Ces SMS d'une élue (pour favoriser une entreprise) qui embarrassent la mairie de Toulouse

La ville de Toulouse avait justifié la démission de Sophia Belkacem-Gonzalez de Canales, adjointe de Jean-Luc Moudenc, par des raisons d'emploi du temps et de surmenage. Mais des informations ont révélé un tout autre contexte. Explications. 

Quand, le 28 juin 2019, Sophia Belkacem-Gonzales de Canales, maire de quartier et élue aux cultures urbaines, démissionne du conseil municipal de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, le maire LR de la ville, lui rend un vibrant hommage dans un communiqué, en mode "être élu ce n'est pas facile tous les jours, surtout quand on a une famille et un métier !"

Je ne peux que comprendre et respecter les raisons personnelles qui amènent aujourd'hui Sophia Belkacem-Gonzalez de Canales à quitter ses fonctions électives, en gardant toute ma confiance. Exercer un mandat n'est jamais chose aisée – n'en déplaise à certains esprits idéalistes – lorsque vous devez sacrifier soirées, samedis et dimanches pour l'intérêt général et au détriment de votre vie familiale ou professionnelle. Parvenir à tout concilier est parfois impossible et le sacrifice attendu par l'action publique parfois trop grand par rapport à ce que l'on peut donner. (Jean-Luc Moudenc, communiqué)

"Raisons personnelles"

Ces raisons personnelles évoquées par le maire sont, officiellement, d'ordre familial, l'élue en question étant jeune maman, et professionnelle, puisqu'elle exerce le métier d'avocate.

Officiellement toujours, à ce moment-là, Sophia Belkacem-Gonzales de Canales est au bord du surmenage. Elle doit donc sacrifier sa fonction d'élue à Toulouse pour se consacrer à sa vie privée et professionnelles.

Echange de SMS

Sauf que cette démission intervient dans un contexte bien particulier comme l'a révélé le journal montpelliérain L'Agglorieuse grâce à son correspondant à Toulouse, le journaliste Stéphane Thépot. 

Cette démission intervient en effet le lendemain de la parution d'un message sur Twitter, posté par Jean-Christophe Rivière, un ancien cadre du groupe immobilier Angelotti, qui veut "assainir" les relations entre élus et promoteurs en Occitanie et prépare un livre en ce sens (lire encadré ci-dessous). Il publie alors les captures d'écran d'échanges de SMS entre l'élue toulousaine et Yohann Moreau, le président de la société Moreau Investissement, partenaire de la société Angelotti dans un appel à projets à Toulouse.

Je vous défend comme une lionne !

Ces SMS date du 20 février dernier. Ancienne élue de Béziers (Hérault), Sophia Belkacem-Gonzales de Canales participe ce jour-là, avec 4 autres élus toulousains dont Annette Laigneau en charge de l'urbanisme et l'ex-députée LR Laurence Arribagé, à un jury dans le cadre du concours "Dessine-moi Toulouse" lancé en 2018 par Jean-Luc Moudenc.
En gros, il s'agit d'un concours à idées, pour valoriser ou transformer des sites de Toulouse et de la métropole, appartenant aux collectivités locales, à l'Etat ou au privé. Officiellement ouvert à tous, ce concours donnera finalement lieu à des attributions à la plupart des grands groupes de promotion immobilière travaillant déjà sur Toulouse. Mais ceci est un autre sujet. 

Un ami parmi les candidats

Membre du jury, Sophia Belkacem-Gonzales de Canales a donc, parmi ses connaissances (elle a été conseillère municipale à Béziers avant d'être élue en 2014 sur la liste de Jean-Luc Moudenc) un candidat dans le dossier des Cales du Radoub, ces ateliers des Voies Navigables de France (VNF) situés au Pont des Demoiselles et dont certains verraient l'avenir en marina pour plaisanciers et riches riverains. 

Son "ami" lui dicte donc ce qu'il faut dire pour pousser le dossier. Si l'élue répond qu'elle ne veut pas que cela se voit trop, elle avoue quand même défendre son contact "comme une lionne" : 

- L'ami : Il faut dire que c’est l’opportunité pour eux d’avoir des locaux neufs pour VNF (...) et que le montage juridique et financier et proposé par Angelotti tient la route.
- L'élue : Je ne peux pas dire ça Yohann ça va faire flagrant (...) déjà que je vous défends comme une lionne. (...) Tu as quand même Laigneau et moi dans la poche (...) et Arribagé m’a dit OK pour mettre Angelotti aequo"

Ça fleure la tentative de favoritisme à plein nez ! Après les publications des infos de L'Agglorieuse, Sophia Belkacem-Gonzales de Canales, a reconnu, auprès de nos confrères de Médiacités, une "erreur débile, d'amitié, non préméditée". Elle persiste en disant que son départ du conseil municipal de Toulouse n'est pas lié à cette affaire. 

Au final, aucun dossier concernant les Cales du Radoub n'a été choisi : les Voies Navigables de France (VNF), propriétaires des lieux, ne retenant aucun des 5 projets présentés et préférant se donner le temps de la réflexion.

"Une faute éthiquement inacceptable"

Interrogée par nos soins, la ville de Toulouse nous a fait parvenir une longue réponse écrite. Si le maire Jean-Luc Moudenc y réitère sa "confiance" envers l'ex-élue, évoque encore une fois les "raisons personnelles" qui l'aurait poussée à la démission, il n'est plus question désormais de cacher cette histoire de SMS. Chaque mot a cependant été pesé. Panique au Capitole ?

Il est important de préciser que Sophia Belkacem-Gonzalez de Canales n’avait jamais eu à intervenir jusqu’alors sur des dossiers relatifs à l’urbanisme, ni à siéger dans aucun jury, eu égard à la nature de ses délégations, très éloignées de ce domaine. Que ce soit M. le Maire ou ses deux adjointes, Laurence Arribagé et Annette Laigneau, aucun d’entre eux n’a eu connaissance de la conversation SMS à laquelle il est fait allusion.
M. le Maire condamne avec fermeté le comportement en question, alors que l’intéressée « plaide la naïveté ». Son lien d’amitié avec Monsieur Moreau l’a poussée à commettre une faute, certes ponctuelle mais néanmoins éthiquement inacceptable.
Jean-Luc Moudenc lui garde néanmoins toute sa confiance car il reste convaincu de l’honnêteté et de la loyauté de Sophia Belkacem-Gonzalez de Canales (communiqué ville de Toulouse)

A 8 mois des prochaines élections municipales, Jean-Luc Moudenc ne pouvait garder dans son équipe une élue avec une telle épée de Damoclès. Après plusieurs invitations en début de mandat d'élus par des entreprises, le maire a fait adopter une charte de déontologie. 

Mais elle ne concerne que les cadeaux ou les invitations que les conseillers municipaux sont susceptibles de recevoir. Pas les SMS pour favoriser le dossier d'un ami dans un jury ! Cette "éthique" là, de la part d'un élu, relève de la loi. Ce que ne pouvait ignorer une élue exerçant la profession d'avocat. 

A la mairie de Toulouse, on rappelle que le jury n'avait pas de pouvoir décisionnaire et ne devait émettre qu'un avis. Les VNF devaient ensuite décider du choix, ou pas, du projet retenu. 
 
"Dans l'immobilier en Occitanie, la tambouille compte plus que le talent"
Jean-Christophe Rivière, qui a révélé cette affaire de SMS, est un ancien cadre supérieur du groupe immobilier Angelotti, basé en Occitanie. "J'ai quitté le groupe début 2019, après des alertes et le signalement de faits qui n'ont pas été rectifiés". 

Désormais, en cours de création de sa propre entreprise, il vise à assainir le marché immobilier dans la région. Son livre à ce sujet, dans lequel il dénonce des faits de conflits d'intérêts ou de corruption entre élus et professionnels de l'immobilier, est prévu de sortir en septembre et fera l'effet d'une petite bombe dans le milieu. 

"Sans doute plus à Montpellier qu'à Toulouse, où l'économie ne repose pas que sur ça, l'immobilier est très important, explique-t-il. Je veux que ces pratiques soient mise à l'ordre du jour des prochaines élections municipales. Que l'on adopte, comme par exemple à Bordeaux, des chartes pour les marchés publics et les appels à projets, qui empêchent notamment que les "amitiés" se mettent en oeuvre. Or, on parle beaucoup de la Côte d'Azur, mais en Occitanie, la tambouille compte plus que le talent"

 
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
Tous les jours, recevez l’actualité de votre région par newsletter.
choisir une région
France Télévisions utilise votre adresse e-mail pour vous envoyer la newsletter de votre région. Vous pouvez vous désabonner à tout moment via le lien en bas de ces newsletters. Notre politique de confidentialité