Le 2 janvier 2021, Lionel Sess, un jeune garçon de 16 ans, est tué dans une fusillade dans le quartier des Aubiers. Trois autres amis sont grièvement blessés par les tirs. Quatre ans plus tard, l’un d’entre eux s’est confié sur son traumatisme et son quartier "où il manque désormais quelqu'un".
Ils vendaient des boissons et des gâteaux pour s’offrir des vacances au ski. Ce soir du 2 janvier 2021, le quartier des Aubiers est animé. Le soleil vient de se coucher et certains habitants, qui font le ramadan, sont devant la petite table de ces quatre amis pour acheter des pâtisseries.
"Fumez les petits"
Dans la nuit tombée, une voiture fait irruption près de la place Ginette Neveu, où le petit groupe était installé. À son bord, plusieurs personnes armées sortent des mitraillettes. “J’en ai entendu un crier “Fumez les petits”, explique Guyllain Fourn, l’un des trois amis blessés dans cette fusillade, qui s'était exprimé une première fois dans les colonnes du Figaro et a accordé un entretien à France 3 Aquitaine. Ils nous ont tiré dessus comme des lâches, on n’était pas armés.”
Les jeunes tentent de fuir, en vain. "J’ai reçu une balle dans l'omoplate, dans le bras et derrière l’oreille. Je ne sentais plus mon bras, j’ai cru qu’on allait l’amputer, se souvient Guyllain Fourn. J’ai réussi ensuite à me cacher derrière un mur.” Deux autres jeunes sont également blessés. Lionel Sess, 16 ans, ne survivra pas à l’assaut. “J’ai perdu un ami”, souffle Guyllain.
J’ai peur, on a peur que ça se reproduise.
Guyllain Fourn,Victime de la fusillade du 2 janvier, ami de Lionel Sess
Les mots de Guyllain Fourn sont rares, tus pour beaucoup par la pudeur et la dignité. Derrière le regard fixe du jeune homme de 20 ans, les images défilent encore. “Je n’arrive pas trop à dormir la nuit, je pense souvent aux scènes lorsque j’entends des détonations”, confie-t-il.
Procès le 12 mai
“Sans jamais oublier”, le jeune homme tente aujourd’hui de se reconstruire. “Je compte travailler dans le monde de la cuisine et m’en sortir. Je ne veux pas que ce soit un blocage dans ma vie. Il faut que j’avance au maximum”, répète Guyllain, comme un mantra qu’il applique depuis toutes ces années.
D'ici à quelques mois, il devra pourtant faire face à ses assaillants lors d’un procès, qui se tiendra du 12 au 23 mai prochain. À la barre, trois hommes seront entendus. “J’attends que la justice fasse son travail. Qu’ils aient les peines qu’ils méritent”, répond sobrement Guyllain Fourn. Déjà dans le quartier, chacun se prépare à cette audience. Des tenues, notamment des t-shirts à l’effigie de Lionel sont notamment prévus.
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Les trois survivants ont d’ailleurs choisi de rester vivre aux Aubiers. “C’est un quartier très solidaire, on est très soudés. Mes amis venaient me voir souvent, toute ma famille et mes amis sont ici”, explique Guyllain Fourn.
"Des gens comme les autres"
La mort de Lionel Sess a pourtant jeté une ombre sur ce quartier auparavant “joyeux”. “Le quartier est triste, c’est comme s’il manquait quelqu’un. Les gens ne sont plus soudés comme avant, la disparition de Lionel a changé beaucoup de chose”, illustre son ami.
Pour l’avocat de la famille de Lionel Sess et de Guyllain Fourn, le drame a surtout créé des “fantasmes” sur le quartier. “Quand on parle de fusillade, on pense forcément au trafic de stupéfiants. Les gens se disent alors que les loups se battent entre eux et qu’ils n’avaient pas à verser là-dedans. Penser ça de cette affaire, ce serait faire offense à la mémoire de Lionel”, avance Yann Herrera.
Une image caricaturale, véhiculée par les faits-divers relayés dans la presse, qui stigmatisent les habitants de ces barres d’immeuble. “ Ils me disent souvent que même s’ils sont dans un quartier que la vie leur a imposé, ils sont des gens comme les autres qui tentent de s’en sortir convenablement”, martèle Yann Herrera.
Il ne faut pas que la justice détourne le regard. Ces gens n’ont pas à voir leurs enfants mourir sous les balles, ils n'ont pas à être attaqués comme ça.
Me Yann Herrera,Avocat des familles de Lionel Sess et Guyllain Fourn
“Avocat du quartier”, il décrit des habitants “solidaires”, “chacun est blessé par ce qu’il s’était passé”. “Personne n’a pour autant cédé à la tentation de se faire justice soit même, chacun est resté digne. Il n’y a eu aucune manifestation de colère, d’appel à la haine ou à la vengeance, rappelle-t-il. Maintenant, ils attendent que justice soit faite.”
Cette dignité, c’est justement le mot d’ordre d’un rassemblement prévu ce dimanche 12 janvier. Un hommage est organisé au cimetière de Bordeaux-Nord. Il sera précédé d’un rassemblement silencieux, aux Aubiers.