Ce sont les plus hauts magistrats du Limousin. Privés pour la seconde année de leur audience solennelle de rentrée, le premier président et la procureur générale de la Cour d'appel de Limoges, ont convié la presse pour dresser le bilan de l'activité judiciaire des juridictions des trois départements en 2021.
Un magistrat limousin a traité l'an dernier une moyenne de 320 dossiers
Les juges du siège et du parquet dans les juridictions de Limoges, Brive, Tulle et Guéret sont au nombre de 68. Ils se sont prononcés sur 12.000 affaires civiles et 10.000 affaires pénales en 2021, sans compter celles qui ne vont pas jusqu'à un jugement mais qui mobilisent temps et personnel. Une activité intense, qui plus est en augmentation. Parallèlement aux affaires nouvelles, ils ont dû faire face au retard pris pendant les périodes de confinement de 2020. Une activité soutenue à laquelle magistrats et greffiers ont dû s'adapter. Quelques réorganisations de services, d'autres méthodes, quelques recrutements ont permis de travailler de concert pour améliorer notamment les délais, tant de jugements que de dates de première audience.
Une priorité donnée à la politique familiale
L'effort pour réduire les délais porte ses fruits notamment dans les affaires familiales. Le justiciable peut aujourd'hui espérer voir un juge examiner un contentieux après divorce ou hors mariage, dans un délai de deux mois et demi à Limoges, deux mois à Brive, un mois et demi à Tulle et un mois à Guéret. Le différend peut trouver une solution dans une décision rendue entre un et deux mois plus tard. Des délais plus que satisfaisants si l'on compare ces délais au niveau national.
"Nous travaillons de concert, nos parquets et les services civils aux affaires familiales, pour une prise en charge de l'auteur et un accompagnement des victimes, pour que les situations à risques de violences intrafamiliales soient rapidement détectées et accompagnées"
Anne Kostomaroff, procureure générale de la Cour d'appel
Pour assister le juge dans ses missions, des postes contractuels pour trois ans ont été créés fin 2020 et courant 2021 en Limousin. Ils sont 27 juristes assistants, assistants de justice, chargés de missions aux profils variés, de catégorie A et B, à avoir été formés ces derniers mois. Ils ont pour certains d'entre eux des missions dédiées aux violences intrafamiliales notamment. Cette équipe autour du magistrat est un dispositif nouveau. Il a contraint à dégager du temps, pourtant précieux, pour la formation mais tous espèrent une amélioration des conditions de travail et plus d'efficacité encore.
Des délégués du procureur se déplacent désormais en mairie, dans les points d'accès au droit, les centres de détention... pour être au plus près géographiquement du justiciable et apporter une réponse pénale au plus près de la commission de l'infraction.
Plus proches, plus rapides
Les procédures pénales d'urgence se sont par ailleurs multipliées en 2021. Le recours aux alternatives aux poursuites a notablement augmenté. Les procédures simplifiées basées sur la reconnaissance préalable de culpabilité, mais aussi les comparutions à délai différé qui permettant la poursuite de l'enquête alors même que la date de comparution est déjà fixée, ainsi que les comparutions immédiates des auteurs d'infractions se sont aussi beaucoup développées.
Ces pratiques permettent également d'accélérer la réponse pénale, avec pour effet de prévenir le risque de récidive et apporter une stabilité au foyer pour les femmes et enfants qui subissent les violences d'un père ou un conjoint violent.
"Il faut juste être conscient qu'une procédure d'urgence s'impose au juge toutes affaires cessantes. Cette interruption de sa mission en cours représente une charge mentale de plus. De plus en plus de missions se cumulent, compte-tenu du manque de postes alloués et des absences qui s'inscrivent elles dans le cadre des aléas normaux (arrêts maladie, congés maternité, temps partiel etc" précise Philippe Delarbre.
Pour éviter une surenchère des contentieux familiaux à l'avenir, le premier président ajoute qu'il serait nécessaire de développer la médiation et la conciliation, pour pacifier les relations et au lieu de toujours judiciariser les relations familiales conflictuelles.
Un mal-être national également dénoncé en Limousin
C'était en novembre 2021. Le mouvement était inédit. A la suite du suicide d'une jeune magistrate à Béthune, près d'un tiers des magistrats français signaient un texte pour alerter sur leurs conditions de travail, dans une tribune au "Monde". Ils sont 7000 signataires aujourd'hui.
Près d'une centaine de juristes se sont rassemblés devant la cour d'appel de Limoges à 13h30, le 15 décembre 2021, suite à l'appel national lancé par les syndicats. Souffrance et perte de sens sont dénoncées. Des réformes qui s'enchaînent dans les textes et les organisations sans que les moyens matériels ou informatiques suivent.
Parmi ces réformes, celle de la justice des mineurs, rentrée en vigueur en octobre 2021. Un nouveau code pénal leur est dédié. L'objectif est d'avoir une réponse plus rapide, plus adaptée et plus efficace à la délinquance des mineurs. Elle vise avant tout à renforcer la réponse éducative, qui doit primer sur la sanction. Entre 430 et 450 dossiers sont traités chaque année en Limousin. Il y a aussi autour de 900 affaires de mineurs en danger, souvent traitées en priorité pour mettre les enfants à l'abri. Mais instruire un dossier demande du temps et de l'attention. Parfois les enfants deviennent entre temps majeurs ou commettre des infractions sans que les mesures éducatives aient pu être prises. Or, les nouveaux logiciels sont en complet décalage avec l'activité du terrain.
Externalisés, les logiciels n'ont pas été élaborés avec la collaboration des magistrats et greffes concernés. Résultat ils nous ralentissent, le temps de traitement a été multiplié par trois, ce qui est quand même un comble !
Philippe Delarbre, premier président de la cour d'appel de Limoges
Vers un audit local
6 juges pour enfants œuvrent en Limousin, aux côtés de 82 éducateurs, psychologues ou assistantes sociales au sein de la Protection judiciaire de la jeunesse . Tous les postes sont actuellement pourvus et suffisants, face au niveau de délinquance actuel. Mais tous restent prudents quant à l'évolution de la situation.
Les états généraux de la justice, organisés depuis octobre partout en France, donnent l'espoir aux magistrats de voir la situation s'améliorer. Pour l'heure, ces états généraux sont une porte ouverte à la discussion. Il s'agit d'une sorte d'audit du ressenti sur le terrain, pour écouter les difficultés comme les propositions. Qu'en sortira t-il ? La proximité de l'élection présidentielle risque de geler quelque peu les enthousiasmes. "On a mis sur la table des sujets qui méritent une réflexion approfondie et des concertations, et tout ce que propose le gouvernement ce sont des questionnaires" souligne le Bâtonnier de l'Ordre des avocats de Limoges, Bertrand Villette.
Parallèlement à ces états généraux nationaux, les plus hauts magistrats du Limousin souhaitent de leur côté localiser "cet audit". Le premier président et la procureure générale vont rencontrer les chefs des juridictions de Limoges, Brive, Tulle et Guéret, ainsi que les directions des greffes, en avril prochain. "C'est une première à la Cour d'appel, cela nous apparaissait nécessaire pour évaluer au mieux nos besoins, pointer les secteurs et les organisations qui peuvent être encore améliorés, toujours dans un but de simplifier et d'humaniser nos relations. Nous allons nous montrer disponibles dans notre écoute, réactifs dans nos adaptations, sachant que le premier bénéficiaire de l'amélioration de nos conditions de travail sera toujours le justiciable" précise Philippe Delarbre, premier président de la Cour d'appel.
Restent les solutions. Parmi celles-ci, les deux chefs de juridiction demandent plus de magistrats placés, ces juges dont l'adaptation leur permet de remplacer les magistrats absents pour maladie ou congés au fil des besoins. Actuellement, la Cour d'appel compte 4 magistrats placés. Un nombre insuffisant. En septembre prochain, le ressort de la Cour d'appel comptera par ailleurs 19 départs, mutations et départs à la retraite. Des postes qu'il faudra à nouveau pourvoir.