Le Chili celèbre le "Winnepeg", bateau parti de Pauillac pour sauver des réfugiés espagnols grâce à Neruda

Ils étaient plus de 2.000, fuyant la guerre civile espagnole, et c'est grâce à un bateau parti de Pauillac qu'ils trouvèrent leur salut: le Chili célèbre cette semaine les 75 ans de l'arrivée sur ses côtes du Winnipeg, affrété de France à l'initiative du poète chilien Pablo Neruda.

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Victor Pey, 99 ans aujourd'hui, était l'un d'eux. Employé en Catalogne dans la fabrication d'armes et de munitions pendant la guerre civile (1936-1939), il a dû quitter l'Espagne, comme des milliers de réfugiés, quand les troupes franquistes sont entrées dans Barcelone.
"Mon frère et moi, nous avons traversé les Pyrénées avec une boussole, en hiver, et nous nous sommes arrêtés dans un camp de réfugiés", raconte-t-il à l'AFP.
Arrivé à Paris, il lit dans le journal que Pablo Neruda, alors consul pour l'immigration espagnole à Paris, réalise des entretiens avec des Espagnols pour les emmener au Chili.

Le poète, bouleversé par l'assassinat de son ami et également poète, l'espagnol Federico Garcia Lorca, en août 1936, a alors pris fait et cause pour le camp républicain. Et il a convaincu le président chilien de l'époque, Pedro Aguirre Cerda, de gauche, d'affrêter un bateau vers le Chili pour y transporter des réfugiés espagnols.

Alors que la France est sur le point de sombrer dans la Seconde guerre mondiale, Victor Pey se rend au consulat chilien pour répondre aux questions de Pablo Neruda,qui prend des notes sur un carnet.

"J'ai cru que c'était perdu d'avance, parce que l'entretien avec Neruda n'a pas été très chaleureux, mais au bout de dix jours j'ai reçu un avis nous demandant d'embarquer immédiatement sur le Winnipeg, à Trompeloup" (Pauillac, Gironde).


Au total, quelque 2.200 Espagnols --pêcheurs, paysans, ouvriers, intellectuels, anciens militaires, mais aussi des enfants-- fuient ainsi l'Europe à bord du cargo.

"Nous n'avions pas d'autorisation pour vivre en France, et nous avions peur d'être déportés", se souvient Mercedes Corbato, qui a elle aussi fait le voyage. "Cela a été un grand bonheur de pouvoir monter dans ce bateau, qui allait nous amener vers la liberté", dit-elle, à l'occasion d'une rencontre organisée entre survivants pour le 75ème anniversaire de l'arrivée du Winnipeg.

Le voyage dure exactement 30 jours. Dans le bateau, de 4.500 tonnes, les cales sont aménagées avec des matelas pour faire dormir les réfugiés. Une cale sert de cantine.

Le Winnipeg touche terre le 3 septembre 1939.

"Nous sommes arrivés à la tombée de la nuit au port de Valparaiso" et "la première chose que l'on a vue, c'était très joli, les collines de Valparaiso toutes illuminées", explique Victor Pey. Le jour suivant, la majorité des voyageurs prend un train pour Santiago, la capitale, où "une foule de gens nous a reçus avec beaucoup de tendresse".
Le bateau, lui, eut moins de chance: alors que la Seconde guerre mondiale éclatait, il fut détruit par l'armée nazie, selon l'historien espagnol Mario Amoros.
Selon Victor Pey, une grande partie des Espagnols arrivés ainsi au Chili ont trouvé du travail rapidement. Ils firent leur vie dans ce pays... jusqu'à ce que l'histoire joue un mauvais tour à certains d'entre eux.
Car après le coup d'Etat d'Augusto Pinochet, en septembre 1973, nombre de réfugiés espagnols qui avaient sympathisé avec la gauche du gouvernement déchu de Salvador Allende, dont Victor Pey était même devenu un ami, ont dû fuir à nouveau.
Mais Victor se rappelle surtout du beau geste de Pablo Neruda, "qui a permis que je garde ma vie, mon travail et ma dignité".

Dans ses mémoires, le poète, décédé en 1973, s'en souviendrait, lui, comme de "la plus noble mission (qu'il a) accomplie dans (sa) vie".
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