Présentés comme l'avenir de la contraception définitive, les implants Essure ont été posés à 200 000 femmes en France entre 2002 et 2017. Retiré du marché après la dénonciation de conséquences désastreuses sur la santé de milliers de femmes dans le monde, ce dispositif fait l'objet de nombreuses actions en justice. Le groupe pharmaceutique Bayer nie tout lien de causalité entre ces préjudices et l'implant qu'il a commercialisé. Témoignages en Limousin.
Béatrice vit au sud de Limoges. Elle a aujourd'hui 55 ans.
"En 2013, j'avais plus de 40 ans, j'avais déjà des enfants, j'ai pensé à arrêter la contraception. Je pensais à la ligature des trompes, mais ma gynéco m'a conseillé les implants, et m'a orientée vers un obstétricien qui les implantait depuis plusieurs années".
C'est alors que commence le cauchemar pour Béatrice. Un cauchemar qui va durer huit ans.
Le moment de la pose, je l'associe à de la torture.
Béatrice,porteuse d'implants Essure de 2013 à 2021
"Au premier rendez-vous, l'obstétricien m'a expliqué que la pose se faisait sans anesthésie. Je me connais, je connais ma sensibilité, je lui ai dit qu'il n'en était pas question pour moi, et je lui ai demandé, a minima, d'être sédatée. C'était convenu comme ça, mais le jour de l'intervention, je n'ai pas été sédatée", raconte-t-elle.
La pose de ces implants date d'août 2013. Plus de dix ans plus tard, les souvenirs sont bien présents à l'esprit de Béatrice. La douleur surtout. "La pose, ça a été monstrueux. Pour passer le col de l'utérus il a forcé, pour pénétrer dans chaque trompe, il a forcé. Et ensuite il faut faire tourner les implants, c'est terriblement douloureux. Je l'associe à de la torture."
Non seulement l'acte a été pratiqué, selon elle, au mépris du respect des souhaits de la patiente, mais en plus, il s'est révélé être un échec. Après la pose, Béatrice raconte des douleurs "comparables à un accouchement". Et lors de la radio de contrôle, seul un des deux implants est localisé.
L'obstétricien lui propose alors de recommencer. "Vous ne me toucherez plus jamais", lui répond Béatrice.
"J'ai envisagé que j'étais hypocondriaque"
En février 2014, Béatrice s'adresse alors à un autre obstétricien, qui, à l'examen, va découvrir un des deux implants planté dans le muscle utérin, et le second plié en étrier sur une trompe. Il n'y touche pas, et procède à la ligature des trompes de Béatrice, afin de lui assurer, au moins, la stérilité désirée.
On s'est rendu compte que les deux implants se baladaient dans mon corps.
Béatrice,porteuse d'implants Essure de 2013 à 2021
Béatrice va ensuite être confrontée à de multiples soucis de santé, sans qu'aucun examen médical ne puisse en déterminer la cause. Douleurs articulaires, dans l'aine, dans le bassin, difficultés à marcher, saignements intempestifs, pertes de cheveux "A chaque examen, tout était normal. J'ai envisagé que j'étais hypocondriaque, puis j'ai mis ça sur le compte de la ménopause."
Jusqu’au jour où, à l'occasion d'une radio, on retrouve la trace de ces implants, qui se sont déplacés dans son organisme : "Celui de l'utérus s'était cassé et avait migré sur la paroi de mes intestins", se souvient-elle.
J'ai passé huit ans à me demander si je n'étais pas folle. Huit ans de galère médicale.
Béatrice,Porteuse d'implants Essure de 2013 à 2021
Premiers signalements en 2012
Nous sommes alors en 2021, et jusque-là, Béatrice n'avait pas imaginé que ces implants pouvaient être à l'origine de ses problèmes de santé. Elle découvre alors l'association Resist (Réseau d'Entraide, de Soutien et d'Information sur la Stérilisation Tubaire), qui existe depuis 2016, informe et accompagne les femmes porteuses de ces implants.
Car Béatrice est loin d'être la seule à signaler souffrir d'effets secondaires de ce dispositif contraceptif. L'Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) a reçu les premiers signalements d'effets indésirables en 2012. En 2015 le dispositif est placé sous vigilance renforcée, et en août 2017, alors que près de 1200 signalements sont recensés, la commercialisation et la pose des implants Essure sont suspendues en France et dans les pays utilisant le marquage CE. La commercialisation sera définitivement stoppée par Bayer le 18 septembre 2017, et en 2018 aux Etats-Unis.
Un protocole d'explantation très encadré
En lien avec l'ANSM, la Haute autorité de santé, le Collège national des gynécologues obstétriciens et l'association de patientes Resist, le ministère de la Santé va définir, dès 2018, "un plan d’actions pour garantir la sécurité des conditions de retrait du dispositif, lorsque cela est nécessaire, et pour assurer une information complète des femmes, ainsi que de l’ensemble des professionnels de santé concernés."
Béatrice a bénéficié en 2021 du protocole d'explantation défini par l'arrêté du 14 décembre 2018.
"Il a fallu m'enlever l'utérus, les trompes et les ovaires. Ça n'a pas pu se faire par endoscopie. On m'a ouvert le ventre sur trente centimètres. L'obstétricien a réussi à extraire tous les morceaux de l'implant qui s'était cassé. Ce médecin-là est une personne extraordinaire, plein de bienveillance à l'égard des femmes. Depuis je revis !", témoigne-t-elle, pleine de reconnaissance.
"Beaucoup d'effets secondaires proviennent d'une pause qui n'a pas été optimale"
Le médecin qui a retiré ses implants à Béatrice, c'est le docteur Alain Riouallon, chirurgien gynécologue à la polyclinique de Limoges. Des implants Essure, il en a posé plusieurs centaines pendant les quinze années où ils ont été autorisés. Au rythme d'une à deux poses par semaine.
Commercialisés dès 2002 par le laboratoire californien Conceptus, racheté par le géant Bayer en 2013, ces implants apparaissaient alors comme l'avenir de la contraception définitive féminine. Contrairement à la ligature des trompes, qui nécessite une anesthésie générale et une incision dans l'abdomen pour procéder par cœlioscopie, la pose de ces deux spirales métalliques de quelques centimètres à l'intérieur des trompes se pratique par hystéroscopie, par les voies naturelles. "Ça représentait un progrès parce que l'intervention était beaucoup moins lourde", explique le chirurgien.
Selon lui, la principale cause des difficultés rencontrées par les femmes implantées, vient d'une pose mal réalisée, comme dans le cas de Brigitte. "Beaucoup d'effets secondaires de ces implants proviennent d'une pause qui n'a pas été optimale. La technique d'implantation paraissait très simple au départ, mais ça ne l'était pas tant que ça. La cavité de la trompe où l'on devait introduire l'implant fait un millimètre, et il n'est pas toujours simple de la discerner. Ces difficultés de pause ont pu être la cause de douleurs. Pour ma part, je prévenais mes patientes de ces difficultés, et je renonçais à la pause, si l'exploration ne la permettait pas", affirme-t-il.
Deux ans "d'errance médicale"
Karine a 46 ans et vit à Tulle, en Corrèze, depuis trois ans. Elle fait partie des patientes à qui l'on a vanté les avantages de ces implants. "En 2015, je me suis fait poser ces implants. Je n'ai jamais désiré avoir des enfants. J'ai demandé une ligature des trompes, mais on m'a répondu que c'était obsolète, que ces implants étaient sûrs et que ça marchait super bien", raconte-t-elle.
J'ai vite regretté. On est beaucoup à avoir vite regretté !
Karine,porteuse d'implants Essure entre 2015 et 2017
Pour elle, la pose se fera sous anesthésie. "Au bout de quinze jours, j'ai senti qu'il y avait un problème, j'avais l'impression que ça me traversait le ventre. Je suis allée voir le gynéco, qui m'a dit que tout allait bien", se souvient-elle.
Et comme Brigitte, et comme toutes les femmes qui se confient à l'association Resist ou sur différents forums, Karine témoigne de souffrances majeures consécutives à la pose de ces implants : "J'avais des douleurs abdominales épouvantables, je n'arrivais plus à bouger le bassin. Passer de la position assise à debout, c'était un calvaire. Je souffrais d'acouphènes aussi", raconte-t-elle encore.
Pendant cette période de souffrance, Karine découvre, elle aussi, l'association Resist, qui lui permet de rencontrer d'autres femmes dans la même détresse, qui vont l'orienter vers un médecin "non maltraitant", dit-elle.
Il m'a fallu deux ans d'errance médicale avant que je tombe sur un super chirurgien, qui m'a juste écoutée.
Karine,porteuse d'implants Essure entre 2015 et 2017
Des conséquences d'une grande violence
"En novembre 2017, il m'a opérée. Mes trompes avaient réagi. Il y avait d'énormes boursouflures autour des implants. Il a dû procéder à une hystérectomie totale. C'est assez violent !", déclare Karine.
Pour Brigitte aussi, cette intervention a été d'une grande violence : "Je me suis sentie dépossédée de ma féminité quand j'ai subi l'ablation de mes organes reproducteurs. Ça a été très compliqué pour moi de l'accepter", témoigne-t-elle.
"Quand on enlève ces implants, l'hystérectomie n'est pas systématique. Selon les constatations cliniques effectuées sur la patiente, on peut quelques fois n'enlever que l'implant et la trompe", tempère le chirurgien gynécologue Alain Riouallon.
La toxicité des implants en question
Entre 2002 et 2017 plus de 200 000 femmes ont été implantées en France. 30 000 d'entre elles ont fait enlever ces implants depuis. Alain Riouallon estime, quant à lui, en avoir retiré "moins de 1% de ceux que j'avais posés. Ce qui est très faible. J'en ai aussi retiré qui avaient été posés par d'autres que moi", affirme-t-il.
Selon lui, les symptômes décrits par les patientes sont bien réels, il ne met pas leur parole en doute, mais il les qualifie de "subjectifs". "Il est difficile de faire un lien de cause à effet entre les symptomatologies décrites et les implants", affirme-t-il.
Une étude menée par l'INSA de Lyon a conclu en 2020 à la toxicité des implants.
Une autre expertise, commandée par l'ANSM en 2017, mais jamais rendue publique, alertait sur les risques liés à leur corrosion.
La présence de métaux lourds dans la composition des implants Essure est mise en avant comme cause des symptômes douloureux ressentis par les patientes. "Je ne sais pas. On utilise énormément de matériaux en chirurgie qui contiennent des métaux comme le titane, sans qu'on observe de réaction allergique. Je n'ai pas d'information scientifique sur ce risque allergique. J'en doute un peu", déclare de son côté Alain Riouallon.
Depuis 2016 l'association Résist cherche à comprendre l'origine de ces symptômes "qui apparaissent insidieusement, à bas bruit". La secrétaire générale de l'association, Clara Wauquier, qui a elle aussi douloureusement expérimenté ces implants, déplore le manque d'informations transmises aussi bien aux patientes qu'aux professionnels de santé, contrairement à ce qui était annoncé par le ministère.
Le document d'information de trois pages, élaboré par le ministère de la Santé "en collaboration avec l’association de patientes RESIST et le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français (CNGOF)", n'a jamais été diffusé auprès des 200 000 femmes qui ont été implantées.
Clara Wauquier déplore aussi que l'étude d'impact de ces implants, promise et financée par le ministère de la Santé, ne soit toujours pas lancée.
De son côté, la firme Bayer nous indique maintenir toute sa confiance dans la sécurité et l’efficacité du dispositif Essure, en s'appuyant "sur un ensemble solide de données scientifiques. Ces données incluent les résultats de 10 essais cliniques et plus de 150 études, menées à la fois par Bayer et par des chercheurs indépendants sur une période de 20 ans, portant sur plus de 280 000 femmes. Plusieurs études comparant les patientes utilisant Essure à celles ayant subi une ligature des trompes montrent de manière constante que le profil de sécurité d’Essure est comparable à celui de la ligature."
Des actions en justice
Karine est de celles qui ont porté plainte, collectivement, contre le laboratoire Bayer, avec l'association Resist, et le soutien du cabinet d'avocats Dante, qui accompagne les victimes de dommages liés à des produits de santé, le Médiator par exemple. Cette plainte a été déboutée en 2022, malgré l'étude scientifique concluant à la toxicité des implants. Le tribunal administratif de Paris a estimé que "l'homogénéité des symptômes décrits par les patientes n'était pas démontrée".
"Ça nous a coûté 800 balles chacune, et on a perdu. Depuis, j'ai envie de passer à autre chose", commente aujourd'hui Karine. Pour elle, il n'y aura pas de nouveau combat en justice : "On ne gagnera pas contre Bayer, ils sont plus forts que nous, ça ne sert à rien de se battre", estime-t-elle. Elle continue toutefois à témoigner, à rencontrer des groupes de femmes avec l"association Resist, "si ça peut être utile à notre cause", espère-t-elle.
Béatrice est plus confiante dans les chances de voir un jour les actions en justice aboutir.
La faute médicale de l'obstétricien qui lui a posé les implants en 2013 a été reconnue, elle a été indemnisée pour ça.
Au-delà de son histoire personnelle, Béatrice reste mobilisée pour dénoncer ce qu'elle nomme "un scandale". "J'espère que la justice acceptera que des poursuites collectives soient engagées contre ces labos. Il faudra bien. Parce qu'il y a eu défaut d'information, défaut de fabrication, et beaucoup d'argent réalisé", affirme-t-elle.
En France de nouvelles procédures sont en cours. C'est aussi le cas en Italie, aux Pays-Bas, en Australie, en Espagne, au Canada et en Nouvelle-Zélande.
En août 2020, le géant pharmaceutique allemand Bayer a déboursé 1,6 milliard de dollars pour dédommager 90% des 39 000 plaignantes américaines ayant subi des effets secondaires graves de ces implants Essure, et éviter un procès.
La firme Bayer nous précise pour sa part que "de nombreuses décisions de justice et expertises judiciaires ont reconnu l’absence de lien de causalité entre les préjudices allégués et le dispositif Essure. Aucune responsabilité de Bayer n’a été reconnue à ce jour". Et affirme : "La sécurité de nos produits est la priorité absolue de Bayer."
Malgré sa confiance réaffirmée "dans la sécurité et l’efficacité du dispositif Essure", Bayer a stoppé sa commercialisation en Europe en 2017 et aux Etats-Unis en 2018.