Un bon millier de procurations se sont évaporées entre les lieux où elles ont été émises et Toulouse lors du scrutin européen de dimanche. En cause, les délais postaux et une grève du zèle de nombreux policiers et gendarmes qui considèrent qu'ils ont d'autres priorités.
Six jours avant l'élection de dimanche, le 20 mai, Manon s'était rendue à l'Hôtel de police de Nantes où la jeune Toulousaine poursuit ses études pour y faire établir une procuration au nom de sa soeur Romane votant à Toulouse.
Mais dimanche, Romane n'a pas pu voter. Elle a eu beau présenter au bureau 112 de l'école Paul Bert de Toulouse la photocopie du récépissé de la police nantaise, que sa soeur avait eu la précaution de lui envoyer, rien n'y a fait. Après vérification au service des élections de la mairie de Toulouse et après plusieurs appels restés sans réponse au commissariat de Nantes, le vote par procuration de Manon n'a pas été autorisé.
Un millier de procurations ne sont pas arrivées au service des élections de la ville de Toulouse
Elle est loin d'être la seule. A l'école Paul Bert, à 18h00 dimanche, 15 procurations avait ainsi été perdues. Et sur l'ensemble de la ville de Toulouse, le chiffre, selon le service des élections de la mairie, où on témoigne avoir connu dimanche "une journée de cauchemar avec des centaines d'appels téléphoniques pour se plaindre", s'élèverait à près d'un millier, soit 20% des procurations.
Deux causes expliquent ce gros couac selon le juriste Sacha Briand, adjoint aux élections de la ville de Toulouse qui indique que "depuis un certain nombre d'années, le service des élections connaît de plus en plus de difficultés avec un nombre croissant de procurations qui arrivent soit tardivement, soit après le scrutin".
En cause des délais postaux trop longs et une grève du zèle de la police et de la gendarmerie
"Soit les délais postaux sont trop longs", détaille-t-il, "soit les procurations se perdent". A Toulouse, raconte encore Sacha Briand, "des cartons entiers de procurations ont été livrés tardivement alors que la poste en disposait depuis une semaine". Ce qui a notamment obligé le service des élections de la ville à saisir les dernières procurations jusqu'à 3 heures et demi du matin dimanche.
Deuxième raison du dysfonctionnement, selon Sacha Briand : une grève du zèle des services de police et de gendarmerie chargés d'établir ces procurations. "De nombreux policiers et gendarmes, par ailleurs soumis à une charge de travail extrême, considèrent que les procurations ne constituent pas leur objectif numéro un. Sans aucunement les mettre en cause, ils estiment qu'ils ont autre chose à faire et observent une sorte de grève du zèle autour de cette question. Les envois de procuration ne sont pas faits avec la diligence qui doit être requise. C'est un message silencieux pour dire "stop" au ministère de l'Intérieur".
Au passage, l'adjoint aux élections de Toulouse ne manque pas de fustiger "les intellos parisiens" du ministère de l'Intérieur "qu'on alerte depuis des années" et qui "feraient bien d'écouter les gens sur le terrain".
Sacha Briand propose la signature électronique pour éradiquer le problème des procurations perdues. Pour lui, la solution pourrait venir de Franceconnect, le système utilisé par les impôts pour authentifier les déclarations sur internet. "Si on peut signer sa déclaration d'impôts par internet, on devrait pouvoir y arriver pour les procurations", dit-il.
En attendant, l'étudiante Manon, qui a perdu une demi-journée en période d'examens pour faire établir sa procuration, se désole de n'avoir pas pu voter dimanche. "On nous incite constamment à faire notre devoir de citoyen, mais on ne nous en donne pas les moyens", regrette-t-elle.
"On peut envoyer dans l'espace Thomas Pesquet qui nous transmet des photos de ses doigts de pieds toutes les cinq minutes", philosophe une électrice du bureau 112, témoin de l'empêchement de voter de sa jeune voisine de quartier, "mais on est incapable d'acheminer une procuration dans un délai de six jours !".
Un dysfonctionnement de nature à remettre en question les scrutins de type majoritaire
Ce dysfonctionnement des procurations ne se cantonne évidemment pas à la ville de Toulouse. Multiplié par le nombre de bureaux de vote en France, le phénomène représenterait toutefois des milliers d'électeurs. Pas de quoi sans doute remettre en question un scrutin proportionnel comme celui des européennes. Mais sûrement de quoi s'inquiéter pour les scrutins de type majoritaire où l'élection peut être acquise à quelques dizaines de voix.