"Ils ont menacé leur famille au Maroc" : escroqués de 14 000 euros, salaires non payés, trois ouvriers viticoles portent plainte

Ce vendredi 3 février, trois travailleurs marocains ont porté plainte contre un employeur qui leur aurait soutiré 14 000 euros pour les faire travailler dans les propriétés viticoles du Libournais, en Gironde. Depuis leur arrivée en France, les trois hommes n'ont jamais été payés.

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Il leur aurait extorqué 14 000 euros. Ce mardi 4 février, trois travailleurs de la vigne ont porté plainte dans les gendarmeries de Coutras, Saint-Emilion et Castillon-la-Bataille pour “menace de crime contre les personnes avec ordre de remplir une condition”, contre leur employeur qui les faisait travailler pour le compte de plusieurs châteaux du Libournais, sans les rémunérer. Un nouveau cas qui révèle une pratique désormais rodée de ces passeurs : en 2024, huit cas ont été recensés, uniquement dans le secteur du Libournais.

14 000 euros

Pour Noureddine, tout démarre au Maroc. Un homme, connaissance de son père, assure à ce dernier qu’il peut trouver un travail et des papiers français à son fils. Le père s’endette et vend des terres pour payer les frais. Noureddine alors âgé d’une trentaine d’années, part en France et atterrit dans les vignes du Libournais en août 2023. “Il n’a eu qu’une carte de séjour saisonnière qui n’est plus valide”, explique Christian Delgado, membre du collectif Bienvenue aux travailleurs agricoles en pays foyen et en pays castillonais (BTAPFPC), une association qui aide les travailleurs saisonniers agricoles étrangers. Ces cartes de séjour saisonnières sont également liées à un patron spécifique. En cas de problème, le travailleur ne peut donc pas tenter de travailler ailleurs.

L'autorisation de travail de Noureddine indique qu'il aurait dû percevoir 1710 euros par mois. © Photo confiée par l'association

C'est malheureusement ce qu'il s'est passé, il y a maintenant un an et demi. Durant cinq mois, les trois hommes reçoivent des bulletins de salaire et des attestations employeurs, mais aucun argent ne tombe sur leur compte. “L’intermédiaire percevait leurs salaires et les conservait sur son compte en leur expliquant qu’il s’agissait de rembourser leur prétendue dette de 14 000 euros”, explique Christian Delgado. Pour Noureddine, son contrat et ses attestations indiquent un salaire à 1 710 euros bruts. Après, les travailleurs, en situation irrégulière, ont tenté de s'en sortir.

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Sur les documents officiels, un nom d'employeur, situé aux Peintures, en Gironde, est mentionné. Les travailleurs de la vigne ne l’ont pourtant jamais vu. Les douze travailleurs employés par ce Girondin n'échangent pas non plus avec les propriétés viticoles où ils travaillent.“On ne sait pas encore s’ils sont impliqués ou non, prévient Christian Delgado. Eux, n’étaient en contact qu’avec l’intermédiaire qui faisait office de chef d’équipe. Il les surveillait de A à Z.”

Menaces

Au salaire fantôme s'ajoute des conditions de vie alarmantes. Les trois hommes sont logés, via l'intermédiaire, chez “une femme d’origine africaine”. Chaque mois, ils lui payent un loyer de 170 euros. “Le logement est insalubre et ils étaient jusqu’à 12 à vivre dedans”, explique Christian Delgado, atterré.

Conscients de l’insalubrité des lieux, ils décident alors de porter plainte à la gendarmerie. “Suite à ces plaintes, l’intermédiaire a menacé les trois victimes ainsi que leur famille restée au Maroc, regrette Christian Delgado. Il a envoyé des hommes pour qu’ils retirent leur plainte. Ils ont fui à Castillon-la-Bataille parce qu’ils avaient peur.”

Depuis leur première plainte, les trois Marocains sont épaulés par l’association Bienvenue en pays foyen et en pays castillonnais pour faire avancer leurs affaires et leur permettre à la fois de régulariser leur situation et d'obtenir justice. De son côté, l’association a indiqué s’être rapprochée d’avocats pour monter des dossiers de prud’hommes. “Il faut qu’on puisse leur faire rattraper ces cinq mois de salaire qui n’ont pas été payés”, explique Christian Delgado.

Hausse de 6 %

Dans les tribunaux d'Aquitaine, ces affaires de traites humaines dans les milieux agricoles, et en particulier viticole, sont en augmentation. En Lot-et-Garonne, cinq personnes seront jugées en février prochain pour traite humaine sur 22 travailleurs marocains. D'autres habitants du département ont été jugés, pour des faits similaires, en novembre dernier. En Gironde, un père et son fils ont été condamnés en novembre 2024. Des affaires qui se multiplient ces dernières années. Au niveau national, le ministère de l'Intérieur note une hausse de 6 % en 2023.

Rien que dans le Libournais, huit cas, qui recensent pour certains plusieurs plaignants, ont été signalés. Pour les associations, la pratique de ces intermédiaires s’est démocratisée à mesure que les châteaux ont opté pour l’externalisation. “Ils ne recrutent plus directement, mais passent par des prestataires. Le problème, c'est qu’aujourd’hui, n’importe qui peut devenir prestataire de services”, regrette Christian Delgado. Dans le Médoc, autre terre viticole de Gironde, les affaires sont aussi de plus en plus nombreuses. “Il y a une cellule qui s’est montée avec Médecins du monde”, rappelle le président du collectif.

Dans les tribunaux d'Aquitaine, le nombre d'affaires liées à la traite humaine est en hausse constante. © France 3 Aquitaine

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Ce nombre croissant de cas a poussé l’association à se rapprocher des députés du département Mathilde Feld (LFI), Loïc Prudhomme (LFI), Nicolas Thierry (EELV), et la sénatrice Monique de Marco (Ecologistes), pour lutter contre ce nouveau fléau de l’emploi. “Nous sommes aussi en contact avec la MSA et le département pour faire une commission d’enquête pour alerter, voire faire bouger les choses”, explique Christian Delgado.

Plus visibles

Députée du Créonnais, Mathilde Feld est régulièrement confrontée à ces affaires. Pour elle, l'augmentation du nombre de cas relève aussi d'une visibilité accrue sur ces pratiques illégales. "Ces affaires sont plus visibles grâce au travail intense des lanceurs d'alertes comme les associations, l'inspection du travail, la police ou la justice", indique la députée de la 12ᵉ circonscription de Gironde.

Pour autant, ces dérives sont aussi générées par la modification des pratiques viticoles. "Avec la crise viticole et l'accumulation de normes administratives, de nombreux exploitants font appel à ces prestataires, qui leur permettent de s'exonérer des charges", regrette Mathilde Feld.

Parmi ces prestataires, il y a de gros faiseurs tout à fait dans la légalité, mais cela ouvre malheureusement aussi la porte à des profiteurs malveillants.

Mathilde Feld

Députée de la 12e circonscription de Gironde

Députée de la 12ᵉ circonscription, Mathilde Feld veut mettre en place un colloque pour identifier les manque qui permettent ces dérives. © TELMO PINTO / NURPHOTO

Face à cette situation, la députée souhaite organiser cette année un colloque autour de cette problématique, réunissant les acteurs de la filière, mais aussi l'inspection du travail, la police et la justice. "Nous souhaitons faire surgir les manques qu'ils pourraient y avoir et être à l'écoute des principaux concernés", précise la députée.

Manque de contrôle ou de suivi : le problème majeur résiderait dans les faibles moyens alloués aux services de l'inspection du travail. "La PFMOE [plateforme de main d'œuvre étrangère, NDLR] qui est vouée à faciliter les démarches pour engager de la main d'œuvre étrangère n'est plus suivie par l'inspection du travail évincée de la procédure. Ils ne peuvent plus vérifier les prestataires qui y sont référencés et cela ouvre la porte au crime organisé", illustre-t-elle. La députée demande également plus de moyens humains pour la structure. 

Carences et protection

Des carences humaines, mais également techniques, qui concernent des secteurs plus larges. "On peut évoquer les hébergements d'urgence pour les victimes. Il faut aussi qu'on puisse former des soignants, qui sont en première ligne, lorsqu'arrivent des travailleurs dans des états de santé effrayants", liste Mathilde Feld. 

Des espoirs que la députée craint voir s'éteindre avec les perspectives budgétaires du gouvernement. "Ce n'est pas avec le budget que le Premier ministre réduit de 24 milliards d'euros que nous allons pouvoir traquer ces profiteurs de crise", regrette l'élue.

Il faut que la société et l'État traitent mieux ces victimes que leurs tortionnaires.

Mathilde Feld

Députée de la 12e circonscription de Gironde

Dans ses axes de travail, la députée envisage également un travail sur la prise en charge des victimes et leur protection. "On parle de personnes esclavagisées, qui ont vécu des conditions de violence et de misère. Il faut qu'elles soient prises en charge pour continuer à témoigner", alerte Mathilde Feld.

Le risque, avéré au regard des situations passées, réside dans le retour contraint de ces victimes auprès de leurs agresseurs, faute souvent de logement ou de papiers en règle. "Dans la loi immigration de 2024, les conditions de régularisation ont été durcies, donne en exemple Mathilde Feld. Elle est désormais impossible pour toutes les personnes qui ont fait de faux papiers. C'est pourtant le cas de ces victimes qui souvent n'étaient pas au courant. Ça les condamne doublement."

Beaucoup de travailleurs étrangers victimes sont également logés dans les lieux insalubres. © France 3 Aquitaine

La prise de conscience est également d'actualité dans le monde judiciaire. Le parquet de Libourne a indiqué, lors d’un colloque, son engagement pour lutter contre ces réseaux de travailleurs clandestins et de traite humaine. “Il a l’intention de faire le ménage dans le Libournais, quitte même à saisir les biens des employeurs qui font subir la traite humaine”, assure le président du Collectif Bienvenue aux travailleurs agricoles en pays foyen et en pays castillonais, qui demande désormais la mise en place d’une structure pour assurer le suivi de ces plaintes.

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