"Ras-le-bol de compter nos mortes" : comment Nasrine, 41 ans, est devenue le 5ᵉ féminicide de l'année 2025

Une marche blanche est organisée ce lundi 13 janvier pour rendre hommage à Nasrine, égorgée par son mari jeudi dernier, à Cenon près de Bordeaux. À l'origine de cette mobilisation, Naïma Charaï revient sur les rouages des féminicides comme celui-ci. Le 5ᵉ depuis le début de l'année.

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Elle s'appelait Nasrine. Cette coordinatrice de gestion budgétaire à la mairie de Cenon, ville de la métropole bordelaise où elle vivait, avait 41 ans. Le jeudi 9 janvier, à 17 h 26, elle est devenue le cinquième féminicide de l'année 2025. Quelques heures plus tôt, son mari l'a égorgée de 15 coups de couteau dans leur appartement.

136 féminicides en 2024

"Nous en avons ras-le-bol de compter nos mortes. L'année dernière, nous avons connu 136 féminicides", s'émeut Naïma Charaï, directrice de l'Association pour l'accueil des femmes en difficulté (Apafed). Cette dernière, co-organise, avec la municipalité et d'autres collectifs féministes, un "femmage" à Nasrine E, ce lundi 13 janvier à 12 heures, devant l'Hôtel de Ville de Cenon.

Engagée dans la lutte pour les droits des femmes depuis des années, Naïma Charaï a immédiatement réagi à l'annonce du féminicide de Nasrine, évoquant "un drame abominable". © Vincent Piffeteau / FTV

Après le drame meurtre de Nasrine, Naïma Charaï veut balayer les clichés selon lesquels "seuls les auteurs désinsérés, en difficulté sociale, culturelle, économique, seraient auteurs de violences conjugales". Ces crimes sont commis dans tous les milieux, même dans les familles décrites comme "sans histoire".

"Chaque femme peut être victime de violences conjugales et chaque homme peut être auteur. On le voit avec le procès de Mazan. Ces hommes ordinaires qui ont violé une femme sédatée avec la complicité de son mari", insiste-t-elle.

Selon l’INSEE, 14 % des femmes, dans le courant de leur vie, vont être victimes de violences conjugales. Il faut une mobilisation de la société dans son entièreté parce que chacun et chacune peut être concerné.

Naïma Charaï

Directrice de l'association Apafed

Nasrine et son mari ont eu trois enfants âgés de 5, 8 et 10 ans. Le plus jeune d'entre eux était présent dans une chambre de l'appartement au moment du drame. Après les faits, Youcef E. a lui-même appelé les secours pour leur indiquer avoir tué sa femme. Dans leur entourage, "tout le monde est choqué, traumatisé. Elle était très aimée de ses collègues", confirme l'ancien maire de Cenon.

Des milliers d'appels à l'aide

En 2024, près de 1 500 femmes ont été reçues à l'Apafed. L'association dispose d'un centre d'information, d'écoute et une structure d'hébergement. Elle constate au quotidien une augmentation des violences, en nombre, et en intensité. "Sur le centre d'accueil et d'écoute Gisèle Halimi, on a reçu des milliers d'appels de femmes qui demandent de l'aide", continue la directrice. Mais toutes les victimes ne sont pas suivies par une association. Nasrine, par exemple, n'apparaît pas dans les fichiers de l'Afaped.

Tant que l'on n'aura pas aboli le patriarcat, tant que les hommes considéreront que les femmes sont leur possession, nous serons encore dans ce décompte macabre. Les féminicides sont des crimes de possession, de domination.

Naïma Charaï

Directrice de l'association Apafed

Les violences conjugales dénoncées par toutes ces femmes sont autant physiques que verbales, psychologiques ou administratives. "Le fait de ne pas pouvoir avoir accès à sa carte de Sécurité sociale, à son livret de famille, ce sont des violences administratives. Ça peut être aussi des violences économiques : le contrôle de son salaire. Ça peut s'exercer de manière diffuse, graduée", rappelle Naïma Charaï. Des signaux permettent d'alerter, "il n'y a pas de violences soudaines", constate-t-elle.

Éduquer à "la culture de l'égalité"

Alors que 80 % des plaintes pour violences sont classées sans suite, les associations d'aide aux femmes victimes réclament depuis des années une meilleure prise en charge et davantage de moyens. Pour l'Apafed, il est nécessaire de travailler autour de quatre piliers : prévention - éducation, sensibilisation, protection et punition. "Si l'on n'éduque pas les petites filles et les petits garçons à la culture de l'égalité, nous pleurerons encore des Nasrine demain", juge sa directrice.

Dans les affaires de violences conjugales, les sanctions pénales varient en fonction du type et de la gravité des faits. "Aujourd'hui, les peines sont trop légères. Si nous ne punissons pas de manière ferme, les hommes vont considérer qu'ils sont autorisés à être auteurs de violences psychologiques, verbales, physiques", considère Naïma Charaï. L'infraction est considérée comme aggravée s'il existe un lien affectif entre la victime et l'auteur.

LIRE AUSSI : "Il y a un avant et un après Chahinez Daoud" : trois ans après le féminicide de Mérignac, les avancées en matière de violences conjugales restent timides

Dans le cadre du meurtre de Nasrine, Youcef E. a réitéré ses aveux lors de sa garde à vue et de sa mise en examen. Il a été placé en détention provisoire samedi 11 janvier, dans l'attente de son procès. S'il est reconnu coupable, il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

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