Dans un livre qui vient de paraître, "La catastrophe d'AZF : Total coupable", Jean-François Grelier, président de l'association des sinistrés du 21 septembre, raconte son combat en tant que sinistré, en tant que blessé puis en tant que militant pour la vérité. Entretien.
Question : Pourquoi ce livre, quatorze ans après la catastrophe d'AZF et alors qu'un troisième procès se profile ?Jean-François Grelier : Ce qui est insupportable pour nous les sinistrés, c'est que la seule littérature disponible sur l'affaire AZF, ce sont des plaidoyers pro-Total qui essaient de démonter l'enquête scientifique. Et trouvent plus ou moins finement des façons de démonter l'enquête scientifique. Il y a en a un tous les six mois. Et c'est insupportable.
C'est un peu étonnant d'ailleurs qu'il n'y ait pas eu un seul journaliste ou un universitaire qui ait eu envie de faire le bouquin de référence sur AZF.
Il n'y a que des mensonges plus ou moins organisés, plus ou moins convaincants, avec des sou-entendus racistes insupportables. Il fallait au moins qu'il y ait ce témoignage. Et je pense que je suis bien placé pour le faire parce que je suis une victime, blessée gravement, et qu'ensuite, je me suis battu, je ne suis pas resté les bras croisés".
Jean-François Grelier : Je raconte. J'ai essayé d'embarquer le lecteur dans ma vie quotidienne. De l'informer au fur et à mesure de ce qui m'arrivait, des problèmes que ça me posait et comment j'essayais de faire face. En me regroupant, avec des voisins, en essayant de faire une force et de s'adresser aux décideurs.
Q. : le temps judiciaire est bien sûr largement évoqué...
Jean-François Grelier : Il y a deux parties. La première avec l'explosion, la suite immédiate et le collectif des sans fenêtres et tout le combat pour un juste dédommagement.
Et ensuite, la seconde partie, ce sont les procès où je raconte comment j'ai été impressionné par les procès et convaincu par l'enquête scientifique que je trouve de haute volée, c'est passionnant. Et là encore, je m'étonne qu'il n'y ait pas de journaliste scientifique qui se soit emparé de ça.
Et je raconte les différences entre les deux procès. Au premier, j'étais très naïf, je n'hésitais pas à interrompre, à me faire expulser quand il y avait quelque chose de choquant. Dans le second procès, il y avait une ambiance beaucoup plus lourde, la menace de la cassation qui planait tout le temps et on était un peu paralysé. La cour aussi d'ailleurs qui a été harcelée par les avocats de Total, la cour qui est toujours restée extrêmement calme, bouillonnant certainement de l'intérieur mais qui n'a pas donné des arguments à Total pour la cassation.
Mais finalement, ils en ont trouvé. Qui vient d'une erreur inqualifiable du premier président de la cour d'appel de Toulouse qui a nommé assesseur la vice-présidente d'une association nationale de victimes. Ce "moyen" de cassation a été retenu et on repart dans un nouveau procès.
Q. : Justement, ce procès qui va se dérouler à Paris, comment l'envisagez-vous ?
Jean-François Grelier : Ce nouveau procès doit se dérouler à Paris par l'opportunité d'un décret sorti opportunément quinze jours avant le délibéré de cassation et qui fixe tous les procès d'accidents collectifs à Paris. Nous avons calculé, dans notre association, qu'il faudrait au moins 10 000 euros. ce qui rend impossible à la quasi-totalité des victimes de participer au procès. Qu'est-ce que c'est que cette justice qui a besoin de se cacher pour travailler ?
Qu'est-ce que signifie un procès qui se fait en catimini, à 700 kilomètres des victimes ? Sinon un manque absolu de transparence.
Q. : Ce troisième procès sera peut-être l'occasion de tourner - enfin - la page...
Jean-François Grelier : Il est évident que si la justice fait son travail et que Total est à nouveau condamné, le groupe Total ira devant la cour européenne des droits de l'Homme et nous empêchera de tourner la page mais ce n'est pas nous qui choisissons.
Jean-François Grelier, un "sans fenêtres"
Jean-François Grelier a été gravement blessé dans l'explosion de l'usine AZF. Le vendredi 21 septembre 2001, il était à son domicile, cité du Parc, quand il a entendu une forte détonation. La curiosité l'a fait aller vers la fenêtre. L'effet du blast a emporté la fenêtre et l'a emporté lui.Peu après, il a créé le collectif des "sans fenêtres", avec ses voisins de la cité, pour interpeller les pouvoirs publics sur la situation dramatique des sinistrés.