"J’en étais venue à idolâtrer mon bourreau" : dans le huis clos des violences conjugales

A l’occasion de la journée de lutte contre les violences faites aux femmes, Stéphanie, victime présumée de son ex-conjoint, témoigne. Aux coups et aux humiliations, se substituent le harcèlement et les menaces après la séparation. Un récit terriblement commun, selon les associations.
 

Stéphanie est parvenue à quitter Antoine il y a un an. Et depuis, cette quadragénaire vit avec le "poids de la culpabilité" : "Cet été, l’un de mes fils a eu un instant de colère et il m’a dit :'Mais maman ! Pourquoi t’es restée avec lui autant de temps ? Pourquoi tu t’es infligée ça ? Pourquoi tu nous as infligé ça ?'. Je n’arrive pas à me défaire de ma responsabilité."

Cette habitante des environs de Limoges accepte aujourd’hui de raconter "sept ans et demi de violences conjugales". Des faits que nient désormais son ex-conjoint, toujours présumé innocent.

Stéphanie et lui se rencontrent sur Internet et nouent une histoire d’amour : "Il répondait à toutes mes attentes", se souvient-elle, amère. D’après son ex-compagne, Antoine est vite rattrapé par ses vieux démons, l’alcool, dans lequel il sombre un peu plus chaque jour. Il avait pourtant promis de se faire soigner, il allait changer. "Mais je me suis rendue compte qu’il n’avait plus aucune vie sociale, à cause de son attitude, de son alcoolisme."

"J’en étais devenue accro"

Au fil des scènes qu’Antoine impose à son entourage, le couple se referme sur lui-même et rompt petit à petit avec ses amis. En état d’ivresse, il "m’humiliait devant les gens [...] Cela le faisait beaucoup rire… Ce qu’il ne percutait pas, c’est que cela ne faisait rire personne". Les proches de Stéphanie assistent impuissants au délitement de leur relation. "La seule chose qu’ils pouvaient me conseiller était de partir, reconnaît-elle. Seulement, j’étais devenue accro, dépendante de lui, sans m'en apercevoir. Et surtout, un enfant était route." Le destin des deux amants est à jamais lié l’un à l’autre.

Les premières violences ont commencé durant la grossesse, raconte-t-elle :

Un jour, cela a basculé. J’étais enceinte de 5 mois et il me met un premier coup de boule.

Stéphanie


Elle appelle un ami à la rescousse. L’affaire en restera là.

Louise naît en 2014. Alcoolisme omniprésent, insultes, humiliations… Puis, ponctuellement, vient la riposte : "A un moment, il dépasse tellement les limites de l’entendement que je réponds un peu… Et c’est l’erreur à ne pas faire : il me chope et il me cogne."
Le lendemain, Antoine ne formule aucune explication. "Si jamais j’abordais le sujet avec lui, il me disait que je l’avais mérité, que je n’avais pas à lui parler alors qu’il était dans cet état."

"Si j’allais chez le docteur, il allait me faire la peau"

Elle le quitte une première fois en 2017. La gendarmerie est prévenue, Stéphanie dépose plainte. Antoine est admis en soins psychiatrique d’office : "A cette période, il s’est excusé, m’a dit qu’il avait pris la mesure de ses problèmes et qu’il allait se faire soigner."
Il n’en sera rien. Stéphanie se laisse persuader de retirer ses plaintes. Mais après une brève accalmie, le ton monte de nouveau et s’enclenche la même mécanique implacable.

"Un jour, il s’est mis à califourchon sur moi. Il m’a donné des gros coups de poing dans les côtes. J’ai eu les côtes fêlées, raconte-t-elle. Le lendemain j’ai voulu me rendre chez mon médecin traitant parce que j’avais beaucoup de mal à respirer et la douleur était lancinante. J’ai eu des menaces : si j’allais chez le docteur, il allait me faire la peau. Alors, pendant trois semaines, j’ai pris mon mal en patience, le temps de guérir naturellement."

Antoine reconnaît les faits… dans un premier temps

La famille vit en vase clos, coupée du monde.
 

A ce moment-là, mes amis et ma famille ne veulent plus me suivre parce que j’étais sous emprise. J’avais l’impression que j’étais tellement dépendante de lui que, si je le quittais, je ne serais plus rien

Stéphanie


A force d’humiliations, Stéphanie a même fait siennes les insultes de son conjoint : "J’en étais venue à idolâtrer mon bourreau", estime-t-elle.

Puis vient ce jour d’octobre 2019, le coup de trop qui conduit Antoine en cellule de dégrisement. Stéphanie est entendue durant cinq heures à la gendarmerie. Au sortir de sa garde à vue, son conjoint reconnaît avoir commis "des violences aggravées" sur Stéphanie. Et pourtant, aucune mesure de protection n’est prononcée : "Mon avocat est obligé de saisir immédiatement le tribunal", regrette encore Stéphanie.

Une première audience devant le juge aux affaires familiales est prévue un mois plus tard. "Mon ex-conjoint me harcèle par SMS, me menace dans tous les sens. Sans compter sa mère qui tente de me prendre ma fille à la sortie de l’école."
Une ordonnance de protection est prononcée, un droit de visite dans les locaux de l’association Trait d’Union est accordé au père. Dans le même temps, Antoine passe un accord avec le procureur de la République de Limoges dans le cadre d’une reconnaissance préalable de culpabilité, une procédure accélérée qui permet de juger rapidement l’auteur d’une infraction... Et qui débouche sur une peine allégée pour le coupable.

Ses trois ex-compagnes auraient subi des violences conjugales

Il a reconnu ses torts, les investigations sont donc terminées. Aucune enquête de voisinage n’est ordonnée, alors même que les premières langues se délient : "Certains voisins sont venus me trouver pour me dire que je n’étais pas la première, assure Stéphanie. Les autres aussi ont vécu ça." Pièces après pièces, elle reconstitue le puzzle de la vie de son ex-compagnon.

D’après ses recherches, Antoine aurait connu trois femmes avant de la rencontrer. Stéphanie les retrouve et convainc certaines de témoigner par écrit : "Les trois me font le même discours que moi. Les trois ont subi des violences conjugales. A tel point que l’une d’elle est suivie par une maison départementale des personnes handicapées parce qu’il lui a brisé les cervicales." Une seule a porté plainte et, jusqu’à présent, Antoine n’a écopé que d’un simple stage de responsabilisation.

"Il s’est avéré en plus qu’avec ses précédentes concubines, Monsieur ne lâchait jamais prise, constate Stéphanie. Vous êtes sa chose, il est hors de question qu’il perde la main sur vous."

"Je vis un véritable harcèlement familial"

Elle écrit alors au procureur de la République, qui lui accorde, en janvier 2020, un téléphone grave-danger au cas où son ex-conjoint la menacerait physiquement. "Et malgré tout, cela fait un an qu’il me contacte par SMS, qu’il essaie de me téléphoner… Il y a quelques jours, sa sœur est même venue m’agresser à la sortie de l’association où ont lieu les visites, affirme-t-elle. Je vis un véritable harcèlement familial."

A en croire Stéphanie, Antoine aurait trouvé un autre moyen pour garder la main mise sur sa victime. Tous les quinze jours, leur fille, Louise, se rend dans les locaux de l’association Trait d’Union, à Limoges, pour rencontrer son père. Deux heures à huis clos, en l’absence de travailleurs sociaux, aux cours desquels Antoine alimenterait, selon Stéphanie, un conflit rampant : "Il se renseigne sur les personnes que je fréquente. Il tient des propos dénigrants sur mes deux fils. Il fait du chantage affectif à ma fille", liste-t-elle. Du style : "Tu auras des Playmobils que si ta mère accepte que tu viennes chez moi." 

Antoine revient sur ses aveux

"Il déstructure ma fille", assure-t-elle, au point de craindre que la petite, âgée de 6 ans, ne sache plus "prendre de la distance avec les propos de son père". Stéphanie a engagé un recours afin que ces visites soient médiatisées par des professionnels, "afin qu’il ne puisse plus l’instrumentaliser". Une demande d’autant plus pressante, selon elle, qu’Antoine est désormais revenu sur ses aveux. A l’entendre, il n’aurait jamais été violent avec qui que ce soit et n’aurait aucun problème avec l’alcool. Oubliées, ses confessions à la gendarmerie : il est un bon père qui n’aspire qu’à renouer avec son enfant, manipulé par une mère maltraitante.

Antoine est désormais dans l’attente de sa comparution sur reconnaissance de culpabilité, programmée au mois de mars 2021. "Les violences qu’il a commises durant nos sept ans de vie commune ne sont pas reconnues car je n’ai pas porté plainte, observe Stéphanie. Donc il sera jugé sur les simples faits d’octobre 2019." Antoine est par ailleurs poursuivi pour n’avoir pas respecté les mesures d’éloignement, prévues par l’ordonnance de protection dont bénéficie son ex-concubine.

 


Un an de procédure, un an de tourments et de peur, dont Stéphanie ressort désabusée. "J’ai tenté de joindre le 3919 peut-être à une centaine de reprises depuis ma séparation, ils n’ont jamais répondu", raconte-t-elle à titre d’exemple.

"Notre agresseur nous tient grâce à l’autorité parentale"

Un récit qui paraît cruellement banal à Fanny Thiel, victime de violences conjugales et militante féministe omniprésente sur les réseaux sociaux. Insultes, violences et humiliations… cette Toulousaine a fini par obtenir un divorce aux torts exclusifs de son ex-mari pour violences conjugales. L’homme a été condamné pour violences aggravées, début 2017, mais n’a jamais cessé de menacer Fanny Thiel. La justice l’a déboutée de sa demande de confidentialité.

Son agresseur, reconnu coupable, connaît son adresse et surgit un jour à sur son lieu de travail : "J’ai dû quitter mon travail aussitôt." Fanny Thiel ne s’autorise plus à poster un CV sur internet et vit cachée de peur qu’il ne la retrouve. "Je me sens encore plus vulnérable, maintenant que je suis séparée."
Ses plaintes pour menaces de mort ont été requalifiées en appels malveillants réitérés, un délit qui a valu à son ex-conjoint une nouvelle condamnation en septembre 2019. Fanny dénonce une culture de l’impunité, sur compte Twitter. " Mon pays ne me protège pas".
 
Mais, l’ex-compagnon de Fanny conserve, selon elle, "un moyen de pression". Car de cette union passée est née une fille, âgée de cinq ans. "A partir du moment où l’on a un enfant en commun, on a signé notre arrêt de notre mort parce que notre agresseur nous tient grâce à l’autorité parentale", estime Fanny. "Et nos enfants vivent aussi cette violence, même quand ils n’en sont pas la victime directe. Nos bleus s’effacent mais eux en conservent les traces."

En dépit du danger manifeste représenté par son ex-conjoint et des menaces reconnues par la justice, la juge des enfants persiste dans l’idée de faire renouer le père et sa fille :"On maintient ce lien à tout prix, parce qu’on part du principe que le lien parent-enfant est important… même quand le parent est maltraitant", dénonce la militante.

80 % des plaintes classées sans suite

En 2019, Edouard Philippe, alors Premier ministre, avait affirmé qu’un "conjoint violent" ne saurait faire "un bon père". Mais la formule peine à se traduire dans les décisions de justice.

"Seulement 18% des mains courantes donnent lieu à des investigations, et 80% des plaintes sont classées sans suite", estime la présidente du Haut conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, Brigitte Grésy. Et, même quand les procédures aboutissent, demeurent deux grands absents : le parent violent et les enfants.

L’association France Victime 87, qui suit Stéphanie dans son quotidien, milite pour que les enfants soient reconnus comme victimes collatérales des violences commises par l’un de leur parent : "Leur préjudice n’est pas suffisamment pris en compte, alors même que l’on sait que ce traumatisme a une incidence sur leur santé et leur développement future", estime Catherine Boisseau, directrice de la structure. Elle se félicite malgré tout de l’existence "de plus en plus de lieux où ces enfants peuvent bénéficier d’un suivi pédopsychiatrique à Limoges".

Un centre dédié aux conjoints violents ouvre à Limoges

Restent les conjoints violents, longtemps restés l’angle mort des politiques publiques. "L’accent a été mis durant des années sur le soutien aux victimes, mais en faisant fi de ce duo, du couple que forment l’auteur et sa victime", observe Stéphane Razgallah, directeur adjoint de l’association limougeaude ARSL. La structure a remporté un appel d’offre pour ouvrir le premier centre régional dédié au suivi des conjoints violents. Elle entrera pleinement en fonction d’ici la fin du premier semestre 2021.

Ce centre aura la lourde de charge de mettre en place un protocole pour faire prendre conscience aux auteurs la gravité de leurs actes. Une responsabilité que la plupart refuse d’admettre :"Mais ils ont tous tendance à être violent quand ils sont frustrés", remarque la psychologue Karen Sadlier, reconnue pour ses travaux sur les violences conjugales."Ils ont du mal à reconnaître leurs torts."

Le centre limougeaud aura-t-il les moyens de percer la psychologie et briser les certitudes des personnes dont il aura la charge ? "Des études internationales, et notamment canadiennes, montrent qu’il faut entre 26 et 52 séances pour obtenir les premiers résultats avec certains conjoints violents", explique la directrice du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Haute-Vienne, Valérie Bias-Wirbel. "On a du pain sur la planche… ", reconnaît-elle volontiers.
 
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