reprend les codes du "Papotin" pour briser les clichés

En plein cœur de l'hôpital psychiatrique bordelais Charles Perrens, un podcast va bientôt voir le jour. Au micro, les patients de l’établissement de soin dirigent l’interview d’une célébrité. Imaginée selon les principes du "Papotin", journal puis émission télévisée à succès. En parallèle un magazine est en pleine rédaction.

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"Mais comment gérez-vous votre stress pour monter sur scène ?" La question semble anodine, il n'en est pourtant rien. Celui qui a choisi de la poser est soigné pour une forme très sévère d'anxiété à l'hôpital psychiatrique de Charles Perrens. Il sera l'un des interviewers de Tibz, chanteur périgourdin qui a accepté de participer au projet "Inside le live".

Imaginés par une chercheuse de l'Université de Bordeaux Montaigne et l'hôpital psychiatrique, ces projets de magazine et de podcast veulent à la fois ouvrir les porte de l'hôpital aux journalistes et favoriser le dialogue avec les patients. Évoquer tous les sujets d'âme à âme en faisant fi de la maladie, mais sans la nier, est l'une des missions de ce projet enregistré et bientôt diffusé sur toutes les plateformes de podcast. 

À la mode "Papotin"

Dans le même épisode, Rémi Lamerat, ancien international de rugby et deuxième invité, sera, à son tour, sous le feu des questions de ces patients. "Un patient très intéressé par les sensations et les ressentis, confie Olivier Uguen, podcasteur et professeur de radio à l'école de journalisme de Bordeaux. Il ne disait pas un mot en début de séance préparatoire, mais il avait juste besoin d'être mis en confiance". 

Ces épisodes, s'ils donnent la possibilité aux patients de sortir du quotidien de l'hôpital, ils permettent aussi d'évoquer leurs pathologies et d'en parler autrement. Ainsi, une autre participante, très marquée par l'image classique de patients sous contention, véhiculées par la télévision ou par internet, souhaite avant tout évoquer sa vie en hôpital psychiatrique pour sortir des idées préconçues autour de l'univers psychiatrique.

Des clichés qui pèsent sur ces patients, comme l'a constaté Olivier Uguen, au fil des réunions. Selon le journaliste, ils se sentent"au ban de la société". "Ce sont des invisibles, on en parle uniquement sous l’angle de la dangerosité, mais, nous prévient-il, vous allez voir, ils ont beaucoup de choses à dire et d'expériences à raconter". Des témoignages que le podcasteur a pu recueillir grâce son micro "qui déverrouille" la parole.

Rompre l'auto-stigmatisation

Au cœur des préoccupations de l'équipe soignante de Charles Perrens se trouve l'idée de sortir les patients de l'auto-stigmatisation dans laquelle ils sont pour la plupart plongés. Il faut "que ces patients sortent de l'enfermement mental dans lequel les met la maladie", explique Sophie Boutinaud, cadre supérieure de santé à Charles Perrens et coordinatrice du projet. 

Selon elle, l'essentiel se trouve dans l'action. "En participant à des ateliers, ils ont une meilleure estime d’eux-mêmes", indique la coordinatrice.

Un pouvoir d’agir sur leur vie, mais aussi sur leur place dans la société.

Sophie Boutinaud

Cadre de santé à l'hôpital Charles Perrens

Une analyse que partage la psychiatre Marie Tournier, cheffe du pôle universitaire de psychiatrie adulte. Pour elle, "l'auto-stigmatisation est un des principaux vecteurs de handicap", qui peut être, la plupart du temps, "plus fort que la pathologie elle-même".

C'est pour ces raisons que les participants ont avant tout été sélectionnés sur leur motivation. Il y a "une vraie diversité des pathologies et des prises en charge", que les patients soient en hospitalisation lourde ou en hôpital de jour. Pour cela, trois soignants les accompagnent sur tous les ateliers de préparation et d'enregistrement. 

Lutter contre la stigmatisation

À l'initiative de ce projet également, Marie-Christine Lipani, enseignante-chercheuse en sciences de l’information au MICA (Mediation information communication arts). Depuis plusieurs années, elle s’intéresse à la façon dont notre société traite la psychiatrie par le prisme du langage journalistique. Un travail qui l'a menée à monter ces ateliers, lauréats de l’appel à projet de l’agence nationale de la recherche.

Si à l'origine seule la création du magazine papier était sur la table, les instigatrices ont réussi à débloquer les fonds dans le cadre des projets labellisés SAPS (science avec et pour la société). Un podcast a donc pu également voir le jour. "Un podcast, c'est plus simple et plus efficace", explique Sophie Boutinaud.

"En tant que chercheuse, cela fait plusieurs années que je travaille sur une médiatisation plus responsable du traitement des troubles psychiatriques" précise la chercheuse au MICA, situé juste derrière l'IJBA, école de journalisme de Bordeaux. Elle constate à quel point il est difficile de lire des articles généraux traitant de la psychiatrie sans que les malades ne soient stigmatisés et réduits à leur potentielle dangerosité. 

De nombreuses études ont montré une tendance à une stigmatisation des troubles psychiatriques, avec une dangerosité pour la cité.

Marie-Christine Lipani

Chercheuse en sciences de l'information à l'Université de Bordeaux

Pour autant, "les études médicales montrent que cette dangerosité ne concerne que peu de personnes". Elle considère le traitement médiatique de l'affaire du drame de Pau et de Romain Dupuy, un schizophrène tuant deux soignantes, comme "un cas d’école".

Faire ainsi changer le traitement journalistique de ces sujets permettrait selon tous les intervenants de parler et percevoir la maladie autrement. 

20% de personnes atteintes

En France, 20% de la population a été touchée par un trouble psychiatrique dans l'année en cours, soit une personne sur cinq. Il y a donc urgence à parler de psychiatrie de manière dédramatisée et sans tabou.

Les gens pensent que les psychiatres, c'est pour les fous et ça retarde le diagnostic.

Marie Tournier

Psychiatre à l'hôpital Charles Perrens

Le constat est terrifiant : en moyenne, "il y a un délai de diagnostic de 10 ans pour les troubles bipolaires en France" et légèrement plus court pour les troubles psychotiques.

Sortir du "train-train"

Déjà, l'équipe soignante a pu faire évoluer son regard. "Quand on voit le retour, on sort de ce train-train et on retrouve du sens à ce qu’on fait avec une philosophie innovante", décrypte la cheffe de service, Sophie Boutinaud.

Une expérience dont ils ont pu discuter avec le journaliste Olivier Uguen. "Ils peuvent, au terme des années, dispenser le soin sans prise de contact", explique le journaliste."Ça fait remonter le vieux fantasme que la réinsertion complète à l'extérieur de l'hôpital est la seule solution". Mais cette expérience tend à prouver que la considération et la réinsertion peuvent déjà se trouver dans l'établissement de soin.

On est pas obligé de construire un monde où on se regarde en chiens de faïence.

Olivier Uguen

Journaliste et Podcasteur

Le professeur de radio, auteur de nombreux podcasts sur la santé mentale (Podcast Humain) relève à quel point le langage psychiatrique est galvaudé dans la société et utilisé à mauvais escient. Utiliser les bons mots, c'est ce que feront les patients, au-delà du podcast, dans le cadre du magazine papier de 12 pages qui devrait être un trimestriel, qui sortira au printemps prochain, et sera tout simplement intitulé "Inside". 

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