A la tête d'une association pour la défense des droits des personnes handicapées, Odile Maurin a récemment rejoint le mouvement des "gilets jaunes". Un même combat selon elle, contre la "politique du gouvernement".
Sous le sourire et le regard franc, une bonne dose de rébellion. Assez pour qu'Odile Maurin se lance seule, en fauteuil roulant, pour arrêter le camion lanceur d'eau des CRS lors d'un face à face entre "gilets jaunes" et police à Toulouse.
C'était le samedi 12 janvier, lors de la 8e semaine de mobilisation, à l'entrée de la place centrale du Capitole. "On se serait cru sur la place Tianamen", rapporte un témoin, évoquant la fameuse image d'un fragile manifestant chinois stoppant des chars.
En quelques semaines, Odile Maurin est devenue l'une des passionarias du mouvement toulousain des "gilets jaunes". Le samedi, lors des défilés dans le centre-ville, elle déboule à toute vitesse, pilotant du bout des doigts son fauteuil électrique.
Son activisme lui avait déjà valu une certaine notoriété dans la région. A la tête d'Handi-Social, une petite association de défense des droits des handicapés qu'elle a fondée en 2001, elle a mené plusieurs opérations coup de poing. Sa dernière cible : la loi Elan qui restreint la proportion de logements accessibles aux personnes handicapées dans le neuf.
Pour combattre le texte, alors en discussion, elle a bloqué, avec une poignée de militants, un convoi de pièces de l'Airbus A380, puis en octobre un TGV, avant de participer en novembre à l'enfarinage d'un député En Marche. Et plus récemment, elle occupe les pistes de l'aéroport de Toulouse avec d'autres personnes en fauteuil.
"Au début sceptique"
Assoiffée d'action, elle n'a pourtant pas été immédiatement séduite par les "gilets jaunes", qu'elle a finalement ralliés "pour que soit prise en compte la situation des personnes handicapées."
"Au début j'étais sceptique, je voyais ça comme un mouvement poujadiste, « anticlimatique ». J'ai adhéré à partir du moment où il y a eu plus de revendications sur la justice sociale", lance cette brune aux cheveux courts.
Avec sa petite voiture dont elle peut prendre le volant sans quitter son fauteuil, elle parcourt les ronds-points, partage ses positions, prodigue des conseils. "Je suis admirative de son militantisme. En plus, elle a un super humour", affirme la "gilet jaune" Carole Boublis, pilier du rond point "Socamil" au nord de Toulouse.
Bien que "pacifique", Odile Maurin n'hésite pas à aller au contact avec les forces de l'ordre, harnachée dans des vêtements étanches, casquée et protégée par un masque à gaz : "J'ai des problèmes respiratoires donc je me protège".
Elle souffre du syndrome d'Ehlers-Danlos (SDE), une maladie génétique rare et invalidante, occasionnant douleurs chroniques, fragilité cutanée, problèmes articulaires, fatigabilité... Enfant, elle "pensait que c'était normal de souffrir". A la trentaine, elle a dû se résoudre à se déplacer en fauteuil.
"Un atout de sa maladie"
Mais auparavant, pas question de céder aux effets d'une maladie qui ne sera diagnotiquée qu'en 2011 : elle adore l'équitation, découvre la moto et commence la compétition en tout terrain.
Elle est aussi "réfractaire au système scolaire", au point que ses parents, "une mère de gauche et un père de droite", la sortent de son collège parisien pour l'envoyer dans le privé, au Pays basque.
Le jour de ses 18 ans, elle abandonne le lycée et connaît la rue, la drogue. Elle rebondit avec un BTS, devient commerciale, "assurances, encyclopédies, placements financiers", de quoi "beaucoup apprendre sur la nature humaine". Durant cette période elle vit une errance médicale, "on m'a dit que j'étais folle que c'était dans ma tête", se souvient-elle.
Elle s'établit à Toulouse à la fin des années 90, et n'arrive pas à obtenir une allocation adulte handicapé. "Je me suis acheté un code du travail et un code de la sécurité sociale", se rappelle-t-elle.
Son avocate, l'ex bâtonnière de Toulouse Nathalie Dupont, qui l'a accompagnée pendant 10 ans dans son combat pour faire reconnaître ses droits évoque "ses compétences exceptionnelles". "Elle a une réelle intelligence pour comprendre les textes (de loi). C'est une battante, de sa maladie elle a fait un atout", assure l'avocate.
Odile Maurin, est convaincue que la lutte est la même que l'on soit "gilets jaunes" ou handicapés : "Ce qui nous handicape aujourd'hui c'est la politique du gouvernement. Ce n'est pas à l'individu de s'adapter à la société mais à la société de s'adapter à l'individu".