Fin avril, la préfecture de la Vienne annonçait avoir renvoyé cinq migrants en Italie, où devait être examinée leur demande d'asile. Trois semaines plus tard, l'un d'entre eux témoigne de cette expulsion vers Bologne et de son retour en France, à Poitiers où l'a rencontré une de nos équipes.
Le 24 avril dernier, un petit avion décollait de Poitiers à la demande de la préfecture de la Vienne. Nous nous en étions fait l’écho à l’époque. A son bord, cinq demandeurs d'asile direction l'Italie, le pays où ils sont censés déposer leur demande de régularisation. D'après nos informations, trois semaines plus tard, plusieurs d'entre eux sont déjà de retour en France. Parmi eux, Mustafa*, originaire du Soudan.
Nous avons retrouvé Mustafa début mai en gare de Poitiers. Une fois arrivé en Italie, il a aussitôt repassé la frontière avec la France, sans papier, sans argent et en basket. "Je suis monté dans la montagne. Elle était très haute. J'avais un sac avec mes affaires, mais comme j'étais fatigué, je l'ai jeté. Je suis arrivé à Menton après 4 heures de marche." Mustafa arrive ensuite à Poitiers en train et sans billets.
Ecoutez son témoignage dans ce reportage d’A. Morel et S. Bourin
Un aller-retour pour rien pour ce jeune Soudanais. Un voyage commencé le 24 avril dernier, au commissariat de Poitiers, où il vient pointer chaque semaine en tant que demandeur d'asile. Il raconte sa dernière visite au commissariat de Poitiers : "Le commissariat nous a dit : il faut signer, signez ici. On vous ramène en Italie dans un avion express. Moi j'ai refusé de signer. Mais on m'a dit : si tu ne veux pas signer, il y a une ville dans le sud de la France, ça s'appelle Bayonne. On te laissera là-bas en prison. Moi, j'ai accepté et j'ai signé pour aller à Bayonne."
Pourquoi l’Italie ?
C’est dans ce pays qu’a été enregistrée la première demande d’asile sur le territoire européen de Mustafa. La France a engagé une procédure Dublin afin que ce demandeur d’asile soit réadmis en Italie. Tout cela est défini dans les règlements européens dits de Dublin, dont la dernière version date de 2013. Le cas de Mustafa n’est pas isolé. Les Etats peuvent demander la réadmission de migrants dans le pays où ils ont faits leur entrée et leur première demande d’asile. Le récent rapport d’un sénateur du Rhône indiquait que "25 963 demandeurs d'asile présents sur le territoire ont fait l'objet de la procédure « Dublin » en 2016, soit une multiplication par cinq du nombre de « dublinés » par rapport à l'année 2014". Et seules 9% des réadmissions prononcées sont réellement exécutées.Décollage depuis Poitiers-Biard
A l'aéroport de Poitiers, sur les panneaux d'affichage, aucune trace du vol POF75, en provenance de Paris-le-Bourget, et à destination de Bologne au jour du départ. Le ministère de l'Intérieur loue 6 millions d'euros par an ce turbopropulseur, selon un rapport parlementaire (sans compter les frais inhérents à son usage). Ce jour-là, il doit reconduire cinq demandeurs d'asile en Italie. "Les policiers m'avaient menottées les mains, les pieds, et ils se sont mis à trois pour me porter dans l'avion", nous explique Mustafa, de retour sur le parking de l’aéroport.Un vol spécial Paris-Poitiers-Bologne, une escorte d'une dizaine de policiers : les dépenses engagées au vu des résultats font réagir, y compris sur les bancs de la majorité. Ainsi pour Sacha Houlié, député LREM de la Vienne, "c’est un système qui fonctionne mal. Mais on ne peut demander aux préfectures de ne pas appliquer le droit et donc c’est la raison pour laquelle on a intérêt à accélérer sur un des aspects qui n’a pas été adopté dans la loi finalement votée [la Loi Asile et immigration, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale fin avril] parce qu’il n’est pas du domaine du législateur : il est aujourd’hui du domaine des pouvoirs publics européens".
Jean-Michel Clément a voté contre le projet de loi Asile et Immigration. Député désormais non-inscrit de la Vienne, il est aussi l’auteur d’un rapport d'information sur le droit des étrangers en France, co-signé en février 2018 avec le député Guillaume Larrivé.
Quand on évoque avec lui l’investissement humain, matériel, financier que représente le renvoi de ces migrants vers leur pays d’admission dans l’UE, sachant que rien ne les empêche de faire le chemin inverse comme l’a fait Mustafa, le député de la Vienne constate : "c’est l’échec de la politique européenne en la matière. On tarde à définir une politique cohérente, on en voit là les écueils. Chaque pays supporte ici et là d’une charge, je dirai à fonds perdus (…) Chaque pays se bat avec les armes qui sont les siennes, mais si on n’a pas décidé de regarder ensemble le problème, on se heutera toujours à cela."
Dans un mois, d'après la loi, Mustafa peut déposer une nouvelle demande d'asile en France.
* Le prénom a été modifié