La DIRCO (Direction Interdépartementale des Routes du Centre-Ouest) annonce qu'elle va porter plainte après qu'un agent a été blessé lors d'un suraccident sur l'A20 en Corrèze, le 1ᵉʳ février 2025. Nous avons rencontré plusieurs d'entre eux pour évoquer leur métier au centre de Feytiat, un lieu stratégique pour la gestion du trafic sur l'autoroute A20 et le réseau secondaire. Reportage en coulisses.
Le 1ᵉʳ février 2025, un agent du centre d’Uzerche était en intervention après un accident sur l’autoroute A20 au niveau de Saint-Pardoux-l’Ortigier, dans le sens Paris-Toulouse, quand un second agent du centre de Brive est intervenu pour neutraliser la voie de droite.
La chaussée était glissante sur 800 mètres, un automobiliste a alors perdu le contrôle de son véhicule et s’est mis en travers de la route. Un second véhicule a alors percuté le premier avant de finir sa course dans le fourgon en heurtant l’agent présent. "Évacué à l’hôpital, il souffre de multiples coupures. Il a repris son service le 3 février. Une cellule d'urgence médico-psychologique a été activée, a indiqué la DIRCO (Direction Interdépartementale des Routes du Centre-Ouest) dans un communiqué, ajoutant qu’elle "va porter plainte".
Trop c’est trop : protégez les agents des routes ! Respectez le corridor de sécurité !
Communiqué de la DIRCO du 3 février 2025
"Trop c’est trop : protégez les agents des routes ! Respectez le corridor de sécurité !, conclut le communiqué de la DIRCO. La règle du corridor de sécurité, c’est une mesure toute bête, mais qui permet de sauver des vies", explique Caroline Laut, qui analyse l’accidentologie au centre de gestion du trafic de Feytiat, près de Limoges. : "Lorsqu’un véhicule est stoppé sur la bande d’arrêt d’urgence, les véhicules roulants doivent ralentir et se serrer sur la file de gauche pour éviter les suraccidents. Cette règle est encore récente puisqu’elle n’est dans le Code de la route que depuis 2018, on a d’ailleurs mis en place des visuels sur nos véhicules pour l’expliquer".
Cet accident, c’est un bon exemple des risques pris quotidiennement par les agents des routes. C’est au centre de gestion du trafic de Feytiat que nous rencontrons les équipes de la DIRCO, plus particulièrement dans un lieu d’importance vitale qui ne dort jamais : la salle d’opération qui fonctionne 24h sur 24.
Ce lundi 27 janvier au matin, deux agents sont aux aguets. Sous leurs yeux, une forêt d’écrans leur donne accès aux 90 caméras présentes sur tout le réseau, la majorité se trouvant sur l’autoroute A20 avec une soixantaine d’appareils. (Les images sont conservées durant 30 jours avant d’être « écrasées »).
La salle d'opération ne dort jamais
Dans la salle ce lundi matin, deux agents aux profils différents : à gauche, " Christian Lacroix, comme le couturier", se présente-t-il avec un grand sourire, arborant pourtant une marinière qui rappelle davantage le style Jean-Paul Gaultier. Christian travaille à Feytiat depuis la création du centre en 2001, quand il ne gérait encore que l’autoroute A20 - les routes nationales ayant été rajoutées en 2008.
À ses côtés, David Arvieux, lui, n’occupe ce poste d’opérateur que depuis un an et trois mois : avant cela, il était agent d’exploitation, sur les routes pendant 15 ans, à entretenir le réseau, réparer les panneaux, faire du fauchage ou intervenir sur les accidents. "On ne se rend pas forcément compte qu’on prend des risques, dit-il, mais aujourd’hui, je suis mieux ici que sur la route, parce qu’on ne risque pas notre vie."
Agent de la DIRCO, un métier à hauts risques
Le travail se fait en 3*8. En semaine, deux agents de 6 à 13 h, deux agents de 13 à 21h et la nuit une personne de 21h à 6h. "C’est vrai qu’au début, c’était dur de se mettre dans la cadence, raconte David : on travaille par pic. Par exemple, pendant une heure, il y a des alarmes et le téléphone n’arrête pas de sonner". À la question de savoir si le métier est stressant, la réponse de Christian fuse dans un rire : "J’ai fait un infarctus, donc oui, c'est stressant, les horaires décalés, peu de week-ends… et puis on voit tellement d’accidents. Celui qui m’a le plus marqué, se souvient-il, c’était un accident de moto au niveau de l’hypermarché Cora. Mes collègues sur place cherchaient la tête du motard et grâce à la caméra, c'est moi qui l’ai repérée sur le terre-plein central avec le casque. C’est dur et c’est la réalité de notre métier."
"C’est pour ces raisons qu’on a mis en place des formations afin de gérer le stress post-traumatique", abonde Guillaume Libert, le responsable du bureau ingénierie de l’exploitation et de la sécurité routière.
Pour les assister dans leur mission, les agents ont à leur disposition de nombreux outils comme les quarante panneaux à message variable, les cinquante-quatre stations de comptage des véhicules, les stations météo permettant de connaître la température de la chaussée ou encore les dispositifs de détection automatiques des incidents qui scannent et détectent des piétons, feux ou véhicules arrêtés : ces caméras spéciales sont situées sur les trois viaducs situés à Argenton-sur-Creuse, les Casseaux et Pierre-Buffière, car il y avait beaucoup de suicides sur ce type d’ouvrage : "Bien heureusement, il n’y en a pas eu depuis de nombreuses années", précise Guillaume Libert. On travaille en collaboration avec les pompiers, le SAMU et l’escadron routier de gendarmerie qui est juste à côté de nous dans le même bâtiment ".
Jets d'urine, insultes...
Sur les routes, "les gens ne conduisent pas moins bien, mais ils font trop confiance à leur voiture et aux outils comme les trajectoires de ligne, les limitateurs de vitesse, détaille Guillaume Libert, ce qui fait que les conducteurs sont moins vigilants. Par exemple, on voit davantage d’accidents par temps de pluie, car une fois le régulateur réglé sur 110 km/h, les gens n’adaptent pas leur vitesse. Autre élément : les pneus sont de plus en plus larges, ce qui accentue les risques d’aqua-planning ».
Les incivilités sont également un problème : "Un agent s’est déjà pris un pot de cornichons jeté depuis un camion, on a aussi des jets de bouteilles d’urine, des insultes", relate Guillaume Libert
Des camions plus nombreux et moins prudents
Le constat est partagé par les trois hommes : le trafic des poids lourds s’est densifié, et ils sont nombreux à ne plus respecter les distances de sécurité. "Ils ont le téléphone et la télévision dans le camion, relate Christian Lacroix : à 130 km/h, on roule 35 mètres par seconde, alors si on ne regarde pas la route pendant 20 secondes, vous imaginez le danger !"
"Ils se mettent les uns derrière les autres et ça donne un phénomène qu’on appelle des « trains de camions, détaille Guillaume Libert. Cette façon de faire leur permet d’économiser 10 à 15% du carburant, mais c’est très dangereux, car en cas de freinage, pour le 3ᵉ ou 4ᵉ camion, le temps de se déporter, c’est trop tard… »
Ils se mettent les uns derrière les autres et ça donne un phénomène qu’on appelle des « trains de camions".
Guillaume Libert, responsable du Bureau Ingénierie de l’Exploitation et de la Sécurité routière
Autre type d’accident : les cas de circulation à contresens : "ce qui revient le plus souvent, explique Guillaume Libert, ce sont soit des personnes très âgées qui ne sont plus conscientes, avec des cas d’Alzheimer ou bien des conducteurs ayant consommé des stupéfiants ou de l’alcool. On tente de lutter contre ça avec des aménagements comme des voies de sorties réduites avec des enrobés rouges ou des panneaux sens interdit jaune fluo. Une vingtaine d’échangeurs ont été modifiés pour détruire les îlots en T."
Autre mission importante : l’entretien des équipements routiers. Ce 27 janvier, par exemple, la circulation sur l’A20 a été fermée durant une heure à hauteur de Panazol, près de Limoges, le temps que les deux dalles d'une passerelle qui menaçaient de s'écraser sur la chaussée, soient décrochées et évacuées.
C'est la deuxième fois en un an que les agents interviennent suite à un tel incident à cet endroit où des intrusions ont été constatées à plusieurs reprises. Des travaux sont d’ailleurs prévus durant deux nuits à partir du 17 février 2025. Le début des travaux est annoncé pour 21h.
Un vaste réseau stratégique
La DIRCO couvre 1100 kilomètres de routes, un réseau qui comprend l’autoroute A20 dans sa partie gratuite (entre Vierzon et Brive), les routes à 2*2 voies à chaussée séparée ou à double sens, à savoir les RN 145 ou 147, par exemple. Le trafic de l’A20 reste important avec des pointes allant jusqu’à 60 000 véhicules par jour dans la traversée de Limoges, mais sur une échelle nationale, on est loin des records de Paris ou Grenoble (respectivement 220 000 et 150 000 véhicules/ jour).
Sur cette zone de onze départements qui traverse la Nouvelle-Aquitaine, le Centre Val de Loire et une petite partie d’Auvergne - Rhône-Alpes, les effectifs de la DIRCO (500 personnes dont 350 agents d’exploitation) sont répartis sur 21 centres. La grosse période, c’est la viabilité hivernale du 18 novembre au 18 mars durant laquelle 50% des agents sont d’astreinte et 3 à 400 tonnes de sel doivent être à disposition dans chaque centre.
À quelques mètres de la salle d’opérations, on trouve une salle de crise avec table, ordinateurs, écrans et liaisons sécurisées. "Depuis l’an dernier, nous avons recruté un responsable informatique système, explique Guillaume Libert, car avec la préparation des JO et à la guerre en Ukraine, nous avons constaté des défaillances, nous pouvions être vulnérables en cas de coupure ou de risque d’intrusion". Cette salle de crise ne sert pas forcément souvent, mais elle est indispensable, comme on l’a vu au moment de la crise agricole de l’hiver 2024 : "Je n’ai jamais fermé autant de routes en 25 ans", se souvient-il. L’A20 était coupée sur 60 km alors qu’elle en fait 120 !"
Autres trouble-fêtes potentiels : les animaux. Il n’est pas rare que des rats mangent des câbles, par exemple. Si des passages à faunes sont faits à partir des corridors de déplacement, un tableau répertorie le nombre et la nature des animaux qui traversent pour adapter les actions des agents : "sur l’A20, ce sont plutôt des sangliers qui traversent, explique Guillaume Libert. Sur la RN 145, c’est plus éclectique, on a par exemple beaucoup de lapins sur le secteur de Montluçon : ils se reproduisent beaucoup et creusent des galeries et nos talus menacent parfois même de s’effondrer !"