C'est un sujet particulièrement sensible avec d'un côté la Ligue de protection des oiseaux et de l'autre, les professionnels de la pêche et d'élevage de poissons. Depuis plusieurs années, les cormorans s'installent dans les terres. Redoutable prédateur, l'oiseau a pu faire l'objet de tirs. Mais depuis l'été 2024, c'est le grand flou.
Que faire face à la présence toujours plus importante des grands cormorans ? À l'heure qu'il est, pas grand-chose. Une décision du Conseil d'État datant du 8 juillet 2024 a en effet annulé un arrêté ministériel fixant des plafonds de destruction de l'oiseau par département de 2022 à 2025, au motif qu'il se limitait à protéger les élevages piscicoles, en oubliant les poissons en eaux libres. Une consultation publique a été organisée en novembre 2024 pour un nouveau projet d'arrêté. Et depuis, plus de nouvelles. En attendant, les cormorans, eux, continuent de se nourrir de poissons et d'exercer une pression sur les espèces présentes dans les étangs notamment.
"Le Cormoran, un prédateur extrêmement efficace"
Dans quasiment tous les départements d'Occitanie, le constat est le même. Il n'est plus rare du tout de voir des oiseaux du littoral, goélands, mouettes et cormorans, à l'année dans des terres plus reculées. Pisciculteurs et pêcheurs peuvent en témoigner. À chaque début d'année, la fédération de pêche de Haute-Garonne organise ainsi un recensement du cormoran sur le département. Les résultats de janvier 2025 ne sont pas encore connus, mais ceux de 2024 étaient déjà éloquents.
3648 cormorans avaient ainsi été comptabilisés sur 34 dortoirs en Haute-Garonne. Soit une augmentation de 21% par rapport à l'année précédente et de plus 47% par rapport à 2018. Et il n'y a guère de raisons pour que le phénomène s'enraye.
Sur la Haute-Garonne, il n'y a plus de tirs autorisés sur les cormorans depuis 2022, nous rappelle Gaël Durbe de la fédération de la pêche 31. "Le changement climatique modifie le comportement des oiseaux migrateurs. Et il y a une forme de sédentarisation des cormorans avec des couples qui nichent à l'année sur certaines zones."
Et le directeur de la fédération de pêche de la Haute-Garonne de préciser : "Le cormoran est un prédateur extrêmement efficace, notamment dans les étangs."
Débat sur l'impact des cormorans sur certaines espèces de poisson
Le cormoran est une espèce protégée. C'est pour cela qu'il est question de dérogations à l'interdiction de destruction dans l'arrêté ministériel. Avant son annulation par le Conseil d'État, le texte visait à protéger les élevages piscicoles avec un nombre maximal d'oiseaux pouvant être tués par département. Dans le Tarn, ce quota était fixé à 100 par année, de 40 dans le Gers et de 44 dans les Hautes-Pyrénées. Franck Pomarez, le directeur de la ferme aquacole "La truite des Pyrénées", a assisté à la croissance de population des oiseaux du littoral à Lau-Balagnas (Hautes-Pyrénées). Pour protéger son élevage de poissons et régler le problème, il a posé des filets sur tous ses bassins.
En revanche, "dans les lacs, c'est une catastrophe", nous dit-il. Et sur son parcours de pêche, "souvent, les gens repartent sans avoir rien pris." Quel impact ont alors les cormorans sur les espèces de poisson dans les cours et plans d'eau ? La question continue de susciter le débat. Dans sa décision rendue en juillet 2024, le Conseil d'État indique "qu'il ressort des pièces du dossier que le grand cormoran est une espèce en bon état de conservation en France, dont les populations connaissent une croissance dynamique, et dont la présence est établie dans 55 départements, pour un effectif total de 11.136 couples nicheurs et un effectif moyen d'oiseaux hivernants de 98.000 individus."
Citant l'ombre commun, le brochet commun ou encore l'anguille européenne, la juridiction relève également "que plusieurs espèces de poissons protégées, susceptibles d'être consommées par le grand cormoran, sont en mauvais état de conservation. (...) Si le grand cormoran n'est pas le facteur principal expliquant ce mauvais état de conservation, la pression de prédation qu'il exerce apparaît susceptible, dans certains contextes particuliers, de contribuer à la dégradation de l'état de conservation de ces espèces."
"La régulation des cormorans ne peut pas se faire que par des tirs"
Hydrobiologiste, le directeur de la fédération de pêche de la Haute-Garonne reconnaît que plusieurs facteurs sont à l'origine du déclin de certaines espèces de poisson dans les cours d'eau. Notamment les aménagements anthropiques des bassins versants qui ont altéré les cours d'eau et leur débit naturel, le réchauffement climatique... Tous ces éléments ont contribué au déclin de certaines espèces de poisson sur une cinquantaine d'années. "Et par-dessus, arrive le cormoran."
Pour Gaël Durbe, l'oiseau prédateur peut présenter "un affaiblissement supplémentaire" d'espèces qui connaissent déjà des problèmes de régénérescence alors que les poissons font des centaines d'œufs à l'année. Le directeur de la fédération de pêche de la Haute-Garonne prend l'exemple du barbeau. Un poisson assez commun en fort déclin dans les cours d'eau du département.
Obtenir des autorisations de régulation du cormoran pour les poissons en eaux libres, c'est la demande déposée par la Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques. Mais, compte tenu de l'urbanisation, "la régulation du cormoran ne peut pas se faire que par des tirs en Haute-Garonne", estime Gaël Durbe. Cela passe aussi par la mise en place de refuges pour les poissons. Le représentant des pêcheurs souhaite une "réflexion équilibrée" sur le sujet.
Contacté, le ministère de la Transition écologique précise que le projet de nouvel arrêté cadre est en cours de finalisation. La consultation publique de novembre 2024 " a confirmé la nécessité de maintenir la destruction des cormorans au regard de la pression qu'ils exercent sur la population piscicole, notamment chez les pisciculteurs ou localement sur des espèces protégées, tout en restant vigilants sur la population de cormorans pour éviter qu'elle ne subisse des pressions non justifiées." Par ailleurs, une évaluation de la prédation du grand cormoran sur la faune aquatique a été engagée dans quatre départements pilotes, dont celui de l'Aude. "Pour permettre la réalisation de ces études, des arrêtés préfectoraux ont été pris autorisant les destructions à titre dérogatoire à fins de recherche", précise le ministère de l'écologie.