Du 15 au 31 janvier 2025 auront lieu les élections professionnelles dans les 103 chambres agricoles de France. La crise agricole actuelle, caisse de résonance à la colère agricole, sert également aux syndicats pour s'affirmer. L'enjeu en Limousin est de savoir si la coordination rurale va continuer sa progression.
Creuse
L'actualité récente en Creuse a été marquée par l'action très musclée de la Coordination rurale. Les sympathisants du syndicat ont forcé la porte de la MSA et surtout défoncé la porte du bureau de l'Office français de la biodiversité.
Avec 67% des voix aux dernières élections, la FDSEA, aux commandes de la chambre d'agriculture de la Creuse depuis l'après-guerre, pourrait anticiper une réélection assez confortable. Pourtant, en Creuse, comme partout en France, la Coordination rurale (12,19% en 2019) pourrait lui tailler des croupières.
"Ce qu'on voudrait, c'est déjà que les agriculteurs se mobilisent. La participation n'était pas du tout à la hauteur il y a six ans. Après la Coordination, ils font le coup avant chaque élection. Ils montrent les muscles, ils disent qu'ils vont tout changer et après, c'est la politique de la chaise vide, des critiques sans proposition. Mais on se méfie, les derniers scrutins dans le département ont réservé beaucoup de surprise" estime Christian Arvis, patron de la FDSEA. S'inscrivant dans la continuité, le syndicat veut axer son action sur la rémunération.
L'équipe actuelle de la Coordination rurale est aux commandes du syndicat depuis 2019. Florian Tournade, le président, avait auparavant lancé avec d'autres le collectif des agriculteurs en détresse. Déçus par la gestion du syndicat majoritaire, ils ont relancé la CR dans le département.
"On s'est retrouvé avec la philosophie de la CR qui laisse une grande liberté d'entreprendre. À la tête du syndicat, ce sont des paysans, pas des agro-industriels comme Arnaud Rousseau. Localement, on trouvait la FDSEA trop sectaire, ne représentant que les copains". La radicalité des actions est assumée, même si le responsable continue de nier le vol des documents au siège de l'OFB. Souvent associée avec le RN au plan national, la CR de Creuse conteste toute proximité avec l'extrême droite. Elle veut axer son action sur l'accès à l'eau, la simplification administrative et surtout sur le fait de "Nous foutre la paix. Il y a de la place pour toutes les productions".
La liste de la confédération paysanne est déjà prête. Présente dans le département depuis plus de 30 ans, elle était arrivée troisième il y a six ans.
"On veut axer notre campagne sur le revenu et le rejet de tous les accords de libre échange, pas seulement le Mercosur. Ce sont ces accords qui empêchent de mettre en œuvre des prix plancher et de faire respecter la loi Egalim. Nous voulons défendre l'accès au foncier pour installer des jeunes et pas des firmes dépendantes des industries agro-alimentaires" explique Olivier Thouret, porte-parole du syndicat.
En Creuse, il y aura également une liste du MODEF (Mouvement de défense et de coordination des exploitations familiales). Créé en 1959, ce syndicat historiquement plutôt classé à gauche est présent en Creuse depuis les années 1970 et représenté à la chambre depuis les années 1980. "Nous revendiquons l'application des prix planchers, l'encadrement des marges et le SMIC garanti aux jeunes agriculteurs pendant les cinq premières années d'installation. Nous privilégions le modèle agricole traditionnel, extensif, avec des produits sains" plaide Pierre Couret, président du MODEF 23.
Tous rejettent le MERCOSUR.
Les résultats en Creuse en 2019 : FDSEA/JA : 67,2%, Confédération paysanne : 12,19%, Coordination rurale 10,48% et MODEF : 10,20 %. Taux de participation : 44%.
Haute-Vienne
C'était la surprise il y a six ans. La Coordination rurale emportait une victoire historique sur la FDSEA en Haute-Vienne, faisant du département un des trois seuls administrés par ce syndicat au niveau national (avec la Vienne et le Lot-et-Garonne). Un résultat illustrant la lente progression de ce syndicat qui ne totalisait que 12% des voix en 1995 au niveau national et en recueillait 21% en 2019.
Un mandat marqué par des actions choc. À titre d'exemple, le lâcher d'animaux sauvages dans la cinéma le Lido à Limoges pour protester contre la projection d'un documentaire et d'un débat sur les bassines. Dernière action en date, la Coordination rurale a déversé pneus et fumier devant la permanence du député Delautrette dans la nuit du 24 au 25 novembre pour dénoncer son soutien aux associations animalistes comme L214.
"On joue le rapport de force et les actions virulentes. Ça nous est reproché, mais n'empêche, on obtient des choses. Et on ne se renie pas. On ne discute pas avec l'OFB contrairement à la FDSEA, car on ne parle pas avec ceux qui veulent notre mort" verbe haut et sens de la formule, Bertrand Venteau fondateur de la Coordination rurale en 2012 en Haute-Vienne et président de la chambre depuis 2019 vante son bilan.
"En six ans, nous avons redressé les comptes de la chambre qui étaient dans un état catastrophique. On a fait sortir de terre 700 bâtiments photovoltaïques, 80 ouvrages hydrauliques pour l'irrigation, facilité les projets de méthanisation". Il rejette également l'étiquette de compatibilité avec le RN, attachée au syndicat. "La FDSEA dit ça pour nous traiter de fascistes, mais 70% de nos adhérents ne sont pas encartés et les 30% restants sont dans plein de partis différents".
Depuis 2019, Boris Bulan, le président de la FDSEA 87 n'a qu'une idée en tête : reprendre la chambre que son syndicat dirigeait depuis l'après-guerre. Depuis le début de la mobilisation en ce mois de novembre, la FDSEA est donc plutôt active. Dernière action en date ce mardi 26 novembre avec une rencontre très cordiale dans les bureaux de l'OFB et de la DDT. Le syndicat veut afficher son dialogue avec les autorités en contraste avec les actions plus musclées de la Coordination rurale. La semaine dernière, cette dernière épandait copieusement des effluents agricoles devant la préfecture.
"On est au travail. On essaie d'obtenir des simplifications. On explique à l'OFB que ce n'est plus possible pour les agriculteurs d'avoir peur dès qu'il faut curer un cours d'eau ou couper un chêne". Le bilan de l'action de la CR depuis 2019 est pointé du doigt : "La chambre depuis six ans s'occupe beaucoup de l'aide pour les dossiers, mais ne fait plus technique, d'agronomie. Il faudrait faire une visite une fois par an dans chaque exploitation. Le bilan sanitaire avec l'arrêt des dépistages systématiques n'a pas été bon non plus. Et il faut chasser beaucoup plus de sangliers. On en chassait 6 000 quand nous étions aux commandes, on en tue 6 700 aujourd'hui. Il faut doubler ce chiffre".
Constat partagé par la Confédération paysanne.
"Par sa radicalité, l'équipe actuelle a tendance à braquer ses interlocuteurs. Il faut calmer le jeu, retrouver un dialogue respectueux même quand on n'est pas d'accord" plaide Philippe Babaudou, co- porte-parole.
Le syndicat est présent en Haute-Vienne depuis 1987 (date de création de la conf). En 2001, dans le contexte de la vache folle et de la notoriété de José Bové, la confédération était passée à 50 voix de l'emporter dans le département.
Aujourd'hui, sa priorité est d'endiguer la baisse dramatique du nombre d'agriculteurs, près de 800 000 en 30 ans. "Nous sommes à un moment de bascule. Soit, on part sur le modèle plébiscité par la FDSEA avec des exploitations toujours plus grandes gérées par des firmes agro-industrielles, comme le projet de ferme de 3 000 veaux de Peyrilhac le laisse entrevoir, soit on essaie de préserver une agriculture à taille humaine".
Les résultats en Haute-Vienne en 2019 : Coordination rurale : 47,94%, FDSEA : 35,92%, Confédération paysanne : 16,14%. Participation 30%.
Corrèze
En Corrèze, comme en Creuse, la FDSEA est aux commandes de la chambre depuis l'après-guerre.
Pas forcément une bonne chose pour Jonathan Auzou de la Confédération Paysanne. "On est passés de 7 000 à 3 600 agriculteurs dans le département. Ça ne va pas s'arranger avec le soutien du syndicat historique pour les installations de champs photovoltaïques au détriment du foncier agricole. Donc le bilan de gestion de la FDSEA est catastrophique. On rejoint la coordination rurale sur la dénonciation des accords de libre-échange. On s'entend par contre un peu moins bien avec eux sur la méthode".
Le syndicat veut porter la cause des cotisants solidaires, des agriculteurs en voie d'installation qui n'ont pas le droit de voter ni pour la MSA, ni aux élections à la chambre.
Sérieux et travail, c'est ce que veut mettre en avant la FDSEA par la voix de son responsable Emmanuel Lissajoux. "C'est bien de faire le buzz et de se montrer trois mois avant les élections, mais dans les commissions calamité par exemple on est tout seul à bosser, regardez les PV ! Au niveau régional, on est allé chercher les 30% de hausse pour le plan bâtiment. On n'a pas juste envahi le conseil régional pendant deux heures avec un bonnet jaune sur la tête."
Les bonnets jaunes, ce sont évidemment ceux des adhérents de la Coordination rurale qui en Corrèze aussi pourrait augmenter son score sous la direction de Amélie Rebière, présidente locale et vice présidente nationale.
"La chambre en Corrèze nous semble prenable. Les adhésions ont été multipliées par cinq depuis le début de l'année et la mobilisation de l'hiver dernier. Nous progression surtout chez les jeunes qui ne s'en sortent pas et voient bien que l'on ne peut pas continuer comme ça" confirme la présidente.L'implantation du syndicat dans le département est assez récente, il n'est représentatif que depuis les dernières élections en 2019.
"Si nous sommes élus, nous mettrons la chambre au service de tous les agriculteurs du département et pas seulement des copains. Nous voulons améliorer la communication aussi. Pour le moment on n'est au courant de rien". La première mesure de la Coordination rurale serait faire un bilan de l'activité de la Foncière rurale, la société de la chambre d'agriculture créée pour "porter le foncier, et uniquement le foncier, des parcs photovoltaïques corréziens avec les acteurs du territoire et de lancer des appels d’offres auprès des investisseurs". Une société contestée par les trois syndicats CR, MODEF et Confédération paysanne qui dénoncent l'accaprement de terres agricoles pour le photovoltaique au détriment des installations.
Les résultats en Corrèze en 2019 : FDSE/JA : 46,45%, Coordination rurale : 25,02%, Confédération paysanne : 16,14%, MODEF : 12,39%. Participation 52,81%.
Un peu d'histoire
La FNSEA créée après la Seconde Guerre mondiale a longtemps été syndicat unique jusqu'à la création du MODEF en 1959. Elle revendique 212 000 adhérents et contrôle la quasi-totalité des chambres (sauf trois). Interlocuteur privilégié des pouvoirs publics, elle est taxée de cogérer les politiques agricoles avec les gouvernements successifs. Le syndicat prône une agriculture productiviste, mécanisée et intensive, compétitive à l'international. Contre le Mercosur en 2024, elle n'a pas toujours été contre les accords de libre-échange.
Crée en 1959 à la suite de dissidences au sein de la FDSEA, le MODEF a longtemps été le seul autre syndicat. Proche de la gauche socialiste et communiste, Le Modef se positionne comme défenseur du modèle des petites et moyennes exploitations familiales. Il s’oppose à la concentration des terres, à la spéculation et à la concurrence mondialisée.
La Confédération paysanne a été créée en 1987, issue de courants au sein de la FDSEA est plutôt classée à gauche. Elle prône une agriculture plus respectueuse de l'environnement, moins productiviste, est résolument contre les accords de libre-échange.
La Coordination rurale est née en 1995, fondée par trois agriculteurs du Gers après la crise du lait et la réforme de la PAC de 1992. Généralement située à droite, voire à l'extrême droite. Elle s'oppose aux traités de libre-échange ainsi qu'aux normes et aux réglementations, particulièrement écologiques.