C’est l’un des athlètes les plus attachants qu’a connu le Limousin. Pourtant, Mustapha El Ahamadi, né au Maroc, y est arrivé illégalement au début des années 1990. Mais son talent, sur le fond et le demi-fond, et sa gentillesse, l’ont aidé à y faire sa place. Trente ans plus tard, il est toujours là... Et si la carrière est finie, le renard de Saint-Junien court toujours.
La foulée est un rien moins rapide, mais elle est toujours aussi belle. Les spécialistes la reconnaissent au premier coup d’œil. Les autres, c’est plutôt le sourire qui illumine le visage, ou la gentillesse, qui émane de la voix. Et alors tous de s’exclamer : mais c’est "Mous" !
Mous, ou plutôt, Mustapha El Ahamadi. Enfin non. Mustapha El Ahamadi, ou plutôt Mous, puisque tout le monde l’appelle ainsi. "Même moi, je ne suis pas sûr de me retourner si on m’appelle Mustapha. Mous, ça fait tellement longtemps…"
Une passion d’enfant
Mous est né au Maroc, il y a 56 ans, à Berkane, tout au nord-est du pays. Si son père est agriculteur, lui, d’aussi loin qu’il se rappelle, a toujours voulu faire du sport. "Je voulais faire des études, pour être professeur, ou être dans le milieu. Au début, je faisais du foot et du hand. Et puis le soir, j’allais courir." Mais attention, ce n’était pas courir pour courir, ou courir pour aller vite. Mous a alors une idole, le légendaire Said Aouita, le marocain qui a régné entre 800 et 5 000 mètres, entre les JO de Los Angeles et ceux de Séoul. "Moi, tout de suite, ce qui m’a plu, c’est le 1 500 m, comme Aouita."
Enfin tout de suite, pas tout à fait. C’est même presque une humiliation qui l’a poussé vers son destin ! "Un jour, il y a eu une course sur route organisée chez moi, à Berkane, et je l’ai gagnée. Et mon entraîneur de handball m’a dit : Mous, je préfère que tu ailles courir. Sur le moment, je l’ai mal pris. Mais après... Si je le revoyais, je le remercierais." [Rires]
Une arrivée en France clandestine
Pour vivre sa passion, Mous décide de quitter le Maroc, et de venir en France. Il participe tout d’abord à quelques courses dans le sud, avant, par hasard, de remonter vers le Limousin. "C’était pendant la première guerre du Golfe. J’avais un copain qui habitait à Limoges, il faisait la fac de pharma, alors je l’ai rejoint. Je suis arrivé comme ça, par hasard. Ici, j’ai commencé à faire des courses. J’en ai gagné quelques-unes, et c’est comme cela que ma carrière a débuté."
Seul hic, Mous est sans papiers, débarqué illégalement, et lors de ces courses, il fait tout pour éviter les forces de l’ordre. Mais pétri de talent, il se fait vite remarquer. Par Alain Lebègue, de l'AS Saint-Junien, par Bernard Faure, par Jean-Luc Monge, qui ne va pas tarder à organiser la Course des Gendarmes et des Voleurs de temps. "Là, ça va, quand j’y ai participé, je n’étais plus dans l’illégalité. Mais je n’ai jamais su si les gendarmes étaient au courant pour mon passé. Je ne leur ai pas demandé non plus".
Sous la houlette de ses mentors, Mous voit sa carrière exploser, et sa situation s’améliorer. Sa naturalisation, en 1998, lui donne des ailes, et il intègre l'équipe de France.
Une incroyable carrière, mais sans les Jeux
En cross ou sur piste, au tournant des années 2000, Mous va tout connaître. Il fait les France, les Europe, les Monde, avec quelques titres et de très belles places.
Ainsi, en individuel, il se classe 4ᵉ, 5ᵉ et 8ᵉ des championnats d'Europe de cross en 1999, 2000 et 2002, 11ᵉ des championnats du monde de cross en 2001. Il est champion de France du 10.000 m en 2000, et 2ᵉ et 3ᵉ des championnats de France de cross en 2000 et 2002.
Et que dire de son palmarès par équipe : champion d'Europe de cross en 2000 et 2002, vice-champion d'Europe de cross en 2001, troisième des championnats d'Europe en 1999, vice-champion du monde en 2001 !
Une carrière où, tout en continuant de courir en Limousin, il côtoiera les plus grands à l’international, dont le roi des rois, Hicham El Guerrouj, originaire comme lui de Berkane. "J’aimais beaucoup Hicham, parce qu’il était de Berkane, et parce que je l’ai vu arriver et grandir. Après, je l’ai surtout vu de derrière !" [Rires]
Seul regret, toujours présent : ne pas avoir fait les Jeux, manqués à Sydney en 2000, pour dix toutes petites secondes au-dessus des minima..."Les Jeux, c’est toujours un regret. C’est un truc… T’as le sentiment de ne pas avoir accompli ta carrière. Les Monde, les Europe, je les ai faits, mais les Jeux Olympiques…"
Mous court toujours
Après vingt ans à haut niveau, Mous a mis un terme à sa carrière, achevée en sénior. Fidèle au Limousin, qui l'a accueilli et, dit-il, fait devenir homme, il reste à Saint-Junien, où il travaille désormais aux équipements sportifs de la ville.
Mais la passion et le besoin étaient trop forts, et il a repris, incapable de vivre sans, l'entraînement. "J’ai besoin de ça. Même si je ne cours plus vite, ça me rappelle ma jeunesse."
Sa fille et son fils ne marchent pas dans ses foulées, trouvant la course trop dure. Lui, d'autres sports l'attirent, comme le vélo ou la natation, mais il s'en juge incapable. C’est trop dur, je n'aime pas finalement !" Qu'importe, il courra tant qu'il pourra. Avec la même envie, le même sourire, la même droiture et la même gentillesse.
Mous, le renard de Saint-Junien.
Mustapha El Ahmadi, un vrai mec bien.