"Nous ne sommes pas victimes de Merah mais d'une opération judiciaire"

Ils habitent tous au 17 rue du Sergent Vigné à Toulouse. Onze voisins de Mohamed Merah publient un recueil de témoignages pour raconter la manière dont ils ont vécu l'assaut du Raid. Et l'après. Une manière de se libérer. 

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Ils racontent tous la même histoire, celle qui a commencé le 21 mars 2012 à 3h15 du matin. Les habitants du 17 rue du Sergent-Vigné à Toulouse sont réveillés par des tirs d'armes à feu. L'assaut contre Mohamed Merah vient de débuter et ils vont rester huit heures cloîtrés dans leurs appartements. Ils sont les témoins de l'incroyable discussion entre Merah et les négociateurs. Pour certains, leurs appartements sont réquisitionnés par les policiers. Personne ne les informe de la situation. Enfants, adultes, personnes âgées, ils sont littéralement coincés jusqu'à la fin de mâtinée où l'ordre est donné de les évacuer par une échelle de pompiers.

Ils racontent tous la même histoire, celle qui a continué immédiatement après la mort de Merah : les appartements ravagés pour certains, les voitures criblées de balle sur le parking, la cellule de crise qui disparaît au bout de 48 heures, les politiques absents, les curieux qui scrutent leur immeuble, les cauchemars, les angoisses... 

Ils racontent tous la même colère, contre les autorités et les responsables politiques qui les ont abandonnés, contre les compagnies d'assurance qui ne couvrent pas ce risque, contre le tourisme macabre. Alors ils écrivent, ils publient un livre et rencontrent les journalistes pour conclure cette histoire : "On a voulu dire : on vous a tout dit, ne venez plus nous importuner. La vie reprend", confie Florence.

J'ai rencontré longuement Florence et Christelle dans un café à Toulouse, à quelques centaines de mètres de leur immeuble. Elles ne veulent pas accueillir les journalistes chez elles. "On veut retrouver notre cocon, nos lieux de vies, comme avant, explique Florence. Avec des caméras et des journalistes dans le salon ce n'est pas possible. Et puis tous les habitants n'ont pas participé au livre, nous ne voulons pas les importuner".

L'idée du livre, c'est elle qui l'a eue. Ils ont été une dizaine à participer, dès le mois de mai, à un atelier d'écriture. "J'avais l'impression que ce n'était que de la colère, qu'il n'y avait pas de réflexion. Ecrire a permis de structurer notre discours" "C'est vrai qu'on ne parlait jamais de nous, ajoute Christelle. On était occultés". Son compagnon n'a pas souhaité prendre part à cette aventure littéraire, mais elle y a vu "une vraie vertu thérapeutique". 

Surtout, parce qu'ils n'étaient pas prévus dans le "dispositif" les voisins de Merah se sentent abandonnés de tous : "On est dans un vide juridique, on est ignorés, niés" dit Florence. Mais alors quel statut pour ces voisins du tueur ? Pas question de se comparer aux victimes du tueur. Florence : "les massacres (NDLR : perpétrés par Merah") étaient tellement inhumains que nous n'existons pas". L'histoire aurait pourtant pu se terminer autrement. Pendant ces huit heures, un voisin aurait pu être blessé, tué. "Notre condition ne vaut que parce que l'on est en vie". Mais aucun d'entre-eux ne se compare aux victimes du tueur : "Nous ne sommes pas victimes de Merah mais d'une opération judiciaire. A ce titre, nous sommes dans un vide juridique". 

C'est pour laisser une trace qu'ils publient ce livre. "Au moins ça reste" dit Florence. Pour faire changer les choses aussi, comme dit Christelle "si ça se reproduisait ailleurs, que l'on ne laisse pas les gens comme nous seuls". Ce livre aussi pour obliger l'Etat à assumer "sa responsabilité sans faute" ajoute Florence. Payer les travaux, nettoyer les appartements, apporter du soutien psychologique, faire pression sur les compagnies d'assurance... Le livre sera peut-être lu par un fonctionnaire à la préfecture, par le conseiller d'un ministre. Alors, si ça peut servir pour d'autres... Pour eux, c'est déjà trop tard.

Ils racontent tous la même histoire mais onze histoires différentes finalement, onze exercices de styles plus ou moins réussis sur le plan littéraire mais sincères, parfois brutaux, toujours francs. Onze témoignages de gens qui se sont retrouvés pris dans un engrenage et qui ne veulent qu'une chose : "Oublier la violence". 

"Etat de siège à Toulouse" aux Editions Strapontins, en librairie le 15 mars 2013


Des extraits du livre "Etat de siège"

"Petit à petit, le calme revient.
Nous comprenons que le RAID prend peu à peu ses quartiers de l'autre côté de la porte du couloir. Du nôtre, nous nous installons sur des couettes dans le carré du couloir qui distribue les trois chambres. Une seule porte nous sépare des forces de l'ordre, mais personne ne vient nous parler.
Moi, j'aurais tant besoin d'être rassurée".
NATHALIE

"La journaliste sur qui je tombe travaille pour une radio. Elle me propose de parler à l'antenne ; d'après elle de cette manière, cela aurait plus d'impact.
J'accepte.
Ce message sera par la suite repris sur tous les médias.
Vous l'aurez peut-être deviné : c'est moi que vous avez entendue supplier et pleurnicher en boucle sur toutes les chaînes".
JULIE

"Je descends de la voiture, passe au milieu des badauds, tête baissée, et arrive devant l'entrée.
On a remis une porte depuis vendredi, je crois.
Mon oeil est attiré par une couleur vive, au moment où je m'apprête à entrer. Je tourne la tête.
Des lys, orange. Posés sur le rebord du soupirail en dessous de l'appartement. 
Mon sang ne fait qu'un tour. Je les ramasse et me tourne d'un bloc vers un groupe de personnes qui se trouve là, à me regarder. Je dois être livide.
- Qui a posé ça là ? demandé-je sèchement.
- C'était déjà là, me répond une femme.
Les fleurs sont jetées dans le conteneur manu militari"
CHRISTELLE

"Cette opération judiciaire a causé des dégâts matériels, et il serait inacceptable que nous ayons à les payer.
Nous ne sommes pas responsables des actes de notre voisin, nous ne sommes pas complices de sa mort ; nous sommes peut-être le symbole des défaillances. 
(...)
Nous ne voulons pas une médaille, mais de la reconnaissance, un simple merci.
Nous ne pouvons pas accepter cette culpabilisation, nous ne pouvons pas accepter d'être mis à l'écart aussi soudainement, nous ne pouvons pas accepter que l'Etat se retire de sa responsabilité et bafoue nos droits de citoyens.
Instinctivement, nous avons eu conscience de notre devoir.
Aujourd'hui, nous avons conscience de nos droits".
FLORENCE
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