Ce lundi 3 février, une réunion de concertation était organisée à Bayonne par l'entreprise Elyse Energy. Elle envisage de construire trois usines qui serviront à produire de l'hydrogène et du e-biokérosène, notamment destinés à l'aviation. Face à elle, de nombreux associations et riverains ont manifesté leurs craintes et leurs oppositions.
Des bruits d’oiseaux et des cartons rouges. C’est la méthode qu’ont choisi les opposants au projet E-cho qui vise à créer trois entreprises de biocarburants sur le bassin de Lacq, en Béarn. Une réunion publique était organisée à Bayonne pour évoquer ce projet titanesque, évalué à plus de 2 milliards d’euros.
Lutter contre le réchauffement climatique
Prévu pour 2028, le projet E-cho, porté par Elyse Energy, réunit trois usines dites “bas-carbone”: HyLacq qui produirait 72 000 tonnes d’hydrogène, eM-Lacq qui fournira 200 000 tonnes de e-méthanol et BioTJet qui fabriquera 75 000 tonnes e-biokérosène. "Ces 75 000 tonnes représentent l’équivalent de 15 % à 17 % des besoins réglementaire de la France en carburant d’aviation durable à l’horizon 2030", avance l'entreprise. Ces trois sites emploieraient environ 200 personnes.
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Le projet envisage ainsi de lutter contre le réchauffement climatique en visant la décarbonation. “Pour lutter contre, il faut tout faire en même temps, de la sobriété jusqu’au remplacement des carburants fossiles, indique Mathieu Hoyer, directeur du développement commercial Elyse Energy. Notre projet est de substituer le kérosène utilisé par les avions ou le fioul des bateaux par des équivalents dits bas-carbone.”
Le secteur des transports devra avoir réduit en 2030 de 14,5 % son intensité en gaz à effet de serre notamment grâce à l’utilisation des énergies renouvelables.
Elyse EnergyEntreprise porteuse du projet E-cho
Sur son site, l’entreprise estime pouvoir réduire les émissions de carbone de 662 000 tonnes chaque année, “soit l’équivalent des émissions de 370 000 voitures, tout en contribuant à la souveraineté énergétique française et européenne”.
Les trois usines installées dans le bassin de Lacq couvriront à terme une surface de 65 hectares : eM-Lacq s’étendra sur 6 hectares à Lacq et Mont, HyLacq sera implanté sur 14 hectares à Mourenx, Pardies et Noguères. BiotJet de son côté, devrait voir le jour à Pardies et Bésingrand, sur un total de 45 hectares.
La forêt béarnaise en question
Dans le projet, la biomasse, prélevée dans un périmètre de 200 km, nécessaire à la fabrication du e-biokérosène est au cœur des questions des opposants. L’entreprise Elyse, porteuse du projet, envisage un approvisionnement réparti entre des produits issus de la forêt, d’autres de l’agriculture et enfin de l’industrie. “Ce seront des déchets d’ameublement ou du milieu agricole pour deux tiers, précise Mathieu Hoyer. On ne va pas détruire la forêt pour faire voler des avions.”
Un scénario “impossible” pour les opposants qui craignent d’assister à une déforestation massive. “La disponibilité de déchets n’est aujourd’hui pas disponible. Il faudrait mettre en place des filières de récoltes qui nécessiteraient des années de travail”, avance Jacques Descargues, porte-parole du collectif "Touche pas à ma forêt". Selon ses prévisions, Elyse Energy envisage en effet d’abord un apport issu de la foret. A partir de 2031, l’entreprise estime que les apports des deux autres filières représenteront alors 60 %.
Comme ces ressources n’existent pas, ce sera la forêt qui sera mise à contribution.
Jacques DescarguesPorte-parole du collectif Touche pas à ma forêt
Au-delà de la déforestation, que ces derniers ont évaluée à 14 000 hectares coupés durant les cinq premières années, les opposants dénoncent également une contraction artificielle du marché déjà positionné autour du bois. Selon Elyse Energy, une étude estimerait le volume disponible de bois dans la région cinq fois plus important que les besoins du projet. “Le projet va créer une guerre commerciale avec une augmentation des prix. Il n’y en aura plus assez, regrette Jacques Descargues. Nous considérons que la collecte de palettes, de sciures ont déjà leurs filières. Ils vont mettre un chaos.”
Face à ces enjeux, les opposants au projet demandent à l’État un moratoire plus général sur ces questions. “Il n’y a pas que ce projet. Il y a Biochar à Garlin, une unité de production de carburants à Tartas, une usine de bois, des dédoublements de scieries industrielles dans le Limousin ou de panneaux en Lot-et-Garonne, liste le porte-parole. Au total, on parle d’une quinzaine de projets qui veulent mobiliser du bois alors que l’État a reconnu qu’il n’y en a pas assez pour tout le monde.”
Plus de 520 mégawatts par heure
L’autre enjeu, à l’heure de la sobriété énergétique, réside dans l’apport électrique nécessaire à faire fonctionner les trois usines. Au total, celles-ci auront une consommation de 550 mégawatts, assurée par deux lignes à très haute tension de 400 000 volts, dont une, qui sera directement raccordée au poste source électrique de Marsillon.
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Une demande concentrée sur l’usine Hy-LAcq qui, pour produire de l’hydrogène, aura recours à un électrolyseur. “C’est 20 % de la puissance de la centrale nucléaire de Golfech, pointe le CADE (collectif des associations de défense de l’environnement du Pays basque et du sud des Landes). Elle correspond également à celle de l'ensemble de la consommation annuelle du département".
On fait en quelques minutes ce que la terre a fait en millions d’années.
Mathieu HoyerDirecteur du développement commercial Elyse Energy
Le collectif d'opposants regrette également la productivité de l’électrolyseur. “Tout ceci, pour produire seulement 1,3 % de la consommation annuelle en kérosène de l’aviation en France, indique le CADE qui pointe d’ailleurs un outil “risqué”, deux fois plus grand que le plus important, construit en Chine. L’hydrogène est un gaz corrosif et très inflammable. L'électrolyseur serait installé à une centaine de mètres des habitations, d’une route départementale très fréquentée et d’installations industrielles sensibles."
7,7 millions de m3 d'eau
Même alerte au sujet de la consommation en eau. Les trois usines envisagent de consommer 962,5 m3 d’eau par heure. Cette eau sera notamment prélevée dans le gave de Pau et également issue de la réutilisation d’eau industrielle.
Au total, cela représenterait donc 7,7 millions de m3 d’eau par an pour les trois sites. “Soit l'équivalent, selon l'Agence Adour Garonne, de la consommation annuelle d'une ville de la taille de Bayonne. Ce prélèvement correspondrait à une augmentation de 65 % des besoins en eau du bassin de Lacq dans un contexte ou le débit du gave ne cesse de baisser”, souligne le CADE.
Leurs rejets sont, quant à eux, estimés à 3,9 millions de m3, “mais à une température proche de 30° et possiblement pollués”. “Ce qui aura donc un impact probable sur le milieu aquatique. En période d’étiage, la situation sera critique et le réchauffement du gave compromet la reproduction des saumons, déjà fragile”, regrette le collectif qui s’oppose au projet.
Une concertation publique préalable a eu lieu du 17 octobre 2023 au 17 janvier 2024. Avant le début des travaux, toujours envisagés pour 2025, plusieurs autres étapes, dont l’ouverture d’une enquête publique, auront lieu. Si le projet ne voyait pas le jour, l’entreprise estime une perte d’environ 50 millions d’euros minimum.