Témoignages. "Je suis extrêmement surpris que ce ne soit pas arrivé avant" : les hôpitaux du Limousin confrontés à la violence

De très nombreux soignants de la région se sont recueillis à midi ce mercredi 24 mai, après l’agression d'une infirmière mortellement poignardée au CHU de Reims par un homme aux lourds antécédents psychiatriques. À Limoges, le CHU travaille depuis longtemps sur cette question, mais les agressions sont encore régulières.

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"Nous faisons face toutes les nuits à des violences liées aux toxiques. Alcool drogue... C’est 30 % de l’activité de nuit." Comme ses collègues, le docteur Jean-François Cueille, responsable des urgences du CHU de Limoges, est très marqué par la mort d’une infirmière du CHU de Reims, agressée au couteau. Il ajoute : "Je suis extrêmement surpris que ce ne soit pas arrivé avant."

"Quand ils sont drogués, les gens perdent pied, ils deviennent violents"

Selon le médecin, les agressions physiques sont régulières dans les services d’urgence, principalement à cause de la drogue qui circule dans le pays :

"C’est tous les jours, y compris à Saint-Junien et à Saint-Yrieix. Les patients vous font un almanach sur la qualité de la coke et la qualité du shit. Quand ils sont drogués, les gens perdent pied, ils deviennent violents et ils sont ingérables."

Dr Jean-François Cueille

Toutes les couches de la société sont concernées : "Une gamine de 19 ans du quartier des Émailleurs qui fait des études supérieures, elle prend de la coke en soirée, elle fait un bad trip, et ensuite, elle va cracher sur l’infirmière des urgences. La situation est grave."

Self-défense

Le CHU de Limoges est pourtant précurseur en matière de sécurité. Plusieurs secteurs de l’hôpital sont équipés de vidéosurveillance ou de boutons pour appeler rapidement de l’aide en cas de difficulté.

Le docteur Dominique Grouille, spécialiste des arts martiaux, a mis en place, il y a 25 ans, une formation pour aider les soignants à gérer les agressions et les "crises clastiques", des crises de colère violentes où une personne se met à briser des objets sans but précis. Aujourd’hui, ces formations s’exportent : "L’année dernière, on a fait cinquante-cinq formations, de la sensibilisation jusqu’au stage de quatre jours. Nous sommes allés dans douze établissements extérieurs à Limoges : de Boulogne-sur-Mer à Toulon en passant par Colmar."

Dominique Grouille a été auditionné, il y a tout juste deux semaines, par une mission gouvernementale de prévention de la violence dans les hôpitaux. Il a pu donner son point de vue :

C’est un problème assez chronique. Cela empoisonne les conditions de travail des soignants. Les gens ne veulent plus attendre.

Dr Dominique Grouille

Le médecin de Limoges a pu faire des propositions : "Est-ce qu’il ne faudrait pas former systématiquement les élèves des écoles d’infirmières et d’aides-soignants, comme nous, on le fait à notre échelle locale ?"

"En psychiatrie, le déficit est terrible"

Selon le procureur de la République de Reims, l’agresseur de l’infirmière décédée "faisait l'objet de soins psychiatriques depuis 1985, avec de nombreux séjours hospitaliers". Cette agression pose une nouvelle fois la question les moyens des services spécialisés.

Le docteur Eric Charles, psychiatre au Centre Hospitalier Esquirol de Limoges, constate : "Il y a un déficit très important de personnels soignants et de moyens. Cela fait des années et des années qu’on le dit. La seule chose qui a changé, c’est l’augmentation des postes d’internes. Ça va permettre d’accroître le nombre de médecins, mais en psychiatrie, le déficit est terrible."

Cette situation pose évidemment des problèmes de prise en charge :

On est sollicité par des collègues des centres médico-psychologiques des villes alentours qui nous disent qu’ils ne peuvent pas assurer le suivi après les hospitalisations."

Dr Eric Charles

Ce manque de moyens s’accompagne, là aussi, d’un risque d’agression. Récemment, dans cet hôpital, un psychiatre a été victime d’une agression physique pendant sa garde. Selon Eric Charles, "C’était choquant. Ça montre le manque de personnel. La journée, on a des infirmiers psychiatriques, mais la nuit, il n’y en a plus. Le personnel spécialement formé n’est pas présent."

Un phénomène difficile à quantifier

Le Conseil national de l’ordre des médecins a créé un observatoire pour avoir une idée du nombre d’incidents qui impliquent des violences verbales ou physiques. C’est un document déclaratif, les chiffres sont donc très probablement sous-estimés.

En Nouvelle-Aquitaine, 102 incidents ont été déclarés en 2021, et 123 en 2022. À l’échelle nationale, selon les années, entre 60 et 70 % des victimes sont des médecins généralistes. Ce sont en majorité des femmes, à 56 % en 2022. L’agresseur est le plus souvent le patient et le premier motif d’agression est un reproche relatif à une prise en charge.

Le gouvernement a aussi créé un observatoire national des violences en milieu de santé. En Nouvelle-Aquitaine, 1504 signalements de violence sont remontés en 2021, contre 1459 en 2020. Mais là encore, les chiffres sont en dessous de la réalité, beaucoup d’établissements de santé n’ont pas fait de déclaration.

Réunion au ministère de la Santé

Aujourd’hui, le ministre de la Santé François Braun appelle les soignants à "n'accepter aucune violence" et à porter plainte systématiquement. Une réunion au ministère de la Santé avec les organisations syndicales est prévue ce jeudi 25 mai.

Il sera question d’un plan de sécurisation des établissements de santé. Mais à Limoges comme ailleurs, le problème semble aujourd’hui bien plus profond.

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