Le Conseil départemental de la Gironde avait déposé un recours concernant le placement à l'Aide Sociale à l'Enfance de 19 mineurs étrangers. Un placement qui avait pourtant été ordonné par le juge pour enfants. Aujourd'hui il a finalement fait marche arrière et annulé ces procédures.
Rétropédalage du Conseil département
Une journée riche en rebondissements. Ce matin Emanuelle Ajon, en charge au Conseil départemental de l'Aide Sociale à l'enfance, nous confiait que les dossiers seraient étudiés un à un, et que certains seraient peut-être sortis de la pile. Finalement c'est la totalité d'entre eux qui font l'objet d'un rétropédalage.
Marche arrière toute donc. Le Conseil départemental annule les 19 recours. Que ce serait-il passé si les associations n'avaient pas tiré la sonnette d'alarme. Toujours est-il que l'erreur a été reconnue par la voix d'Emmanuelle Ajon :
Méprise est le bon mot, nous avons suspendu tous les appels, ils n'avaient pas raison d'être en effet, explique Emmanuelle Ajon.
Emmanuelle Ajon recevait aujourd'hui à 14 h les membres de l'association MIE. Ensemble, ils ont étudié chaque dossier. À l'issue de cet entretien, plus personne ne devra comparaître devant la Cour d'appel de Bordeaux.
Ecoutez l'interview d'Emmanuelle Ajon, vice présidente du département de la Gironde en charge de la protection de l'enfance :"C'est un vrai soulagement, sourit Armonit de l'ADMIE, car ces jeunes étaient très angoissés"
Un courrier inattendu
« Je ne m’attendais pas à ça », concède Ibrahim, 15 ans, camerounais.
C’etait pourtant écrit noir sur blanc sur le courrier qu'il avait reçu fin avril : "appel interjeté par le Conseil départemental de la Gironde d'une décision rendue le 2 avril 2019 par le juge des enfants de Bordeaux". Il avait donc eu trois semaines de répit seulement.
Comme, lui 18 autres jeunes mineurs étrangers, se sont retrouvés dans le doute, voire la crainte de se retrouver à nouveau à la rue après avoir reçu ce même courrier émanant du Tribunal correctionnel de Bordeaux leur demandant de comparaître le 6 juin devant la Chambre chargée des Mineurs de la Cour d'appel.
En apprenant la nouvelle, plusieurs associations, dont l' ADMIE, s'étaient emparées du dossier. Elles ont interpellé Emmanuelle Ajon sur la question, il y a une quinzaine de jours. Mais la vice-présidente du conseil départemental, en charge de l'aide sociale à l'enfance (ASE), "semblait étonnée", explique Emma de l'association Hebergeurs Solidaires.
Le Tribunal pour enfants avait pourtant ordonné leur placement
Ces 19 jeunes, à leur arrivée en France, sont passés devant le Saemna. Le Service d'Accueil et d'Evaluation des Mineurs Non-Accompagnés est chargé par le conseil départemental de faire une première estimation. Il doit juger si ces jeunes sont bien mineurs, étrangers et isolés, donc vulnérables. Ces 19 jeunes avaient été retoqués, le Saemna ayant considéré qu'ils n'étaient pas mineurs.Tous avaient donc décidé de déposer un recours devant le juge, certains grâce à l'aide d'avocats appartenant au pôle MNA créé par le barreau de Bordeaux. Nous avions d'ailleurs assisté à l'audience durant laquelle Ibrahim et son avocate avaient fait valoir sa minorité et son besoin de prise en charge. Vous pouvez, dans la vidéo ci-dessous, voir un extrait de ce magazine diffusé le 15 mais dernier dans Enquêtes de Régions sur France 3 Nouvelle-Aquitaine. À l'issue de cette audience, Laurent Gébler, juge pour enfants, avait ordonné le placement d'Ibrahim estimant qu'il était bien mineur, d'autant que les papiers d'identité qu'Ibrahim avait fourni avaient été validés par la police aux frontières. Même décision du juge pour les dix autres jeunes, le juge avait décidé de leur placement à l'aide sociale à l'enfance.
"Cela ne me choque pas que mes décisions puissent être contestées."
Contacté ce matin par téléphone, Laurent Gébler, juge pour enfants, n'avait pas été surpris par cet appel interjeté par le Conseil départemental. "C’est un droit", explique-t-il, "de même que des MNA peuvent faire appel quand une décision leur est défavorable". "C’est donc légitime que le département fasse appel" dit-il. "Il est important de savoir qu’aucun juge n’est infaillible, personne ne peut avoir la certitude qu'un jeune est bien mineur, pas même moi, à chacun de forger son appréciation avec les outils dont on dispose".Heureusement que ces mécanismes existent pour que l’appel puisse avoir lieu, cela ne me choque pas que mes décisions puissent être contestées, expliquait le juge pour enfants.
Une chose est sûre, ces appels du Conseil départemental sont en augmentation. Idem pour les audiences devant le juge. La raison est évidente : le nombre de mineurs étrangers arrivant sur le sol français explose.
En mars 2017, des chiffres éloquents paraissaient : le nombre de jeunes migrants arrivés en Gironde avait doublé en 3 ans. On estime qu'actuellement près 1100 MNA sont pris en charge dans le département. Et il bien difficile pour le conseil départemental de faire face.
Des efforts ont été faits, des places supplémentaires en foyer ont été créées, mais cela ne suffit pas. La preuve, depuis son passage devant le juge, Ibrahim n'a toujours pas obtenu de place en foyer. Le département lui a donc trouvé en attendant une chambre d'hôtel à Carbon-Blanc. Bien loin de la prise en charge humaine qu'il espérait. En attendant il continue de se rendre tous les jours au collège où il est inscrit en 3e prépa pro cuisine.
La raison de ce couac : "une surractivité permanente" au département
Emmanuelle Ajon a tenu à expliquer cet incident. Et une fois de plus c'est le même constat qui revient : le Conseil départemental manque de moyens humains et financiers."J'ai des équipes de la protection de l'enfance qui sont dans une surractivité permanente et qui peuvent parfois avoir des erreurs de jugement", a-t-elle déclaré.
"Ce sont pour autant de très bons professionnels". "Nous avon embauché, mais cela ne suffit pas car tous les jours les jeunes étrangers qui arrivent sont de plus en plus nombreux et il faut aussi des services pour traiter tous ces dossiers" explique-t-elle.
Les services du département nous ont assuré que d'ici la mi-juin, une place en foyer serait trouvée aux neuf MNA vivant dans un hôtel à Carbon Blanc. A priori "c'est l'association Don Bosco va s’en occuper".