Les consultations des jeunes pour des troubles psychiatriques explosent. En raison du manque de moyens, des hospitalisations parfois urgentes sont repoussées. Des pédopsychiatres publient une tribune dans Le Monde. Parmi-eux, Jean-Philippe Raynaud chef de service au CHU de Toulouse.
Quatre fois plus de consultations et d'hospitalisations pour des troubles psychiatriques, les jeunes sont relativement épargnés par le virus du Covid-19 mais fortement touchés par l'impact qu'il peut avoir sur la société. Jean-Philippe Raynaud est professeur de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent, chef de service au CHU de Toulouse. Il fait partie des signataires de la tribune publiée ce mercredi 24 mars 2021 dans Le Monde.
Dans la presse, vous et vos confrères tirez la sonnette d'alarme sur la situation préoccupante de ces jeunes. Quel constat faites-vous ?
Jean-Philippe Raynaud : Depuis septembre et particulièrement depuis le mois de décembre 2020, nous assistons à une augmentation des consultations et des hospitalisations pour ces jeunes en détresse au CHU de Toulouse. Sur les listes d’attente, il y a aujourd’hui 20 à 25 jeunes. Or, on ne peut pas les faire attendre vu l’enjeu vital. Quand nous avons créé les Consultados (consultations pour adolescents en crise), il était prévu que le délai d’attente soit au maximum de 5 jours. Nous avons tenu cet engagement pendant deux ans. Maintenant ça explose. Les courbes sont impressionnantes. Nous les recevons en ambulatoire, on les porte à bout de bras, comme on peut.
Y a-t-il un phénomène très prégnant qui vous inquiète ?
Jean-Philippe Raynaud : Nous avons beaucoup de consultations liées aux TCA (Troubles du Comportement Alimentaire). D’habitude, ils sont détectés très tôt et on nous les envoie en consultation. Là, ils arrivent dans des états déplorables. Huit sont hospitalisés dans mon service et six dans un autre. On s’y attendait mais c’est très violent. Ce phénomène touche surtout les filles à 90 %. Pour les garçons, les troubles sont souvent extériorisés : ils passent à l’acte et tentent de se suicider. Pour les filles, c’est plus intériorisé et ça se manifeste entre autres par de l’anorexie.
La seconde vague psychiatrique nous submerge, et nous, les pédopsychiatres, psychiatres, psychologues, acteurs du soin psychique, avec l’aide précieuse des pédiatres, malgré les alertes lancées depuis longtemps, écopons la catastrophe annoncée mais désormais quotidienne.
Justement, quels sont les signes pour repérer un jeune, un ado qui pourrait passer à l’acte ?
Jean-Philippe Raynaud : Je ne veux pas faire paniquer les parents mais j’ai tendance à penser que tous les signes sont inquiétants et je n’aime pas quand on minimise la situation. Tout geste, toute expression d’idées suicidaire doit alerter. L’alimentation, le sommeil, un enfant qui se replie, qui communique moins, qui ne sort plus, qui perd le sourire. Mais aussi qui a des états d’excitation inhabituels et répétitifs. Tous ces signes doivent alerter pour garder au maximum le dialogue et les pousser à consulter. Je n’aime pas les anglicismes, mais c’est une forme de burn-out, un épuisement total, physique et moral. Les jeunes ont le sentiment d’avoir fait beaucoup d’efforts, d’être peu entendus, parfois stigmatisés. Leur scolarité est chaotique, ils n’ont plus de relations. Ceux qui ne vont pas bien aujourd’hui étaient certainement fragilisés avant.
Il y a la Covid-19 mais comment vous analysez les causes de ces troubles ?
Jean-Philippe Raynaud : Les ados sont extrêmement sensibles aux éléments de vie familiale. Tous ces troubles anxieux sont liés aux « stresseurs » que sont l’épidémie, le port du masque, les situations familiales parfois difficiles. Ils sont confrontés à ces violences : physiques avec le confinement qui a vu le nombre de violences familiales fortement augmenter, mais aussi mentales. Quand un des parents ou bien les deux se retrouvent au chômage partiel ou total, les grands-parents qui décèdent alors qu’ils étaient confinés ou soignés à la maison, un frère ou une sœur qui déprime, la phobie scolaire après le premier confinement, la perte de repères sont autant de facteurs qui peuvent expliquer leur situation de détresse. La famille est un système, on est tous liés les uns aux autres.
Faut-il raconter la quête interminable et infructueuse d’un lit ? Faut-il raconter comment nous renvoyons chez eux ces adolescents et les revoyons tous les jours jusqu’à l’obtention du Graal, un lit en pédiatrie ou en pédopsychiatrie ?
Vous co-signez une tribune dans Le Monde en signifiant votre refus de devoir un trier parmi ces jeunes suicidaires faute de lits suffisants pour les accueillir. La question des moyens se pose.
Jean-Philippe Raynaud : Tout le monde est sur le pont. L’option que nous avons prise est de renforcer l’existant. En Haute-Garonne, nous avons trois secteurs avec mission de service public : le CHU, l’Hôpital Marchant et la Guidance Infantile-ARSEAA. A eux trois, ils couvrent tout le département. Nous disposons d’une trentaine de lits en comptant ceux de la clinique Marigny de Saint-Loup Cammas (31). Nous avons vingt hospitalisations à l’hôpital des enfants et six de plus aux urgences. Nous travaillons avec les hôpitaux de la périphérie comme celui de Montauban mais ce n’est pas suffisant. D’ici cet été, nous espérons ouvrir 6 lits de crise supplémentaires à Purpan.
Faut-il souligner le risque de transformer ce retour à domicile en un premier palier d’une escalade face à un acte qui n’est pas entendu dans toute sa gravité ? Faut-il raconter notre inconfort, notre inquiétude, et notre manquement à les laisser partir ? Faut-il rapporter les discussions pour savoir quelle « pire » situation nous allons choisir d’hospitaliser car nous n’avons qu’un lit et plusieurs patients ? Faut-il raconter que nous déprogrammons chaque semaine nos activités, depuis plusieurs mois, pour répondre à ces besoins urgents ?
Au niveau du personnel, c’est aussi tendu ?
Jean-Philippe Raynaud : Nous manquons de médecins mais il n’y en a pas de disponibles. Nous recherchons aussi des infirmiers formés et ou intéressés par la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Oui, les moyens sont insuffisants. Heureusement, il y a une bonne concertation avec les différents acteurs que sont l’ARS, les Centre Medico-Psychologique présents sur le territoire, les psys qui sont en libéral, les médecins… Malgré ceci, les délais de prise en charge s’allonge parfois jusqu’à deux voire trois semaines. En France, à partir de 15 ans, un mineur doit aller aux urgences psychiatriques pour adultes. Et là, souvent, il est confronté à des cas extrêmes pas toujours adaptés à sa situation.
Qu’en est-il du « chèque psy » mis en place par le gouvernement en février pour venir en aide aux jeunes ?
Jean-Philippe Raynaud : C’est appliqué pour les adultes et le dispositif va se mettre en place pour les mineurs. Le chèque psy prévoit des consultations avec un psychologue sans avance de frais. Oui ça nous aidera mais je trouve que ce n’est pas bien rémunéré pour les praticiens. Il n’y a pas une solution mais un ensemble de solutions aussi autour de la scolarité. On doit s’occuper d’un tas de choses à la fois. La situation est extrême.
Selon une étude menée par le service d’urgences pédiatriques du CHU de Toulouse d’Isabelle Claudet, un enfant sur cinq a été victime d’un stress post-traumatique durant le premier confinement. Relativement épargnés par le Coronavirus, les jeunes ont été lourdement impactés par les changements de modes de vies liés à la pandémie. Aujourd’hui les effets négatifs sur leur santé sont multiples. Et ce n’est que le début.