En raison d'un usage mal maîtrisé des antibiotiques, de plus en plus de bactéries y résistent, compliquant le travail des soignants. À Limoges, des chercheurs ont mis au point un outil capable de trouver, en quelques heures, le bon traitement pour le bon patient. Cette technologie prometteuse permettrait d'éviter des millions de morts.
De prime abord, avec son aspect plutôt sobre, on pourrait confondre cette boîte métallique avec... un minifour de cuisine. Mais à entendre les conversations des professionnels en blouses blanches qui la manipulent, on comprend que les recettes évoquées ne relèvent en rien de la gastronomie : "On a la résistance à la benzopénicilline, mais l'oxacilline et la tylosine, c'est bon !" Derrière son apparence anodine, cet objet, "Damoclès", renferme une technologie prometteuse : le prélèvement d’un patient malade y est introduit, la machine l’analyse, identifie la bactérie en cause, et propose l’antibiotique le plus efficace.
On pourrait vous faire un diagnostic directement à partir de votre urine en moins de cinq heures.
Serge BattuChercheur en chimie analytique à l'Université de Limoges
Si le principe paraît limpide, le processus a nécessité beaucoup de travail. Pour parvenir à leurs fins, des scientifiques limougeauds ont détourné l'usage d'une machine plus ancienne, utilisée en cancérologie. "Les bactéries vont être séparées en fonction de leur forme, de leur taille, de leur densité, de leur déformabilité, détaille Serge Battu, chercheur en chimie analytique à l'Université de Limoges. Ces paramètres sont affectés par l'effet de l'antibiotique." Après plusieurs années de conception, l’efficacité de Damoclès est désormais démontrée : "Les développements effectués sur les infections urinaires nous permettent de penser que l'on pourrait vous faire un diagnostic directement à partir de votre urine en moins de cinq heures, ce qui est vraiment un progrès considérable."
L'antibiorésistance pourrait causer 39 millions de morts dans le monde d'ici 2050
Selon le protocole actuel, une fois prélevée, une bactérie est placée en culture pour qu’elle se développe ; des antibiotiques sont ensuite testés afin d'identifier le plus efficace. Tout le problème de cette démarche réside dans le temps qu'elle nécessite : pendant quarante-huit heures et l'attente des résultats, le patient reçoit un antibiotique générique qui ne se révèle pas toujours adapté. À force, de plus en plus de bactéries s’y habituent, s'adaptent et finissent par résister, empêchant la guérison des patients. Cette problématique est la raison d'être de Damoclès.
Au centre de bactériologie du CHU de Limoges, des chercheurs participent au projet. "Le bon usage des antibiotiques, c'est le bon antibiotique, pour le bon patient, à la bonne dose, avec la bonne voie d'administration, pendant la bonne durée de traitement, pose Marie-Cécile Ploy, professeur en microbiologie à l'hôpital. C'est un enjeu de santé publique majeur. Le dernier article sorti montre, à l'horizon de 2050, une prévision de trente-neuf millions de morts dues à l'antibiorésistance dans le monde."
Une technologie pouvant aussi servir les vétérinaires
L’équipe de Damoclès vient de participer à son premier salon commercial, à Lille, afin de présenter sa technologie. Issu du monde de l'aérospatial, le directeur affiche une motivation particulière : "J'ai eu un de mes fils qui a eu une bactérie résistante, raconte Nicolas Rousselet. Il avait quatre ans. J'ai été confronté à une semaine d'hospitalisation. Quand on m'a proposé ce projet il y a trois ans, je me suis tout de suite dit que le projet ne manquait pas de microbiologistes ou de pharmaciens. Il manquait quelqu'un ayant une vision industrielle."
En pleine levée de fonds, l'entreprise ambitionne de lancer une production d'ampleur pour permettre à des hôpitaux et des laboratoires de s’équiper. La médecine animale, pour les vétérinaires, constitue le premier secteur visé. La santé humaine représente l'objectif à long terme.
