Panique dans les collèges et lycées. La partie collective du pass Culture, qui leur permet de financer des sorties, vient d'être gelée par l'État pour 2025. Les enseignants craignent de ne pas pouvoir achever leurs projets, laissant de nombreux acteurs culturels sur le carreau.
Les caisses sont vides, ou presque. Les collèges et lycées français n'ont plus que 10 millions d'euros à se partager jusqu'à la fin de l'année scolaire pour financer les projets culturels proposés aux élèves. Depuis quatre ans, ces sorties au musée, projections de films, spectacles ou encore interventions d'artistes en classe sont rendus possibles grâce à la partie collective du "pass Culture" de l'Etat. Mais, le couperet est tombé ce vendredi 31 janvier : la période de mai à juin 2025 sera plafonnée à 50 millions d'euros et 40 millions ont déjà été engagés.
De nombreux projets mis à l'arrêt
"Un artiste devait accompagner les jeunes dans un projet d'écriture et de peinture d'une fresque, cela va probablement tomber à l'eau, alors qu'il avait commencé à travailler dessus. L'accueil d'élèves allemands est remis en question aussi... Une partie des visites devait être payée avec le pass Culture", illustre Antone Barral, représentant SNES au lycée Pape-Clément de Pessac.
Dans cet établissement girondin de 1 600 élèves, environ 15 000 euros (sur les 35 000 versés à ce titre par le ministère de l'Éducation nationale) n'ont pas encore été utilisés. "Ils vont passer à la trappe", conclut Antone Barral.
Le financement des collectivités locales ne permet que de chauffer et de nourrir les élèves. Sans le pass Culture, on ne peut pas financer de projets culturels sur le temps scolaire.
Aude NeveurProfesseure d'histoire
En salle des profs, personne ne comprend cette décision brutale. Le "pass Cutlure" était l'une des promesses de campagne de l'élection présidentielle d'Emmanuel Macron en 2017. Le premier à avoir été lancé, à partir de 2019, est un pass "individuel" qui prévoit le versement d'un chèque de 300 euros à l'âge de 18 ans, utilisé pour s'offrir des livres, des places de concerts ou encore une entrée à une exposition. Celui-ci est régulièrement critiqué. Sa liberté d'utilisation ne permettrait pas de guider les jeunes vers de nouvelles pratiques culturelles, confirme un premier bilan de Cour des comptes publié en décembre 2024.
Au contraire, avec le pass "collectif", déployé dans les collèges et lycées depuis 2021, l'utilisation de l'enveloppe allouée à chaque établissement selon le nombre d'élèves (entre 20 et 30 euros par tête) permettrait de mieux atteindre les objectifs de départ. "Ce dispositif est intéressant en tant qu'ouverture culturelle pour les élèves. On les amène à la découverte d'un certain type de cinéma, à la rencontre d'artistes, auxquelles ils n'auraient pas forcément accès dans leur quotidien", développe Antone Barral. "Il nous permet de faire des projets, sans demander de l'argent aux familles", ajoute Aude Neveur, professeure d'histoire, dans le même établissement.
Ce dispositif n'est pas du tout un gadget pour nous. Il s'intègre dans une progression pédagogique et a une vraie valeur ajoutée pour le parcours de l'élève et son ouverture sur l'extérieur.
Antone BarralReprésentant SNES dans un lycée en Gironde
Dépassement de 35 millions d'euros en 2024
Pourtant, à ce jour, le pass "individuel" n'est pas concerné par un gel de budget. Dans un courrier du jeudi 30 janvier, la rectrice de l'académie de Bordeaux indique que "97 millions d'euros ont été dépensés sur l'année civile 2024" pour la part collective du pass, alors que 62 millions étaient prévus dans le budget. Le pass serait donc victime de son succès cette année. "Afin de permettre le maintien du dispositif à la rentrée scolaire 2025, il est nécessaire de réguler la dépense au niveau national pour la période de janvier à juin", justifie-t-elle.
Ils viennent de se rendre compte que cela marchait, que cela coûtait pas mal d'argent, donc ils sont en train de freiner des quatre fers. Pour l'instant, il n'est pas question d'arrêter le pass, mais on nous montre que l'enveloppe n'est plus aussi ouverte qu'avant.
François AyméDirecteur d'un cinéma qui propose des séances pass Cutlure
Au-delà des milliers d'élèves concernés en ville, dans des quartiers prioritaires ou les territoires ruraux, de nombreux acteurs culturels vont être touchés par cette décision. Parmi eux : les opéras et lieux de projections cinématographiques, deux endroits où le pass Culture collectif est le plus utilisé. "Lorsque le dispositif a été lancé, en période post-Covid, cela a permis de relancer la dynamique dans les salles. Cela a fait beaucoup de bien aux exploitants qui se posaient des questions sur la suite", confirme l'Association des cinémas de proximité de la Gironde (ACPG).
Même constat, par exemple, sur le Festival international du film d'histoire de Pessac, où le nombre de séances pour les scolaires a bondi sur les trois dernières années. "Une projection de film pour les scolaires est accompagnée d'un échange avec un historien, un réalisateur. Une sortie avec le pass culture, ce n'est pas juste aller au cinéma. Il y a une médiation, un vrai travail en lien avec le programme des élèves", défend le commissaire du festival, François Aymé.
On tombe des nues. C'est une annonce brutale pour tous les acteurs culturels.
Association des cinémas de proximité de la Gironde
"L'arbre qui cache la forêt"
Dans la panique, après le courrier des différents rectorats jeudi, les professeurs se sont précipités sur le logiciel dédié pour sécuriser les activités culturelles jusqu'à la fin du mois de juin. En espérant que ce qui serait validé rapidement, ne pourrait être remis en question. "Le site a buggé à cause de l’affluence... On laisse passer le week-end, on verra la semaine prochaine quelles sorties passeront”, commente Aude Neveur, qui regrette le "désengagement de l'État" et "les économies sur le service public".
Tous les enseignants refusent de tomber dans une "course à l’argent" ou dans le principe du "premier arrivé premier servi", qui pénaliseraient forcément les élèves, alors que de septembre à décembre 2025, il faudra faire avec 22 millions d'euros pour tous les établissements. "On craint que la décision de cette semaine soit l'arbre qui cache la forêt, songe Aude Neveur. Qu'elle ne soit que le début des problématiques financières qui nous attendent pour la prochaine rentrée."