À la maison d'arrêt de Limoges, les travaux d'urgence ont débuté. Il y a trois semaines, l'administration pénitentiaire a été condamnée, par le tribunal administratif, à les réaliser. Cependant, l'histoire n'est pas terminée. Le Conseil d'État va examiner un recours et l'affaire pourrait faire jurisprudence. On fait le point.
Le 16 décembre 2024, le tribunal administratif a condamné le ministère de la Justice à des mesures d'urgence pour améliorer les conditions de détention des détenus de la maison d'arrêt de Limoges.
Trois injonctions ont été prononcées, sous peine de 1000 euros d'indemnités par jour de retard : la distribution de couvertures dans les cellules, le cloisonnement des toilettes pour plus d'intimité, et la distribution de kits d'entretien et d'hygiène.
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Un rapport accablant
Un mois auparavant, le bâtonnier de Limoges avait procédé à une visite de la prison située en plein centre-ville. Ce jour-là, 143 personnes étaient détenues pour seulement 83 places.
Dix-neuf cellules, dans lesquelles étaient entassés quarante détenus, ne possédaient pas de carreaux. En plein hiver, le froid et la pluie pouvaient donc s'y engouffrer.
Le bâtonnier a constaté des problèmes électriques, des risques importants d'incendie et la présence quasi généralisée de punaises de lits.
Les détenus ne bénéficiaient pas systématiquement de kits d'hygiène personnels ou d'entretien pour les cellules, ni de chaises pour s'asseoir dans la journée.
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Où en sont les travaux d'urgence ?
Des artisans sont-ils intervenus à la maison d'arrêt de Limoges pour mettre en œuvre les mesures d'urgence ordonnées par la Justice ?
Des détenus ont confié à leurs avocats que leurs matelas avaient été changés. Après plusieurs sollicitations, l'administration pénitentiaire a fini par nous confirmer qu'une partie seulement de la literie avait été renouvelée.
Une information étonnante, puisqu'on sait que la désinsectisation ne débutera que le 20 janvier. Les punaises de lit auront donc tout loisir d'investir leurs nouveaux terrains de jeu : des matelas tout neufs.
Selon nos informations, le directeur de la prison "a diffusé une note de service prévoyant la distribution de couvertures supplémentaires aux détenus qui en feront la demande." Il a aussi demandé un inventaire quotidien des carreaux cassés et commandé un stock de plexiglas pour les réparations.
Le chef d'établissement a aussi prévu la mise en service de kits d'hygiène et d'entretien. On ignore si ces derniers ont déjà été déployés.
S'agissant du cloisonnement des sanitaires pour plus d'intimité, "une commande de rideaux a été réalisée pour l’ensemble des cellules dans lesquelles les portes battantes ont été détériorées par les personnes détenues". De plus, "pour les cellules dans lesquelles la cloison initiale n’existait plus ou était trop dégradée, celle-ci a été remplacée."
Pourquoi ce référé devant le Conseil d'État ?
Quand ils sont saisis sur une affaire comme celle-ci, les juges des tribunaux administratifs ne peuvent qu'ordonner des mesures dites d'urgence, et en aucun cas se prononcer sur des demandes structurelles, impliquant de très importants travaux.
Voilà pourquoi le tribunal administratif de Limoges n'a pas répondu favorablement sur un certain nombre de points (extrait du référé Liberté devant le Conseil d'État) :
- Prendre toutes les mesures de nature à améliorer les conditions matérielles d'hébergement dans la maison d’arrêt de Limoges, y compris dans les quartiers disciplinaires et d’isolement ;
- Procéder, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir, à la rénovation, à la remise en peinture des murs et des plafonds des cellules et des parties communes, notamment des douches, et à la réparation des carreaux de carrelage, au besoin en privilégiant dans un premier temps les locaux identifiés comme les plus impropres à l’accueil et à l’hébergement d’êtres humains ;
- Prendre toute mesure susceptible d'améliorer la luminosité des cellules ;
- Prendre, dans les plus brefs délais, toute mesure de nature à améliorer l'aération naturelle, la ventilation et l’isolation de l’ensemble des cellules ou, à défaut, de celles identifiées comme les plus affectées par des problèmes d’humidité ;
- Équiper les cellules d’un nombre suffisant de tables, de chaises, d’armoires et d’étagères afin que chaque détenu puisse s’asseoir, prendre son repas à table, ranger ses affaires personnelles et conserver ses produits alimentaires et de remplacer le mobilier défectueux ;
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Faire réaliser, dans un bref délai qu’il conviendra au juge des référés de préciser, une vérification de la sécurité électrique de l’ensemble des cellules, ainsi que pourvoir à la maintenance régulière des installations électriques défectueuses selon un plan d’action détaillé et consécutif à un audit en la matière ; -
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Réunir sans délai la sous-commission de sécurité incendie afin qu’elle contrôle, au regard de l’effectif de détenus réellement présents au centre pénitentiaire, le respect des règles de sécurité en énonçant les mesures que le chef d’établissement devra prendre à bref délai, à charge pour ce dernier de les mettre en œuvre, et celles qui devront faire l’objet d’une programmation, ce qui inclut nécessairement le bilan des mesures prises depuis la précédente visite.
Le vendredi 17 janvier 2025 à 14 h 00, le Conseil d'État examinera l'affaire de la maison d'arrêt de Limoges. Il dira si un juge administratif peut, ou pas, exiger plus que des mesures d'urgence, et ainsi s'attaquer aux causes des conditions de détention indignes, et non à leurs conséquences.
Pour le barreau de Limoges, ainsi que l'observatoire international des prisons (OIP), cette audience revêt donc un caractère très important. L'enjeu est de donner plus de pouvoir aux juges administratifs pour qu'il puisse ordonner des mesures structurelles.
En 2020, la Cour Européenne des droits de l'homme (CEDH) avait condamné la France, jugeant la situation "indigne", dans ses prisons. La CEDH avait alors affirmé que le problème était systémique.