"Juger, c'est une très lourde responsabilité" : sur 459 élèves magistrats formés, plus d'un tiers est en reconversion

L'École nationale de la Magistrature (ENM) de Bordeaux est la voie de passage obligatoire de tous les futurs juges et procureurs de France. Elle forme autour de 450 élèves chaque année. Des étudiants en droit, mais aussi de plus en plus de professionnels en reconversion. Tous sont sélectionnés en fonction de leurs qualités humaines.

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"C'est une école sécurisée, le public formé ici peut-être menacé. On a des portiques de sécurité, des agents, des sas... C'est la moindre des choses pour que les cours se passent bien", explique Henri-Pierre Godey, en charge de la communication de l'École nationale de magistrature (ENM) de Bordeaux. Ici, 350 élèves sont formés chaque année à la fonction de magistrat.

Passage obligé

En ce samedi 11 janvier, l'École nationale de la Magistrature, accolée au tribunal judiciaire de Bordeaux, s'apprête à recevoir 1 200 visiteurs à l'occasion de l'une de ses rares journées d'ouverture au public. "L'ENM a ouvert en 1958 et c'est seulement la deuxième journée portes ouvertes que nous organisons, mis à part les journées du patrimoine au mois de septembre", indique Violaine Frumin, coordinatrice des formations, ravie de voir l'intérêt que suscite l'univers de la justice.

La cour intérieure de l'École nationale de la Magistrature à Bordeaux © L. Bignalet

Avec ces portes ouvertes, la coordinatrice espère casser certains préjugés tenaces. "Le monde de la justice s'ouvre de plus en plus vers l'extérieur pour combattre cette image de tour d'ivoire inaccessible, reconnaît-elle. On veut renouer le lien de confiance avec les citoyens, qui malheureusement se délite. On espère transformer la méfiance en confiance".  

Dans les couloirs, des lycéens, des étudiants en droit et des professionnels de tous horizons échangent avec des hommes et des femmes en habit noir. Beaucoup ont parcouru des centaines de kilomètres pour découvrir cette prestigieuse école qu'ils rêvent d'intégrer. S'ils réussissent le concours, ils sont assurés d'exercer plus tard comme juge ou procureur dans l'un des 200 tribunaux français.

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Contrôleuse SNCF ou juriste en immobilier

Près de 3 000 personnes tentent, chaque année, le fameux concours d'entrée, réputé pour être l'un des plus ardus de France. Il affiche un taux de réussite d'à peine plus de 10 %.

Un obstacle que compte bien passer Julia, contrôleuse à la SNCF depuis quinze ans. "J'ai toujours voulu faire du droit et il y a trois ans, à la venue de mon deuxième enfant, je me suis dit, c'est maintenant, explique la trentenaire. J'ai repris mes études, ma licence est validée, et là, je suis en master 1 et je prépare le concours pour le mois de juin." 

C'est quelque chose qui m'a toujours habité, que j'ai toujours voulu faire, mais que je mettais de côté en me disant j'ai un travail, j'ai une situation, est-ce-que j'ai le niveau pour ?

Julia

Contrôleuse SNCF en reconversion

Autre postulante à la reconversion, Emma, est actuellement juriste dans le secteur de l'immobilier. "J'ai un doctorat en droit public, j'ai fait un peu d'enseignement puis j'en ai eu marre et j'ai pris un poste de juriste", détaille-t-elle.

Près de 1 200 personnes se sont rendues aux portes ouvertes de l'École nationale de la magistrature à Bordeaux. © France 3 Aquitaine

Maintenant, je ressens le besoin de donner du sens à mon travail.

Emma

Juriste dans l'immobilier

Comme Julia, elle a tenu à être présente aujourd'hui pour voir ce futur métier, de l'intérieur. "Intellectuellement, les magistrats ne s'ennuient jamais" imagine-t-elle.

"C'est maintenant ou jamais"

Si le rêve de ces femmes semble réalisable, c'est qu'elles sont loin d'être les seules à vouloir faire de la justice leur seconde vie. Une grande partie des élèves magistrats, appelés auditeurs de justice, viennent du monde professionnel. "C'est une vraie richesse pour la justice, assure Violaine Frumin, ils apportent leurs connaissances, leurs savoirs, leurs expériences".

Échange précieux entre un auditeur de justice en reconversion professionnelle et une femme qui s'interroge sur un éventuel changement de carrière © L. Bignalet

En cette journée de portes ouvertes, plusieurs auditeurs de justice en reconversion sont d'ailleurs venus témoigner de leur parcours et encourager les vocations. "Pour ma part, avant d'intégrer l'école, j'ai été gérant de société pendant plusieurs années", raconte un étudiant à Clara, une femme de 43 ans, tentée par ce changement de vie."J'ai passé le concours réservé aux professionnels et j'ai été accepté", confie-t-il. Un parcours qui semble allumer une flamme d'espoir dans le regard de la quadragénaire. "Oui, c'est maintenant ou jamais, reconnaît-elle. Plus jeune, j'aurais dû aller au bout de mes rêves. Aujourd'hui, ma fille a 13 ans, j'ai une vie, je suis établie. Ça fait un moment que je me questionne sur ma reconversion. Là, il ne faut pas passer à côté". 

Un peu plus loin, autre échange démarre avec une candidate pétrie de doutes. "Est-ce que vous avez le choix d'être juge des contentieux plutôt que juge d'application des peines ?", s'inquiète-t-elle. La réponse rassure rapidement la jeune femme. "Bien-sûr, chacun oriente sa carrière en fonction de ses choix, de ce qui lui correspond", explique une auditrice. "Il y a une grande diversité de fonctions dans la magistrature, et pas mal de stages pendant les études qui permettent de se rendre compte de la réalité de chaque poste". 

"Tout le monde est-il capable de juger ?"

Pour entrer dans cette école prestigieuse, les élèves sont sélectionnés sur leur connaissance du droit, leur bonne compréhension du monde contemporain, mais aussi sur leur personnalité. "Tout le monde est-il capable de juger ?", est-il demandé à Violaine Frumin. "Clairement, non", répond-elle sans aucune hésitation.

Les visiteurs, lycéens, étudiants en droits ou professionnels souhaitant tenter une reconversion sont venus de toute la France pour assister aux conférences et échanger avec les enseignants et auditeurs de justice. © L. Bignalet

Juger, ça veut dire décider, trancher. C'est ce qu'attendent les justiciables et c'est une très lourde responsabilité.

Violaine Frumin

Coordinatrice des formations à l'ENM

Autre point essentiel, le savoir-être. Une qualité absente des CV qui pèse pourtant lourdement dans la balance. "Les critères d'admission portent autant sur le savoir-faire que le savoir-être et le savoir organisationnel, poursuit la coordinatrice des formations. Pour nous, c'est d'égal importance. On va apprendre à tenir des réquisitions, tenir une audience et aussi savoir parler aux gens, savoir expliquer ce que l'on fait et savoir les écouter.

Un technicien du droit qui n'a pas ce souci d'accueil du justiciable, d'écoute, de compréhension, sera un mauvais magistrat.

Violaine Frumin

Coordinatrice de la formation des étudiants à l'ENM

Cette année, la promotion 2024 comptait 459 auditeurs de justice, dont 76% de femmes. L'âge moyen de ces élèves avoisine les 28 ans. Les inscriptions pour le prochain concours ouvriront le 20 janvier prochain.

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