Pour la quatrième fois consécutive, la mairie de Bordeaux organisait ce 23 janvier, la "Nuit de la Solidarité". Un moment d’échange et de rencontre vers les sans abris pour les recenser, saisir leur profils et, ainsi, mieux répondre à leurs besoins.
Sur la place Camille Jullian dans le centre-ville de Bordeaux, six bénévoles arborent le gilet orange de l'opération "Nuit de la solidarité". Ils font partie des 400 bénévoles qui ont répondu cette année à la demande d'aide de la mairie de Bordeaux, pour recenser les personnes sans abris sur la métropole. Une démarche qui se veut solidaire et qui rassemble, le temps d'une soirée, des travailleurs sociaux, des élus comme des habitants lambda. Ils constituent les nombreuses équipes envoyées dans les 97 secteurs du territoire.
"En pleine consommation"
Leur mission ? Sillonner les rues et les parkings du centre-ville. Pour chaque personne recensée dormant dehors ce soir-là, un questionnaire doit être rempli par l'équipe pour renseigner son niveau de précarité, lors du dialogue qui s'instaure entre les bénévoles et les personnes concernées. La démarche s'appuie sur une rencontre "volontaire" des deux parties.
Dans la nuit du 23 au 24 janvier,une dizaine de sans-abris se sont réunis dans un sous-sol place Camille Jullian. Le moment est délicat. "On est tombé sur un moment où ils étaient en pleine consommation (de drogue, ndlr), raconte Arnaud Dugay, médiateur social."Ce n'est pas le moment idéal pour échanger, dialoguer et remplir le questionnaire. Et la médiation sociale se fait que sur le consentement de la personne", précise-t-il.
Une règle de respect qui permet d'approcher et éventuellement dialoguer avec les personnes pour en savoir plus sur leur profil. Depuis combien de temps sont-elles à la rue, d'où viennent-elles ? Quel est leur âge, leur état de santé, leur besoin de soins et, bien sûr, de logement ?
L'équipe préférera donc poursuivre l'opération sans aller au contact de ces personnes. Un contretemps qui montre la difficulté de l'exercice et surtout la diversité de profils rencontrés notamment ce soir-là.
"De pire en pire"
Parmi les personnes rencontrées, "Rachel", 54 ans, a accepté de témoigner, de façon anonyme. Cela fait deux ans et demi qu'elle est à la rue, "pour fuir les violences domestiques". Une situation difficile également pour sa fille qui l'a suivie dans sa fuite mais est aujourd'hui "placée".
Elle témoigne de la dureté de sa vie dans la rue. "C'est de pire en pire", assure-t-elle. Et la quinquagénaire de décrire des violences rapportées, de l'insécurité grandissante pour les sans-abri. "Il y a un petit, la semaine dernière, de 24 ans qui est décédé dans un parking pendant qu'il dormait". Un règlement de compte violent sur fond de drogue, d'après Rachel. "Il l'ont attrapé par-derrière avec une ceinture et l'ont poignardé. Tout ça parce qu'il avait refusé un caillou à fumer".
Pour s'assurer d'un minimum de sécurité, la quinquagénaire a formé un binôme avec une autre femme plus jeune, "pour qu'on se surveille". "On veille le plus possible et, dans la journée, on est dans les trams. Parce que maintenant, dans les parkings, c'est horrible"!
392 sans-abris recensés
Ce sont, en tout "400 bénévoles, 180 agents de la Ville, du CCAS et de la Métropole, 80 agents des services de l’Etat et de nombreux partenaires" qui ont été mobilisés une partie de la nuit et qui, selon la mairie de Bordeaux, "ont permis le bon déroulement de cette opération d’envergure".
Des "équipes spécifiques", d'après la mairie de Bordeaux dans un communiqué au lendemain de l'opération, étaient également en charge de venir à leur rencontre "dans les transports publics, porte de Bourgogne, place des Quinconces, gare Saint-Jean, autour du Lac, quai de la Souys, dans les parkings, lors des distributions alimentaires". Ce 24 janvier, on en sait un peu plus sur ces Bordelais invisibles.
392 d’entre elles ont été recensées par les équipes qui ont sillonné les rues à pied dans la ville et les campements.
Communiqué de la mairie de BordeauxVendredi 24 janvier
Le sans-abrisme touche tous les publics : femmes, enfants, hommes, de tous âges, personnes seules, couples, familles. Ce sont donc 392 personnes qui ont été approchées par les équipes durant cette nuit de recensement. À ce chiffre, "s’ajoutent 245 personnes en bidonvilles", précise les services de la ville de Bordeaux dans ce même communiqué. 124 personnes en squat ont également été dénombrées.
Ces dernières personnes, vivant en bidonville ou en squats, "n’ont pas été rencontrées lors de la Nuit de la Solidarité mais recensées sur la plateforme de résorption des squats et bidonvilles de la Délégation interministérielle de l’hébergement et de l’accès au logement (DIHAL)". L’an dernier, 466 personnes sans abris avaient été référencées via ce dispositif.
Plus d'hébergement d'urgence
Ces données fluctuent chaque année en raison notamment des expulsions réalisées et des mouvements de populations observés dans la métropole. Au lendemain de l'opération, le maire de Bordeaux reste concerné par le nombre toujours élevé des personnes à la rue.
"Si nous constatons une diminution du nombre des personnes recensées, la situation demeure préoccupante. Nos efforts conjugués peuvent porter leurs fruits, nous le voyons. Il nous faut les poursuivre et les amplifier".
Thierry Bergeron est directeur départemental de l'emploi, du travail, des solidarités auprès du préfet de Gironde. Il précise qu'on dispose de "2 252 places d'hébergement en Gironde et un budget de près de 39 millions d'euros déployés sur les différents dispositifs d'accompagnement des personnes vulnérables". C'est à dire 200 places supplémentaires par rapport à 2024.
Mais ces dispositifs se doivent d'être adaptés au profil de ces personnes qui pour certaines viennent de basculer dans cette situation et sont encore proches d'une réinsertion, ou d'autres plus âgées, plus concernées parfois par les addictions.
"On ne peut pas demander à des gens en extrême précarité de rentrer dans des cases", résume Harmonie Lecerf, l'adjointe en charge de l'accès aux droits, des solidarités et des seniors. "Parfois, même de rentrer, de dormir à l'intérieur est difficile pour des personnes qui ont été à la rue longtemps".
Fort de recensement ponctuel solidaire et surtout grâce au travail de tous les médiateurs et des associations tout au long de l'année, la mairie a mis en place plusieurs actions, l'an dernier. Comme le fait de doubler le financement du nombre de nuitées hôtelières pour la mise à l’abri en urgence, de mettre à disposition de patrimoine municipal auprès d’associations pour l’hébergement de familles. Mais aussi l'ouverture de 16 places d’hébergement pour femmes avec ou sans enfants, à la rue ou en risque de rupture d’hébergement et 15 places d’hébergement pour l’accueil de personnes isolées ou en couple vivant en campement.
Par ailleurs, la ville a procédé à l'aménagement d’un espace adapté pour faciliter l’accès aux douches, place de la République.