La théologienne Anne Soupa est candidate à l’archevêché de Lyon. A Toulouse, ses soutiens espèrent que soit relancé le débat sur la place des femmes au sein de l'Eglise. Certains veulent aussi peser sur la désignation du nouvel archevêque d'un diocèse, jugé trop "traditionnaliste".
Sur la forme, la candidature d'Anne Soupa à l'archevêché de Lyon lui parait "extravagante" et ne correspondant pas à son "tempérament". C'est d'ailleurs pour cette raison qu'elle n'a pas encore signé la pétition en faveur de la théologienne. Pourtant, Marianne Cébron, catholique toulousaine, reconnait "admirer la démarche" et s'étonne "des réactions indignées", "de l'animosité" et de "l'extrême violence" suscitées par cette démarche.
Annie Dreuille, elle, n'est pas surprise. Pour la fondatrice de la Maison des chômeurs et membre du groupe "Du Neuf Dans l'Eglise", "cette candidature met le doigt où cela fait mal : celui de la place de la femme au sein de l’Eglise." Des femmes essentielles au sein de l'institution mais invisibles pour beaucoup. "Ce sont elles qui font tourner les paroisses car ce monde d’hommes confinés ne se montre pas très productif" assure la croyante de 79 ans.
Les femmes "font marcher la boutique"
Un point de vue partagée par Marie-Laure Morin. Catholique de naissance, la docteure en droit et ancienne élue municipale (PS) indique d'emblée qu'elle ne "pratique plus" mais il lui parait important de soutenir cette initiative : "Il faut qu’il y ait une ouverture aux femmes. Ce sont les femmes qui font marcher la boutique. Je suis d’une génération où nous sommes rentrées massivement sur le marché du travail et il est très important que la parole des femmes soit aujourd'hui entendue. Ce serait un très grand signe car je ressens beaucoup une fermeture terrible de ce monde, cela devient un petit monde. L'Eglise a un besoin énorme d’ouverture et que tout le monde puisse s’y exprimer librement."
Difficile pour autant de libérer la parole. "Ce n'est pas forcément facile. Si je donne mon ressenti, je peux paraître comme quelqu'un qui sème la division. Lorsqu'une personne femme réagit, même sans invectives, sans excès et sans insultes, on va lui tomber dessus, assure Marianne Cébron. Cette parole n’est pas entendue et elle est toujours prise comme une revendication de "sufragette". Les femmes sont réellement engagées sur le terrain mais en dernier lieu, la décision est toujours prise par un prêtre, donc par un homme."Pour celle qui a commencé à travaillé pour l'Eglise à partir de 19 ans, à Nantes, rien n'a avancé en 40 ans.
Sacrements et gouvernance
Comme elle le souligne elle-même, Bénédicte Rigou-Chemin met depuis très longtemps son "oeil d'anthropologue au service de la communauté" dans laquelle elle vit. Un oeil "critique" et "déconstructeur". Pour la catholique toulousaine, il n'y a pas de doutes. Anne Soupa est bien là pour "faire bouger les lignes." "Elle le réalise de façon très habile, avec diplomatie et fermeté, souligne-t-elle. Cela a du sens dans l'Eglise d'aujourd'hui. D'autant plus qu'Anne Soupa connait parfaitement l'appareil ecclésial. Elle fait d'ailleurs clairement la distinction entre autorité ecclésiastique et la gouvernance, plus politique. Elle ne revendique que la gouvernance, pas la place de l'Evêque et de son rôle consacré aux sacrements."
Libérer la parole
Pour Marianne Cébron, c'est ce point qui provoque le plus la crispation : "L’Eglise est à la fois une institution « humaine » mais également quelque chose de mystique. L’histoire a voulu que les deux soient imbriquées et cela impacte très fortement la place des femmes et cela en devient un sujet épidermique. Certains pensent qu’en abordant ce sujet, on promeut, par exemple, la théorie du genre alors que cela n’a rien à voir. Toutes les questions sont mélangées."
Ces tiraillements traversent la communauté catholique. Bénédicte Rigou-Chemin ne s'en cache d'ailleurs pas : "Je ne suis pas une révolutionnaire mais la communauté a besoin d’un nouveau souffle. Comme catholique je suis inquiète de l’évolution de l’Eglise. J’espère que cela va bouger." Notamment du point de vue de la formation des prêtres. "Le vivier dans lequel sont formés les futurs prêtres est celui des Scouts d’Europe. Cela a une vertu : cela leur offre une formation avec des idées, une générosité du cœur dans un cadre traditionnel. C’est une démarche encouragée dans les séminaires mais cela ne laisse pas beaucoup de places à ceux que l’on désigne comme les chrétiens de gauche. Cela crée des tensions d’ordre politique, même localement. C’est dommage et cela me préoccupe en tant que croyante."
La mainmise des "traditionnalistes"?
Une situation très mal vécue à Toulouse par Annie Dreuille et les autres membres du groupe "Du Neuf Dans l'Eglise" : "Il y a sur le diocèse de Toulouse une véritable mainmise d’un courant traditionnaliste, très influencé par l'Opus Dei. Il faut de la place pour tout le monde et il n’y en a pas pour, nous, les disciples de "Vatican 2". Nous demandons depuis plusieurs mois à obtenir un lieu ou une paroisse afin de rassembler les personnes de notre sensibilité. Nous n'avons rien obtenu."
Pour le groupe "Du Neuf Dans l'Eglise", la candidature d’Anne Soupa "ouvre une porte à des paroles de femmes" à la veille d'un changement d’archevêque en 2021 dans le diocèse. "Il n’est pas question de faire la même chose. Nous souhaitons que les chrétiens soient consultés pour élaborer le profil du remplaçant de Monseigneur Le Gall."
Du côté de l'archevêché de Toulouse, on souligne que "la nomination du nouvel archevêque dépend du Pape et non du diocèse. C'est bien entendu la liberté de chacun et plus particulièrement des baptisés d'exprimer au Pape ce dont il a envie et ce qu'il souhaite pour l'église." Une occasion que compte saisir Annie Dreuille pour "casser" ce qu'elle estime être "ce mur du silence."