Témoignages. "J’évite de me plaindre, mais j’en suis à consulter mon compte tous les jours" : les étudiants originaires de Mayotte face à la précarité

Publié le Écrit par Nassuf Djailani

Décidée au lendemain du premier cyclone qui a ravagé l’île de Mayotte, le 14 décembre 2024, une aide exceptionnelle de 300 euros est versée aux étudiants mahorais pour faire face aux dépenses. Alors que les familles sont mobilisées par la gestion de la crise dans l'archipel, cette allocation est un soulagement, même si les prochains mois s'annoncent difficiles. Trois jeunes étudiants de Limoges témoignent.

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"Ça a été une belle surprise !", s’exclame Saou, étudiante en troisième année de Droit à l’Université de Limoges. Un rire sonore, comme un soulagement pour celle qui "consulte son compte tous les matins", afin de surveiller les dépenses, les prélèvements et aussi pour s’assurer qu’elle n’est pas dans le rouge.

"Je suis plutôt chanceuse"

La jeune femme est origine du sud de l’île de Mayotte, dans la localité de Mzoizia, dans la commune de Bouéni. Sa mère, sans emploi, ne peut pas lui venir en aide, c’est sa grande sœur qui lui apportait un soutien jusque-là, mais l’irruption cyclonique est venue couper toute possibilité à cette dernière de voler au secours de sa petite sœur. "De toute manière, j’évite de me plaindre, c’est indécent d’appeler à l’aide dans ces conditions".

Il faut préciser que les étudiants mahorais bénéficient d’une bourse allouée par le département de Mayotte, qu’ils peuvent cumuler avec une bourse nationale, conditionnée par les revenus des parents. "Moi, je suis en troisième année, avec une mère sans emploi, je suis classée échelon 7, donc je bénéficie d’une bourse de 350 euros du département de Mayotte, qui s’ajoute aux 650 euros de bourse nationale, donc je n’ai pas à me plaindre", concède la jeune étudiante. Mais ce qu’il faut rappeler, c’est qu’après plusieurs dossiers de refus, elle n’a touché la bourse de Mayotte que quelques jours après le premier cyclone. "Contrairement à beaucoup de mes amis, je suis plutôt chanceuse, mais il y a beaucoup d’étudiants qui sont dans une vraie détresse", rappelle Saou.

La jeune femme travaille également à la bibliothèque de la faculté de Droit à Limoges. Elle doit payer un loyer de 480€, (dont 200€ d’APL). "Je compte les centimes tous les jours, tous les mois, surtout que les factures d’EDF ont augmenté, c’est très difficile. Heureusement, reprend-elle, je ne suis pas véhiculée, donc ça réduit les frais", se console-t-elle dans un rire.

"On fait attention à là où on fait les courses. Je vais au cinéma une fois par mois, c’est le grand luxe que je m’autorise ! C’est parce que c’est ma sœur qui m’aide que je me permets, sinon je n’y vais pas. Ce qu’il y a à craindre, ce sont les soucis financiers qui risquent de survenir pour les cinq prochains mois, prévient-elle. Car tous les services du département en charge de gérer les dossiers des bourses ont été touchés par le cyclone, donc je crains le pire", s’alarme la jeune femme.

Le Limousin compte 250 étudiants originaires de Mayotte, à ce jour seuls 222 ont pu toucher l’aide exceptionnelle de 300 euros. Celles et ceux qui sont boursiers l’ont touché automatiquement, les autres doivent se signaler en faisant une démarche via le lien sur le site du Crous « urgence Mayotte », © Frédérique Bordes - France 3 Limousin - France Télévisions

Les prochains mois difficiles  

Pour Mariama, une autre étudiante originaire du centre de l’île, "les Mahorais sont dans leur pudeur donc, ils diront toujours que ça va, mais la réalité est tout autre". Originaire de Kahani, elle raconte que la maison de ses parents, restés à Mayotte, a été soufflée et n'a plus de toit. Les parents qui s’étaient réfugiés au rez-de-chaussée sont sains et saufs, mais "ils ne peuvent pas nous venir en aide, vu les urgences sur place."

Cette dernière vit avec sa petite sœur, actuellement en seconde. Elle étudie en L1 Sciences de l’éducation à l’Université de Limoges, depuis l’année dernière. Sa situation est plus critique, car elle ne bénéficie ni de la bourse nationale, ni de la bourse du département. Elle est en pleine recherche d’emploi, pour joindre les deux bouts, tout en poursuivant ses études.

De temps en temps, ses parents envoient un peu d’argent pour aider à payer le loyer et pour les courses, "mais ce n’est pas suffisant", murmure-t-elle. "Les 300 euros que j’ai reçus, ce mercredi 16 janvier, c'est un vrai coup de pouce". Heureusement, la jeune étudiante bénéficie de l’APL (244€) pour le loyer qui s’élève à 350€. En plus d’une licence en sciences de l’éducation, elle veut faire des études de médecine, qui l’espère-t-elle, ne seront pas compromises par les problèmes d’argent. 

La totalité des habitats précaires de l'île de Mayotte a été détruite par le cyclone © France Télévisions

"Nous sommes très solidaires entre nous"

Mansour Abdou Charif est, lui, étudiant en BTS Pilotage de procédé au lycée Raoul Dautry à Limoges. Il est en Limousin depuis 2018. Il est originaire de la ville de Tsingoni, au centre ouest de Mayotte. Il n’a plus que sa mère, restée sur l’île. Heureusement, elle habite dans une maison en dur, elle a donc pu s’abriter. Mais les dégâts matériels autour de sa maison sont importants : "L’eau et l’électricité ont été rétablies à peu près, raconte le jeune étudiant. Je l’ai eu la semaine dernière et elle m’a dit que ça va." 

Mansour a deux sœurs qui vivent en Creuse, à Guéret, sur qui il peut compter. La première année, il n’a pas bénéficié de la bourse de Mayotte, "à cause d’un dossier déposé en retard", admet-il. "Les seuls revenus que j’ai, c’était ma mère qui m’aidait beaucoup, mais avec le cyclone, elle ne peut plus. Ma grande sœur est mère au foyer, donc elle ne travaille pas, j’ai une autre sœur qui est en seconde, et une troisième sœur qui est en formation. Nous sommes très solidaires entre nous." 

Les 300€, qui ont été versés ce mercredi matin, arrivent à point nommé, car j’entame un stage de six semaines en fromagerie à Ahun à côté de Guéret, et je dois admettre que cet argent tombe vraiment bien, car je vais pouvoir faire les démarches pour assurer ma voiture et être autonome pour aller en stage", raconte le jeune homme. Aujourd’hui, je fais ce stage qui me plaît beaucoup. À terme, j’aimerais travailler dans l’agroalimentaire, ou faire une licence en traitement des eaux, mais j’hésite encore. Car dans ma filière, on fait un peu de tout, de l’agroalimentaire, du traitement des eaux et de la cosmétique", détaille-t-il.

Être étudiant, c’est l’apprentissage de la gestion, et Mansour a dû apprendre très vite. "J’ai un loyer de 286€, mais je perçois 233 euros d’APL, il me reste 53€ à payer pour mon loyer. Les courses, je fais souvent avec mes sœurs, je mange le plus souvent au self la semaine, ça revient moins cher."

La bourse perçue du département de Mayotte, cette année, s’élève à 350€, "ma mère fait des ménages à l’école primaire de mon village, et c’est avec ce maigre salaire qu’elle m’aidait un peu, mais là ça va être difficile", conclut-il. 

9 000 étudiants concernés

Selon le ministère de l’Éducation nationale, plus de 9 000 étudiants, boursiers et non boursiers, vivant à Mayotte (3500 jeunes) ou étudiant sur le reste du territoire national, vont toucher cette aide exceptionnelle de 300 euros. Une aide versée par le Crous, depuis le 13 janvier. Dans un contexte économique et psychologique particulièrement éprouvant, cette aide doit permettre de faire face à des dépenses ponctuelles imprévues. Elle vise aussi à renforcer l'autonomie de ces étudiants pour soulager les familles, déjà très mobilisées par la gestion de la crise dans l’archipel. 

Le Limousin compte 250 étudiants originaires de Mayotte, à ce jour seuls 222 ont pu toucher l’aide exceptionnelle de 300 euros. Celles et ceux qui sont boursiers l’ont touché automatiquement, les autres doivent se signaler en faisant une démarche via le lien sur le site du Crous « urgence Mayotte », ils doivent justifier d’une adresse des parents à Mayotte.

Les vingt-huit étudiants mahorais qui ne se sont pas manifestés doivent se signaler au Crous pour toucher l’aide.

 

 

 

 

 

 

 

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