Un an après le déclenchement de la colère agricole, Lolita Sene nous propose un court roman, intense et poignant. Elle-même vigneronne dans le Gard, elle aborde la vraie vie de ses amoureux de la terre. On perçoit la beauté, la rudesse, toute la difficulté du métier. Un hommage tout en délicatesse.
"Parfois il voudrait tout envoyer valdinguer, tirer sur les vannes et contempler les hectolitres de rouge se déverser dans la cour, au caniveau, sans rien ressentir". (Extrait)
Ce n'est pas sa vie mais Lolita Sene sait de quoi elle parle. Elle est vigneronne, à Rochefort-du-Gard. Son dernier roman "Seules les vignes" évoque la beauté, la rudesse, toute la difficulté du métier dans un petit village su Sud-Est de la France.
La difficulté du métier
Arnaud décide de quitter la fonction publique pour devenir vigneron, personne ne comprend. Son épouse, Nathalie ? Son enfance, elle l’a passée loin des champs, dans un bateau en périphérie de la ville.
Il s’efforce de ne pas se sentir trop écartelé entre ce désir de tout quitter, et ce doute de bien comprendre, donc de rester.
Lolita Sene, "Seules les vignes " (Extrait)
Le temps d'une année, d'une saison à l'autre, il faut affronter les insectes, les sécheresses, les déluges, la grêle, les maladies du raisin... "Et lui, face au désastre, se sent impuissant, désarmé, presque vaincu, ça monte à l’intérieur silencieusement, ça enfle, s’embrase, comme si ça allait imploser". (Extrait)
Entre désespoir et amour de la vigne, il faut vivre, ou survivre : "Il s’efforce de ne pas se sentir trop écartelé entre ce désir de tout quitter, et ce doute de bien comprendre, donc de rester". Lolita Sene nous propose un court roman, intense et poignant.
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Entretien avec Lolita Sene
Pourquoi avez-vous souhaité aborder le métier et la vie plus en général de vigneron ?
C'est marrant parce que quand j'ai commencé l'écriture de ce roman, j'étais un petit peu dans une position pétrifiée, de torpeur depuis un ou deux mois. J'avais énormément de mal à retourner à la vigne et à embrasser mon métier.
C'était l'hiver dernier et je pense que cette façon d'être restée un peu enfermée à la maison et ne pas réussir à aller à la vigne m'a permis de réfléchir à tout ça, de parler de ce métier d'une autre manière et aborder des thématiques qui sont un peu plus douloureuses, un peu plus complexes, qui font la vie d'un vigneron et la vie d'un paysan.
J'avais besoin de remettre un peu l'église au milieu du village par rapport à cette thématique parce que c'est vrai qu'en tant que vigneron, quand on rencontre des gens, on a l'impression qu'ils pensent que tout va bien alors que la vie de paysan est très dure.
Votre roman se décompose en 4 parties que vous définissez par les 4 saisons comme la vie de la vigne. Pourquoi est-ce que vous avez voulu structurer ce livre de cette manière ?
Parce que le consommateur a cette impression que la vie du vigneron va se centrer sur les vendanges seulement alors qu'en réalité, la vie du vigneron suit le cycle de la vigne. Ça ne commence pas pendant les vendanges, ça ne commence pas à la taille, mais ça commence vraiment au moment de l'éclosion des bourgeons. On va dire que la taille, c'est plutôt une finalité. On met fin à une année pour un nouveau cycle qui va démarrer au printemps, donc en avril. C'était pour remettre un petit peu l'idée que notre métier commence au printemps avec l'éclosion de la vigne.
Quand on rencontre des gens, on a toujours l'impression qu'ils pensent que tout va bien alors que la vie de paysan est très dure
Lolita Sene
Vous abordez la vie des vignerons. On perçoit la beauté, la rudesse, toute la difficulté du métier, d'autant que le vigneron ne maîtrise pas tout loin de là. Il est très souvent démuni face aux aléas climatiques de plus en plus fréquents, la sécheresse, les épisodes Cévenol, les maladies de la vigne, les problèmes de finances, évidemment, que vous évoquez. Que peut faire le vigneron face à toutes ces difficultés aujourd'hui ?
Je pense que le confinement a fait beaucoup de mal. Et ce qui nous manque aujourd'hui, c'est vraiment retrouver une fraternité, des réunions, discuter entre nous. On vient d'apprendre la mort d'un vigneron dans la Drôme, donc pas très loin de chez nous. Et ça n'arrête pas, en fait. Donc oui, il manque clairement beaucoup plus de retrouvailles, mais tout ça se passe aussi au sein du bar. Et je pense que cette culture où on doit diminuer l'alcool, sans prendre conscience un petit peu de ce que ça percute en fait, dans toute notre société de partage et d'ouverture et de convivialité, je trouve ça dramatique.
Ce monde des vignerons est-il vraiment solidaire ? À un moment dans votre roman, on en doute Donc, est-ce que la solidarité existe encore aujourd'hui ?
Alors c'est vrai qu'il y a une vraie solidarité, mais il y a toujours aussi cette idée d'appartenance à la terre. L'homme a pour désir d'avoir de la terre, de conquérir du terrain. Tout comme il peut y avoir des guerres entre pays, là on a des guerres au niveau du village, et on se retrouve avec forcément de la jalousie, des coups dans le dos.
Vous abordez aussi dans votre ouvrage le problème douloureux du suicide. Selon vous, certains vignerons n'ont plus assez de force pour lutter, pour survivre. Il n'y a plus d'autres solutions ?
Le vigneron ne vend pas des carottes ou des pommes de terre, il vend aussi toute une histoire. Il vend un breuvage, une idéologie. Pour moi, ça fait partie de la France. Donc quand on se retrouve après face à la MSA, à des cotisations patronales très élevées, aux douanes, des choses comme ça, c'est vrai qu'on ne sait plus trop ce qu'on vend, on ne sait plus trop si on est juste vendeur de chaussures. Je pense que cette dichotomie entre le connecté au ciel et les charges patronales, ça forme une espèce de détresse et c'est pour ça qu'il y a beaucoup plus de suicides dans cette agriculture-là.
Je pense que si les agriculteurs n'arrivent pas à faire prendre le mouvement, c'est parce qu'ils ont un peu tous la corde au cou et qu'ils doivent travailler.
Lolita Sene
Les vignerons ont fortement participé à la révolte agricole depuis un an. Est-ce que des choses ont changé en un an ?
Non. Je pense que si les agriculteurs n'arrivent pas à faire prendre le mouvement, c'est parce qu'ils ont un peu tous la corde au cou et qu'ils doivent travailler. Le seul moment où ils peuvent vraiment se révolter, c'est donc en hiver, parce qu'il y a moins de travail. Mais finalement le mouvement ne prend pas parce que maintenant il y a les élections, donc tout le monde est un peu dans l'attente. Mais si ça ne prend pas cette année, ça prendra peut-être l'année prochaine, il y aura un moment où il faudra vraiment modifier les choses. Les charges patronales sont bien trop élevées, les taxes sont bien trop élevées, tout est bien trop élevé en fait et c'est très fatigant. Très fatigant pour le paysan qui repart avec absolument rien en fait.
Est-ce qu'il y a encore aujourd'hui des raisons d'être optimiste lorsque l'on est vigneron ?
C'est une drôle de question. Je pense que le travail à la vigne nous redonne à chaque fois cet optimisme, parce que c'est une autre parole en fait, la parole qu'on peut avoir avec son végétal, tout comme je pense aux agriculteurs avec leurs bêtes, c'est une autre manière de communiquer. Et je pense que tout ça nous rend toujours une forme d'optimisme. Un agriculteur dans tous les cas a toujours cette forme de rédemption. Donc voilà, on continue.
Lolita Sene : "Seules les vignes ". Editions Le Cherche midi