Six membres de l'association "un toit pour toi", tous de la même famille, ont été placés en garde à vue pour avoir détourné 1,2 million d'euros. Des sommes versées par le Conseil départemental des Hautes-Pyrénées et destinées à la prise en charge d'enfants et d'adolescents à Générest et Anères.
Un couple, les oncles, la tante, le père, la belle-mère... On pense aux "7 familles" mais ça n'a rien d'un jeu pour la gendarmerie de Bagnères-de-Bigorre. Tous sont membres du bureau de l'association "Un toit pour toi" basée à Générest et Anères dans les Hautes-Pyrénées. Ils ont été placés le 14 juin dernier en garde à vue après une enquête fastidieuse mais fructueuse, qui a duré deux longues années.
Résultat : 1,2 million d'euros sortis des limbes. Ils auraient été détournés de 2015, date de la création de l'association, à 2020 au profit de la famille sous forme d'achats immobiliers, de salaires exorbitants et de véhicules. C'est d'ailleurs l'achat d'une voiture de sport qui a mis la puce à l'oreille de l'administration.
Le commissaire aux comptes aux aguets
Sur le site de l'association, le logo du Conseil départemental bien en évidence comme la déclaration d'intention ne laissent rien supposer de ces malversations. On peut y lire : "le projet de notre Lieu de Vie est d'aider des jeunes " en difficulté ", voire en " grande difficulté " à se réinsérer socialement : cette aide va de la " remise en forme " psychique et physique, jusqu'à la scolarisation, la re-scolarisation ou la préparation d'un métier".
Une façade qui excède Michel Pélieu, le président du Conseil départemental, victime de l'arnaque, tout comme les enfants placés. "On a déposé plainte en février 2021 pour abus de confiance. Nos propres salariés n'avaient pas accès aux aspects financiers de la gestion de l'association. Ils s'étaient assurés qu'il n'y avait pas de souci dans l'accueil des enfants. C'est le commissaire aux compte qui a lancé l'alerte".
"Inacceptable et scandaleux"
Lorsqu'il a découvert que des salaires étaient passés de 1.000 à plus de 10.000 euros, que des véhicules étaient achetés par l'association et revendus par exemple au couple qui la gérait, sans parler d'une gestion très poreuse des comptes, Michel Pélieu a ressenti colère et indignation.
"C'est inacceptable et scandaleux que des gens comme ça, qui se donnent une dimension sociale très poussée en nommant leur association "Un toit pour toi", profitent du malheur de ces jeunes, déplore-t-il. On demandera réparation du préjudice subi".
Peu de garde-fous
Le couple qui gère l'association et les membres de leur famille ont pu regagner leurs postes au sein de la structure car rien ne leur est reproché vis-à-vis des enfants. "Si ça avait été le cas, on fermait immédiatement l'établissement", réagit Nathalie Assibat, la directrice de la Solidarité départementale.
Les gestionnaires de l'association ont pourtant reconnu qu'ils s'arrangeaient pour obtenir des supermarchés du secteur des invendus pour nourrir ces jeunes. Etonnant quand on sait qu'ils bénéficient de 4.500 € par mois et par jeune hébergé, la somme pouvant être majorée quand les enfants et ados viennent d'autres départements. Mais cette pratique n'est pas interdite.
"Le problème, confirme Nathalie Assibat, c'est que beaucoup de choses sont permises. Plusieurs membres d'un conseil d'administration peuvent être d'une même famille par exemple. Ces structures peuvent aussi verser des salaires de 14,5 fois le SMIC sans que ce soit illégal. Le code de l'action sociale et des familles ne l'interdit pas donc on ne peut pas agir".
Une vigilance accrue
Ajouté à cela, le fait que les salariés des Conseils départementaux sont focalisés sur leur mission : la prise en charge des jeunes et non la gestion des établissements, la fraude peut prospérer. Mais le Conseil départemental a décidé de changer d'organisation pour avoir un contrôle de gestion plus acéré. "Nous allons faire preuve d'une vigilance particulière et placer au poste de surveillance une personne dont c'est le coeur de métier", assure Michel Pélieu.
Pour ce qui est de l'affaire de Générest, elle a mobilisé des moyens très conséquents. "Les investigations sous la direction de l'adjudant David A. ont duré deux années, explique Paul Sandevoir, commandant de la compagnie de gendarmerie de Bagnères-de-Bigorre. Il a été appuyé dans ses recherches par le GIRG (groupe inter-régional Gendarmerie) de Toulouse, unité pluridisciplinaire qui assiste les enquêteurs dans les procédures complexes".
Biens immobiliers et produits financiers
D'autres spécialistes ont été sollicités : "un expert en estimation foncière placé près la cour d’appel de Pau et deux militaires de la brigade des recherches de Meaux (77) ont renforcé l’action des 24 gendarmes du groupement de gendarmerie des Hautes-Pyrénées", complète le commandant de gendarmerie avant de conclure : " les mesures coercitives et les perquisitions qui ont été menées ont permis d’étayer les hypothèses formulées durant l’enquête. Les saisies effectuées, qui portent sur des biens immobiliers, des véhicules et des produits financiers, dépassent le million d’euros".
Le dossier est désormais entre les mains de la justice. C'est elle qui va établir la responsabilité de chacun et les condamnations qui s'imposent. Au-delà de ce cas concret, on peut s'interroger sur la manne financière que génère cette activité et la facilité avec laquelle elle peut être détournée. Qu'en serait-il si les gestionnaires de l'association étaient restés sous les radars... s'ils ne s'étaient pas laissés tenter par l'achat d'une voiture de sport ?