Seize jours après les premiers symptômes, il raconte dans un simple post sur sa page Facebook, en quelques mots justes et sincères, l'évolution de la maladie telle qu'il l'a subie: plus de dix jours de fièvre, des courbatures comme des coups, l'hospitalisation tant redoutée. Se retrouver face à soi.
Son post du 3 avril dernier s'adresse avant tout "aux yeux"... (voir en fin d'article)
Comme si dans cette guerre, face à cet ennemi sans visage, parmi les surblouses colorées et autres masques en papier, l'humanité, la bienveillance restaient contagieuse...dans les regards!
Et notamment ceux échangés entre Frédéric Coiffé, un malade comme un autre, et le personnel soignant du CHU de Bordeaux.
Il y raconte simplement, sobrement mais avec force, les jours qui viennent de s'écouler :
Rien ne sera plus pareil …
Il écrit sur sa page Facebook le 3 avril et décrit les 16 jours passés dont les heures ont compté bien plus sans doute.
16 jours, cela correspond juste aux dates du début du confinement.
16 jours, soient 384 heures. Des heures qu'il craignait bien être ses dernières.
16 jours dont 12 de fièvre durant lesquels les courbatures ressemblent à des coups... suivi de la toux qui le fait contacter un médecin.
Un tsunami a touché mon corps
C'est alors l'hospitalisation, redoutée de tous car un cap est atteint.
Et c'est là que les "yeux" le prennent en charge. Lui, comme d'autres dans cette tente spéciale, où il entend les cris et qui n'auront peut-être pas la même chance que lui.
La maladie n'a pas de visage, elle n'a pas de sens, de cible, de logique non plus...
Un vieux monsieur gémit et pleure je me dis que je vais bien
Car Frédéric est dans la force de l'âge. Comme beaucoup peut-être, il ne se sentait pas particulièrement inquiété par ce covid-19. Ne disait-on pas que c'était "un peu comme la grippe "?
Ceux qui ont déjà rencontré Frédéric Coiffé le décrivent comme quelqu'un de chaleureux, d'authentique qui ne cherche pas la lumière, qui aime la cuisine mais surtout le partage.
Quand nous l'avons contacté, il n'a pas souhaité aller au-delà de ce témoignage du 3 avril, destiné alors seulement aux habitués de sa page...
Nous, nous avons choisi (avec son accord) de relayer ses mots parce qu'à travers lui, d'autres se reconnaîtront.
Car chaque jour, notamment sur nos antennes, on décline le nombre de morts et le quotidien des soignants d'un côté, des confinés de l'autre... Comme deux mondes éloignés et irréels.
Ce témoignage fera partie peut-être des nombreux autres dont nous aurons connaissance après la crise. De ceux qui vont bien.
Pour l'heure, ces quinze jours de lutte contre la maladie nous montrent que nul n'est à l'abri d'une contamination.
Cette histoire "vécue" nous fait toucher du doigt (difficile en ces temps sanitairement corrects) cette humanité qui nous lie et le dévouement qu'il a pu constater autour de lui jusqu'à sa sortie, libératrice, des soins intensifs.
Une docteure me regarde de loin, ses yeux me parlent, je comprends
Derrière ces regards, il y a bien-sûr le professionnalisme des équipes de santé, mais aussi une forme d'impuissance de ces hommes et ces femmes qui ne s'expliquent pas pourquoi certains s'en sortent et d'autres non, malgré la même énergie à vouloir les sauver.
Il a croisé ces "yeux" et c'est à eux qu'il pensait aussi en écrivant ces mots.
Un festin de courgettes à l'eau de betteraves
On peut en sourire, maintenant, il va mieux. De ces mots de gastronome.
Alors que, comme il nous le confirme, les malades perdent le goût et l'odorat, il décrit ses repas... hospitaliers, comme une fête. Se nourrir et se sourire (avec "les yeux") représentent ces petites choses qui nous lient à la vie.
Un clin d'oeil sans doute pour celui qui s'affaire habituellement en cuisine à faire chanter les saveurs...
On lui souhaite un bon rétablissement.
Merci les Yeux
Son Témoignage du 3 avril dernier
Pas d’exhibitionnisme
Juste un besoin d’écrire et de partager avec vous
Les yeux...
Rien ne sera plus pareil ….
Un tsunami a touché mon corps
16 jours viennent de s’écouler
16 jours d’incompréhension.
12 jours de fièvres
Cette fièvre qui te prend du matin au soir sans te lâcher.
Elle attaque petit à petit ton corps tu la sens elle est là et ne bouge plus.
Puis viennent les courbatures, mais ce ne sont pas des courbatures ce sont des coups, des baffes, des gifles, des coups de poing, des mêlés de rugby, des combats de rue.
Elles s’installent et ne bougent plus elles font peur tu te dis que ce ne sont que des courbatures mais non ce sont des coups.
Puis viens la toux, celle que tu ne veux pas voir arriver, parce que tu sais que les suites vont être compliquées alors tu la repousses, tu l’évites mais elle ne veut pas partir.
Les angoisses arrivent, pas celles du début mais celles d’après, celles qui te font croire que l’histoire peu changer
Alors tu appelles le 15 ils sont là, ils te rassurent, tu dois trouver un médecin rapidement.
Il est tard Il n’y en a pas, il n’y en a plus, mais tu dois en trouver un quand même.
Un ami te donne les coordonnées d’un médecin, tu l’appelles, tu ne le connais pas, il est en famille et il vient comme ça tout simplement sans rien te demander parce qu’il est médecin.
Ton cœur est touché par cet homme, tu le remercieras plus tard c’est sûr.
Il t’ausculte , il écoute tes poumons, il n’a pas besoin de parler, j’ai compris alors il ne dit rien il sait que je sais
Je dois aller aux urgences
Je ne voulais pas y aller, surtout pas
Y aller c’est passer un cap, le cap que je ne voulais pas
Le film va commencer les acteurs sont en combinaison ils m’attendent.
Je me dis que je vais être un acteur de ce film
Non Ce n’est pas un film…
Nous sommes dehors dans une tente dans des boxes, je suis entouré de cris et de pleurs
C’est angoissant, un vieux monsieur gémit et pleure je me dit que je vais bien…
J’ai mal pour lui, j’ai mal pour cette mamie de 95 ans que j’entends à coté
Le personnel médical est bienveillant.
Je leurs décris les 10 jours passés, ils comprennent déjà
Le test arrive et son coton tige de 20 cm
On doit me faire un scanner des poumons pour vérification
Tu attends et entends les râles des autres qui sont là.
La peur s’installe il est 22H00 dans une tente sur le parking des urgences d’un hôpital.
Les résultats du scanner n’auront pas eu besoin des résultats de ce long coton tige.
Une docteure me regarde de loin, ses yeux me parlent, je comprends.
Vous avez le covid, vos poumons sont touchés on vous garde.
Alors je dois vraiment rester ? oui je vais rester
Je suis dans ma chambre je n’ai plus de fièvre mais je tousse
Tu es entouré de gens formidables les équipes se suivent
Ils n’ont que des yeux tu ne vois rien d’autres que leurs yeux…
Je suis seul face à moi.
Moi l’hyperactif des casseroles qui n’a plus de goût et d’odorat qui attend une seule chose
Le repas, un festin de courgettes à l’eau de betteraves en cubes et de biscottes du matin
J’aime ces moments qui me rallient à la suite.
12 iemes jours
J’ai peur, je vais mal, je crois que l’angoisse joue beaucoup.
Les nuits J’entends des bruits derrière les murs des gens comme moi
Leur toux n’est pas la même, je sais qu’ils ne vont pas bien
Alors je me dis que je vais bien
Mais Le tsunami est encore là, cette fatigue intense ne me lâche pas, je ne comprends pas.
14ième jours : Les yeux sont là, le doc me tape dans le dos et me dit que je vais bien il a l’air heureux de me dire ça
C’est le seul contact physique que j’aurai eu avec les yeux, cela me fait du bien
15ième jour : Museau vinaigrette, saumon haricot vert fromage blanc j’aime vraiment manger même sans goût, même sans odorat.
Je reçois des centaines de messages, je suis touché, je ne peux pas répondre à tous mais cela me fait du bien, je vais mieux.
Avant dernier jour : Les yeux me disent que je vais mieux, que les poumons vont bien.
Je rentre demain
Dernière nuit : J’entends encore ces râles intenses et cette toux qui transperce le mur de ma chambre
J’entends les yeux qui s’affairent il est trop tard pour avoir autant de bruit…
J’ai pleuré dans la nuit, j’en avais envie et besoin alors j’ai pleuré
Ce matin Les yeux me sourient je vais sortir.
Je me dis que je vais bien
J’ouvre ma porte de chambre et je découvre le service où je suis
La porte de mon voisin est entre ouverte
Je vois son lit, Il n’est plus là,
Je vois dans les yeux des yeux qu’il ne reviendra pas.
MERCI LES YEUX
Un chef hyperactif mais discret
Le chef bordelais d'origine rochelaise (Maître Cuisinier de France en 2008 et 3ème au Bocuse d'Or France) a créé en 2010 "L'Atelier du Goût" proposant des cours de cuisine pour les particuliers, et les entreprises. En 2017, il participe avec son Echoppe des Halles, à l'engouement autour des nouvelles halles de Bacalan.Chef hyperactif et enthousiaste, il est aussi depuis 2018, consultant culinaire du concept "So France" à Singapour ainsi que celui du Latitude vin, la brasserie de la cité du vin de Bordeaux.
Et c'est en 2019 qu'il acquiert le Bar de la Marine, à Bacalan, où il pratique une cuisine familiale et conviviale.