Elles ont subi de lourdes complications suite à la pose de bandelettes urinaires. Cent trente-six femmes ont porté plainte, 111 d'entre elles ont vu celle-ci classée sans suite pour "absence d'infraction". Parmi elles, Anabela Neto, dépendante depuis son opération en avril 2022. Elle regrette une errance médicale.
La vie d'Anabela Neto bascule en 2021. Après une intervention chirurgicale visant à poser des bandelettes urinaires pour lutter contre l'incontinence, la Béarnaise commence à ressentir des douleurs insoutenables. Les semaines passent, et ce qui semblait être une solution à un problème médical devient un véritable cauchemar : un handicap grandissant, une dépendance totale à son entourage, et une douleur qui l'emmène au bord du désespoir.
Anabela, comme 136 autres femmes en France, décide de déposer plainte pour faire reconnaître les conséquences de ces dispositifs médicaux. Mais, en début d'année, la justice décide de classer 111 de ces plaintes sans suite, invoquant "l'absence d'infraction".
Quand elle l'apprend, le choc est immense. "J'avais envie de vomir, confie-t-elle, comme si on nous disait qu'on inventait tout, à quoi sert notre combat si personne ne nous croit ?" Ce sentiment de révolte est partagé par de nombreuses autres victimes, qui voient leur douleur balayée d'un revers de la main.
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Des vies bouleversées
Depuis cette opération, Anabela se bat pour les moindres petites actions quotidiennes. "Je faisais tout pour ma famille. Maintenant, je suis devenue dépendante, mon mari m'aide à me laver, et pendant des mois, je ne pouvais même pas aller aux toilettes seule", explique-t-elle. Sa souffrance est telle qu'Anabela a parfois des idées sombres : "Si mon médecin ne m'avait pas aidée, je ne serais plus là."
Comment une femme ou une personne qui marche, qui a une vie normale, se retrouve d'un seul coup couchée et dépendante des autres ?
Anabela Netovictime des bandelettes urinaires
Son témoignage, poignant, résonne avec celui d'autres femmes victimes des complications des bandelettes urinaires. Certaines ont vu leur santé se dégrader au fil des années : douleurs chroniques, incapacité à marcher, perforation des organes par ces dispositifs en plastique. D'autres doivent vivre avec des poches urinaires ou fécales, symbole d'une vie brisée par un dispositif pourtant présenté comme "sans risques".
Incompétence médicale
Les victimes pointent aussi du doigt le manque de reconnaissance par le corps médical. "Beaucoup de médecins ne croient pas leurs patientes. Ils disent que c'est dans la tête", s'indigne Anabela. Elle supplie les professionnels de santé : "Croyez vos patientes, s'il vous plaît. Faites des examens. Ne dites pas que c'est psychologique." Elle rappelle l'importance de l'échographie translabiale, un examen spécifique permettant de diagnostiquer les complications, mais trop souvent refusé aux patientes.
Malgré ce contexte d'errance médicale, certaines femmes ont trouvé des alliés parmi les chirurgiens, mais aussi parmi les autres victimes, qui échangent régulièrement via des groupes sur les réseaux sociaux. "On ne va pas se laisser tomber. On s'entraide énormément pour pas qu'une de nous flanche. Les chirurgiens sont avec nous."
J'ai eu des problèmes tout de suite après l'intervention, mais pour certaines femmes qui nous rejoignent dans le groupe, c'est un an, deux ans, cinq ans, dix ans après.
Anabela Netovictimes des bandelettes urinaires
Nouveau dépôt de plainte
La décision de classer les plaintes sans suite a été un véritable coup de massue pour les victimes. Hélène Patte fait partie des quatre avocates parisiennes en charge du dossier. "Nous avons des femmes lourdement handicapées, parfois en fauteuil roulant, mais personne n’est tenu pour responsable. C’est incompréhensible."
Pourtant, à l’étranger, des laboratoires ont déjà été condamnés pour des faits similaires, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni ou encore en Australie. "Ici, en France, les informations cruciales sur les risques de ces dispositifs étaient absentes des notices", souligne l’avocate. Selon elle, des manquements graves subsistent, y compris après 2020, date d’une nouvelle réglementation censée renforcer le contrôle de ces dispositifs.
L'une des victimes a suivi une procédure d'euthanasie en Belgique. Ce sont des femmes qui sont dans une souffrance quotidienne, qui les empêche de vivre une vie normale.
Hélène Patteavocate d'Anabela et d'autres plaignantes
Problème structurel
Surtout, l'avocate décrit un problème structurel. "Quand elles se réveillent après l'opération avec des complications extrêmement graves, invalidantes, elles ne sont pas entendues par les médecins qui leur disent qu'il n'y a pas de problème, vu qu'elles sont les seules à avoir cette difficulté. Or, elles se retrouvent aujourd'hui un certain nombre, très nombreuses, à avoir les mêmes complications."
Face à ce mur judiciaire, les victimes ne baissent pas les bras. "Nous voulons être reconnues comme des victimes d’un problème structurel et obtenir justice, martèle Anabela. Moi, je suis prête à monter jusqu'à Paris. Je suis prête à déplacer des montagnes parce que je n'accepte pas." Une nouvelle plainte avec constitution de partie civile sera déposée prochainement pour relancer les investigations.