Ce sont des outils innovants et nécessaires, car jusque-là inexistants. L’association "Mes mains en or", basée à Limoges (Haute-Vienne), vient d’éditer des livres, des notices et des kits sensoriels sur la sexualité, le cycle menstruel, à destination des déficients visuels. Découverte.
Qu’est-ce qu’un tampon quand on n’en a jamais touché ? Comment avoir un rapport sexuel quand on ne sait pas à quoi ressemble le sexe de l’autre ? Comment se protéger si on ne nous a jamais expliqué comment utiliser un préservatif ?
Caroline Chabaud, directrice de l’association "Mes mains en or", édite des livres pour les déficients visuels depuis dix ans. Une démarche lancée pour faire face au manque cruel d'informations pour ce public.
"Éduquer pour protéger"
Depuis quatre ans, avec la chercheuse en psychologie Laëtitia Castillan, elle mène un projet intitulé "éduquer pour protéger". Elles ont mené deux enquêtes à l’échelle nationale sur la vie affective et sexuelle des jeunes présentant une déficience visuelle. L’une interroge 130 professionnels de structures médico-sociales. L’autre 90 déficients visuels. Ces études dressent plusieurs constats : un manque d’informations et de ressources matérielles sur ces sujets pour les professionnels comme pour les bénéficiaires. Souvent les déficients visuels ne se protègent pas, car ils ne savent pas comment faire.
Une loi de 2021 oblige les établissements scolaires à donner des cours d'éducation sexuelle. Selon l’article L312-16 : "Une information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogènes". Dans les faits, un élève ne s'en voit dispenser qu'une seule dans toute sa scolarité. Mais lorsque celle-ci a lieu, elle n’est que partiellement accessible pour les élèves présentant une déficience visuelle.
Des outils novateurs
Pour Caroline Chabaud, c’est une question de santé publique. Les personnes malvoyantes ou aveugles doivent pouvoir bénéficier d’informations sur leur vie affective et sexuelle au même titre que les autres. Car mieux connaître son corps, c’est y faire attention, c’est savoir se respecter, savoir choisir sur ce qui est bon pour soi et savoir se protéger. Selon l’étude de "Mes mains en or", 36% des personnes déficientes visuelles ont vécu des violences sexuelles. "Être mieux informé, c’est éloigner les risques" déclare Caroline.
Alors depuis deux ans, elle s'est lancée un nouveau défi : éditer des outils spécifiques sur la sexualité, la vie affective, les menstruations à destination des déficients visuels eux-mêmes, mais aussi des professionnels de structures médico-sociales qui les accompagnent.
Comment mettre un tampon quand on n’en a jamais touché ? S’il est avec applicateur, il y a des applicateurs en plastique ou en carton, ils ne fonctionnent pas de la même façon.
Caroline ChabaudDirectrice "Mes Mains en Or"
Elle commence en 2023 en adaptant un livre d’Anna Roy pour tout savoir sur les règles et publie un kit pédagogique pour les professionnels. À l'intérieur, tous les types de protections hygiéniques (serviette, coupe menstruelle, tampon…) et des informations élaborées avec des déficients visuels pour expliquer justement comment les utiliser. "On s’est rendu compte que les filles en situation de handicap n’avaient pas de vision éclairée, car elles ne connaissent que ce qu’on leur a dit d’utiliser, explique Caroline Chabaud. Par exemple, elles ne connaissent pas la culotte menstruelle. Pourtant, connaître ce qui existe, c’est être capable de faire des choix, c’est la capacité à s’autodéterminer. Comment mettre un tampon quand on n’en a jamais touché ? S’il est avec applicateur, il y a des applicateurs en plastique ou en carton, ils ne fonctionnent pas de la même façon".
"C’est pratique, ça permet de pouvoir toucher, tester"
Bénédicte Pineau est instructrice pour l’autonomie des personnes déficientes visuelles pour l'apajh dans le Calvados. Elle vient de tester le kit avec deux jeunes femmes. "Dans le kit, il y a toutes les protections qui existent. C’est pratique, ça permet de pouvoir toucher, tester. Comme ça, ils peuvent faire leur choix. Un guide informatif donne aussi des liens vers des livres, des podcasts pour aller plus loin. Ce sont des infos intéressantes que je n’avais pas forcément."
Julie Fossard, élève de troisième, est malvoyante. Elle n'a jamais eu de cours d’éducation sexuelle au collège. "J’ai des cours de sciences de la vie et de la terre qui t'apprend la fécondation, la biologie, mais pas sur le consentement, la contraception ou sur les règles..." Elle aussi habite dans le Calvados avec Bénédicte comme aide à la vie journalière, elle a pu tester le kit "Mes règles". Une découverte bénéfique. "Moi, je mets des culottes de règle, mais il fallait que j’apprenne à me servir des serviettes hygiéniques. Car, si j'ai un souci, je peux emprunter une protection à quelqu'un et puis, si j'en ai sur moi, c'est le kiff de dépanner les copines ! Je n’avais jamais testé avant, je voyais à peine à quoi ça ressemblait. J’ai trouvé ça assez facile, à part le truc avec les ailettes… ça demande un effort. "
Caroline Chabaud a mille idées dans la tête pour aider le quotidien des personnes dépourvues de la vue. En novembre 2024, elle sort un autre kit nommé "Vulves et Pénis". Un outil d’éducation à l’intime où des sexes en tissu sont représentés : "quand on est non voyant, cela nous enlève un certain nombre d’informations. Donc, il faut faire comprendre les choses sans jamais les avoir vues. Il faut trouver le bon langage. Et ça, nous, on le fait en collaborant avec des personnes non voyantes".
L'inclusion comme maître mot
Qui peut mieux expliquer qu'une personne aveugle ou non-voyante ? Personne, selon Caroline qui, pour élaborer tous ces nouveaux outils, s'est entourée de déficients visuels. Comme Arthur Aumoite. Il vit à Lille, mais ensemble, ils travaillent à distance pour concevoir un tout nouveau projet. "L'idée, c'est de reconnaître l’expertise du vécu des personnes en situation de handicap en se servant de nous pour transmettre ce savoir-faire", explique-t-il.
Des notices, cette fois-ci sur le préservatif, sortiront au mois de mars 2025. "On traduit les notices des différents préservatifs. On ajoute des phrases pour se substituer aux dessins et on essaye de les rendre compréhensible, pour que ce soit le plus inclusif possible", raconte-t-il. "Comment savoir si le préservatif est dans le bon sens ? Pour l'expliquer, cela n'a pas été si simple !"
Arthur aime faire partie de ce projet après ce qu'il a constaté dans son entourage : "soit les personnes n’ont pas d’activité sexuelle, parce qu’elles se sentent stigmatisées, soit elles possèdent des conduites à risques et par méconnaissance, elles ne se servent pas de préservatif du tout".
Ensuite, tous ces outils pédagogiques sont adaptés aux différents usages. Il faut donc réaliser une version en braille papier, ou le plus utilisé, en braille numérique, en gros caractère ou encore en audio.
Caroline a aussi sorti un format "FALC" qui signifie Facile à lire et à comprendre, à destination des jeunes femmes déficientes intellectuelles. Pour l'instant, il existe pour expliquer les règles.
En attendant la sortie des notices sur le préservatif d'ici à deux mois, Caroline réfléchit déjà à un nouveau projet. Elle voudrait déployer un jeu sur le consentement. Mais pour ça, il lui faudra faire appel à la générosité via un crowdfunding.