Les études montrent que les agriculteurs se suicident plus que le reste de la population française. Un sujet qui reste encore tabou. Sébastien Solans a mis fin à ses jours, il avait 40 ans et se sentait dépassé, pris à la gorge. Sa famille témoigne.
Dans les champs, c’est la période des semis pour la famille Solans, des maraîchers du Gard. Après la préparation minutieuse du terrain, le ballet incessant des tracteurs et la vérification des plantations, cette période cruciale détermine la réussite des cultures. Un savoir-faire précieux, transmis de génération en génération.
"C'était infaisable"
Fervent défenseur des produits du terroir, Sébastien Solans aurait dû être dans les champs aussi, mais s’il n’y est pas, c’est parce qu’il a mis fin à ses jours, en octobre 2016. Âgé de 40 ans, il venait de reprendre l’intégralité de l’exploitation familiale, à la retraite de son père. Les aléas climatiques, des charges, des emprunts à rembourser et surtout des dettes, sont à l'origine de son geste.
Quand il s’est installé, après son stage, on lui avait promis qu’il n’aurait pas de charges pendant deux ans. Les conditions étaient réunies pour qu’il se lance. Il a fait une bonne année, des chiffres supérieurs, et on lui a demandé un rattrapage. Il a perdu pied, c’était infaisable.
Jean-Marie Solans, maraîcher à la retraite
"Ça m'est arrivé d'y penser"
Les terres que cultivait Sébastien Solans n’ont jamais été abandonnées. Elles ont été confiées à Samuel Solans, cousin du défunt. Samuel Solans a 35 ans de métier et nous confie aimer son activité, mais qu’il est confronté à des hauts et des bas. Il comprend d’autant mieux le geste de Sébastien Solans que lui-même a songé à mettre fin à ses jours.
Ça m’est arrivé d’y penser et pas qu’une fois. On a beaucoup de moments compliqués, on continue car ce métier c’est une passion et même une drogue.
Samuel Solans, maraîcher
Animée par une passion profonde pour la terre, la famille Solans continue d'exercer un métier exigeant, chronophage, pénible et peu rémunérateur.
Depuis quelques années, Samuel Solans a pris sous son aile le fils de Sébastien Solans. Arthur Solans, 21 ans, nourrit déjà l’ambition de perpétuer la tradition familiale et de reprendre l'exploitation. Conscient de la dureté du métier, il est lui aussi porté par ce virus : l’amour de la terre.
Du jour au lendemain, on peut tout perdre, si on ne produit pas bien, si le climat n’est pas propice, ça peut aller très vite dans l’agriculture.
Arthur Solans, maraîcher
Une vie "sous perfusion"
Les défis à relever sont immenses. En vingt ans, le nombre d'exploitations agricoles dans l'Hexagone a chuté de 41 %, passant de 664 000 en 2000 à 390 000 en 2020, selon l’Insee. Selon ses projections, la France pourrait ne compter que 275 000 exploitations en 2035
La famille de maraîchers gardois résiste encore. Le grand-père d’Arthur est fier de voir sortir des légumes des champs familiaux, il espère une prise de conscience de la population, un sursaut des politiques pour que les agriculteurs puissent vivre dignement et sereinement.
Toute ma vie, j’ai vécu sous perfusion dans mon métier, j’espère que mes petits-enfants vont vivre de leur métier, sans avoir besoin d’être alimentés par des aides qui n’arrivent jamais d'ailleurs.
Jean-Marie Solans, maraîcher à la retraite
Et pourtant, Jean-Marie Solans recommencerait "tout pareil" si c'était à refaire. Parce que cette profession, "on l'a dans le sang et c'est quand même gratifiant de nourrir les gens, non?" Fier de voir son petit-fils adoré lui aussi la terre : "On espère ne pas avoir fait tout ça pour rien", conclut-il.
En 2016, 529 agriculteurs se sont donné la mort. Ce sont les derniers chiffres publiés par la Mutualité sociale agricole. Le risque de suicide des agriculteurs est 30 % supérieur à celui des autres catégories professionnelles.