Depuis 20 ans, l'école d'architecture de Toulouse (Haute-Garonne) doit être rénovée. Les crédits ont été votés. Mais les travaux n'ont toujours pas commencé et les délais réglementaires vont être dépassés. Plus de 3 millions d'euros ont été dépensés en étude et risquent de finir au "panier".
Sur le papier, tout va bien. Les financeurs se sont engagés et ont même voté les crédits pour un montant initial de 26 millions d'euros. Le maître d’ouvrage, à savoir le conseil régional d'Occitanie, a accueilli, dans ses murs, un concours pour désigner un architecte. En 2020, un lauréat a été désigné. Il s'agit de Pierre-Louis Faloci, un "archi" prestigieux ayant notamment reçu le Grand Prix National d'Architecture et l'Equerre d'Argent.
Après plus de 20 ans d'attente, l'École nationale supérieure d'architecture de Toulouse (ENSA) va enfin pouvoir être agrandie et rénovée. Une date de livraison a même été fixée : début 2024. En réalité, les travaux n'ont toujours pas commencé. Pire, des millions d'euros ont été engagés en frais d'études et pour mener les appels d'offres. Ils risquent d'être perdus.
Des crédits votés mais jamais engagés
Le tour de table financier n'a pas posé problème. Trois collectivités (le conseil régional d'Occitanie, le conseil départemental de la Haute-Garonne, Toulouse Métropole) et l'État se sont engagés. Les crédits ont même été votés et engagés par le ministère de tutelle de ENSA.
Il y a une vraie volonté de rénover et d'agrandir un campus créé par le célèbre architecte Georges Candilis et classé " patrimoine du XXe siècle". Le conseil régional d'Occitanie a même fait preuve de volontarisme. Placée sous la double tutelle du ministère de l'Enseignement supérieur et du ministère de la Culture, la maîtrise d'ouvrage aurait dû être réalisée par un office public de l'État.
Mais la collectivité régionale a demandé et obtenu qu'elle exerce cette fonction. Le fort engagement du Conseil régional s'est également traduit sur le terrain financier. Le conseil départemental de la Haute-Garonne a "signé" pour un montant de 2 millions d'euros. Toulouse Métropole est sur le même niveau de dépense. En revanche, l'enveloppe du conseil régional est de 11,414 millions d'euros.
Il ne s'agit pas de promesses. Mais de crédits votés par les différentes assemblées. De son côté, l'État s'est engagé pour boucler le budget. Fait notable, le ministère de la Culture a d'ailleurs été à la hauteur des engagements en accordant notamment une rallonge. On glose parfois sur le thème du "désengagement de l'État". Mais, sur le dossier de l'école d'archi de Toulouse, les engagements pris ont été tenus.
En juin 2024, le coût du projet a été réévalué à 33,5 millions d'euros.
En août 2025, le ministère de la Culture s'est engagé à financer le surcoût en débloquant 2 millions d'euros supplémentaires.
Sur le papier, tout semble "calé".
Pourtant, il suffit d'aller faire un tour sur le campus, situé dans le quartier du Mirail, pour percevoir que le seul signe de travaux est la présence d'un panneau indiquant qu'une réhabilitation est lancée.
En fait, depuis plusieurs mois, les financeurs jouent, selon une source proche du dossier, "la politique de la chaise vide".
Des financeurs aux abonnés absents
Depuis 2024, les élèves architectes et leurs professeurs sont censés travailler dans des locaux rénovés et agrandis. Ce n'est pas sans besoin. L'établissement, prévu pour 300 étudiants, accueille désormais 750 futurs "archis". Le nombre d'enseignants et de personnels administratifs a également doublé. Malgré un besoin criant, étudiants et enseignants attendent toujours les 2 500 m2 supplémentaires prévus dans le cahier des charges. Le retard des travaux passe mal. Au point qu'une pétition circule et recueille plus de 600 signatures afin d'attirer l'attention sur leur condition.
Pelleteuses et bétonnières ne sont toujours pas à l'œuvre. Selon une source, plusieurs "réunions des financeurs ont été annulées une heure avant". Conséquence pratique : les fonds pour mener à bien les travaux ne sont toujours pas débloqués.
Pourtant des dépenses ont été engagées. Il a fallu financer les appels d’offres et les concours, sans parler des études. Le montant "officiel" de la facture est de 1,1 million d'euros. Un autre chiffre circule : 3,6 millions d'euros.
Cette somme risque d'être "perdue". Ce qui a déclenché la colère de la ministre de la Culture, Rachida Dati.
La colère de Rachida Dati
Le 5 décembre dernier, la ministre de la Culture a envoyé un courrier au conseil régional d'Occitanie. Nous n'avons pas eu accès au document. Mais plusieurs sources ont eu la lettre en question sous les yeux. Elles concordent pour dire que Rachida Dati pointe un risque de "gâchis".
En effet, les millions d'euros engagés en amont des travaux sont bien partis pour finir à la "poubelle". L'inaction des financeurs conduit, en effet, à un dépassement des délais réglementaires.
Le temps peut coûter très cher en matière de marchés publics. La procédure est enfermée dans des délais. Ainsi, un planning doit être respecté sous peine de nullité. À deux reprises (en juillet et en décembre dernier), les appels d'offres ont été prolongés de plusieurs mois. Une troisième prolongation est juridiquement impossible.
Les entreprises concernées ont, d'ailleurs, accepté ce contretemps. Mais on s'achemine vers la fin du timing juridique. La date butoir se situe au début du mois de mars prochain. Une date qui doit inclure le respect des délais de convocation du comité d'appel d’offres. Autrement dit, le compte à rebours touche à sa fin. La fenêtre de tir est à peine de quelques jours.
Une fois cette deadline dépassée, il faudra recommencer à zéro et redébourser des millions d'euros alors qu'ils ont déjà été inutilement dépensés.
On imagine mal que le chantier soit abandonné. Les millions d'euros perdus vont donc venir alourdir la facture. De plus, selon nos informations, le maître d'œuvre, c'est-à-dire le cabinet d'architecture parisien, n'exclut pas une action contentieuse pour obtenir des dommages et intérêts en raison du retard du chantier.
Au final, le projet pourrait frôler et même dépasser les 40 millions d'euros.
Selon nos informations, une réunion doit se dérouler la semaine prochaine. Toulouse Métropole et le Conseil régional doivent faire le point sur les projets que les deux collectivités financent.
L'école d'architecture fait partie de la pile de dossier. Mais il semble qu'il soit déjà trop tard. Même un sursaut et un rebond ne permettraient pas de respecter les délais réglementaires.
Principal financeur (avec l'État) du projet de réhabilitation, le conseil régional d'Occitanie précise : "la Région souhaite respecter les engagements pris. Elle reste en attente des engagements de Toulouse Métropole, indispensables pour la réalisation du projet. La présidente Carole Delga a demandé qu'une réunion des cofinanceurs puisse se tenir dans les prochaines semaines. Elle va également solliciter le préfet pour appuyer cette demande".
Toulouse Métropole a également détaillé sa position sur ce dossier : "Dans la convention initiale, Toulouse Métropole était engagée à hauteur de 2M€. Depuis ses débuts, le projet a été profondément modifié avec une augmentation du coût de l'opération de plus de 9 M €. En raison des multiples modifications, du surcoût et de l'absence de visibilité budgétaire, Toulouse Métropole attend la tenue d’une réunion des financeurs afin d’avoir plus d’informations sur la nouvelle configuration du projet ainsi que sur la position des autres cofinanceurs pour se prononcer."
De quoi mettre de l'ambiance lors des prochaines rencontres des partenaires financiers...