Photojournaliste à Toulouse, Rémi Benoit a pris la plume pour faire le récit de son enfance. Placé de foyer en famille d'accueil dès l'âge de deux ans, il a demandé à consulter son dossier constitué par les services sociaux. "Dedans, il y a tout". Il nous raconte. Il se raconte.
Rémi Benoit a mis dix ans à se lancer dans les recherches. En 2020, alors qu'il a des soucis personnels et vit des moments de solitude, il se décide à reprendre le chemin de son enfance. Peu de gens le savent, mais une loi datant de 1978 permet aux enfants placés d'avoir accès, une fois adultes, à leur dossier constitué par les services de l'Aide sociale à l'enfance et conservé aux Archives départementales. Le jour où il ouvre ce dossier, "c'est la claque", dit-il aujourd’hui. "Ça m'a bien secoué."
"J'ai découvert ma vie d'enfant dans tout ça"
"On est une fratrie de huit, raconte Rémi Benoit. J'étais le seul garçon. On nous a retirés parce que ça craignait à la maison." Rémi a alors deux ans quand il va être placé, avec cinq de ses sœurs, chez des religieuses à Luchon. Dans son dossier, "il y a tout" de son parcours. "Il y a tous les rapports des assistantes sociales. Tout ce qui est scolaire, médical. Quelques photos, quelques dessins. Des rapports psychologiques..."
Rémi est en quête de réponses, mais se heurte à une version institutionnelle. Dans leurs rapports, les assistantes sociales notent tout. Mais "quand on me déplaçait d'un endroit, il n'y avait pas les raisons. Elles n'expliquaient jamais pourquoi. Presque, on aurait dit qu'elles n'écrivaient rien qui puisse être reproché plus tard." Rien n'est écrit sur la maltraitance subie chez les religieuses. "Elles m'en ont fait voir... C'est inhumain." Cinq ans après son arrivée à Luchon, il est séparé de ses sœurs. À sept ans, les religieuses l'envoient dans une autre maison d'enfants gérée par la même congrégation à une quinzaine de kilomètres de là.
"J'ai découvert qu'une assistante sociale avait remarqué que là, c'était pire dans cette maison. J'étais seul, c''était l'horreur. Elle s'est rendu compte qu'il y avait un problème. On m'a envoyé dans un foyer au nord de Toulouse." Entre ses deux et dix-neuf ans, Rémi Benoit va être placé sept à huit fois. Il vivra un an dans une ferme. "J'étais un peu exploité, on va dire". L'adolescent est renvoyé par période chez sa mère. "Il n'y avait même pas de salle de bains dans l'appartement. Là, j'ai passé une année et demie où j'ai fait vraiment n'importe quoi. J'étais paumé. À 17 ans, ils m'ont renvoyé dans un foyer. Heureusement, ça m'a sauvé."
"Alors, heureux ?"
Avec tous les éléments retrouvés dans son dossier et ses propres souvenirs, Rémi Benoit commence à écrire. "J'ai commencé par raconter moi-même mes parties. Et après, pour ce qui était des assistantes sociales, j'avais repris juste leurs notes, des dates, des faits, mais je trouvais que ce n'était pas terrible. Du coup, j'ai fait appel à une personne aguerrie, qui m'a aidé à construire tout ça."
Il y a deux voix dans le livre. Il y a ce que j'ai vécu et que je raconte. Et après, il y a la partie où je fais parler les assistantes sociales. Il y a une espèce de ping-pong comme ça.
Rémi Benoit, auteur de "Alors, heureux ?"
Lors de ses recherches, Rémi Benoit ne s'est pas limité à son propre dossier. "Il me manquait quand même le côté parents." Avec ses sœurs, il a accès au dossier de la famille, avec les jugements et tout un tas de documents. "J'ai découvert plus que ma vie d'enfant dans tout ça."
Titre de ce récit de vie : "Alors, heureux ?" Ce livre, "c'est cathartique, comme on dit. Il fallait le faire. Ça m'a vraiment fait du bien", raconte aujourd'hui Rémi Benoit. Ses recherches lui ont permis d'échanger avec ses sœurs. De reprendre contact avec des personnes comme d'anciens instituteurs.
Rémi Benoit s'était jusqu'ici peu confié sur son passé et cette enfance ballotée. "Même mes propres sœurs, il y a des choses qui me sont arrivées qu'elles ne savaient pas." Avec ce récit, l'auteur se confie également à sa fille. "Elle m'a dit, comme héritage, il n'y a pas mieux."
Ce livre est un témoignage de la vie d'un enfant placé. Et pour Rémi Benoit, un moyen aussi de faire savoir l'existence de ces dossiers soigneusement conservés aux Archives départementales. "Alors, heureux ?" a été publié à compte d'auteur en septembre 2024.