Un rapport de la Chambre régionale des comptes d'Occitanie, publié mercredi 19 octobre 2021, soulève l'"incohérence" du mode de gestion du site du pic du Midi de Bigorre, qui a "atteint ses limites", et met en exergue une "absence de suivi et de contrôle" par l'Etat.
Incontournable site des Hautes-Pyrénées, le pic du Midi de Bigorre crève les nuages. Son observatoire astronomique (le plus ancien de haute montagne !), son antenne TV qui se jette vers le ciel et, surtout, sa vue incroyable, attirent chaque année des centaines de milliers de visiteurs.
Pour satisfaire la demande croissante, le gestionnaire du site du pic du Midi diversifie et monte en gamme ses offres touristiques. Mais, dans un rapport rendu le 15 avril 2021 et publié le 19 octobre dernier, la Chambre régionale des comptes (CRC) d'Occitanie constate "l’absence de suivi et de contrôle de la concession de travaux et de service public, auxquels s'ajoutent des manquements dans le suivi comptable des équipements".
[Pic du Midi de Bigorre] : un mode de gestion appelé à évoluer afin de permettre la prise en compte de nouvelles activités. @Occitanie @DepartementHaPy @CrtlOccitanie @Midilibre #Occitanie #montagne #colter
— Chambre régionale des comptes Occitanie (@crcoccitanie) October 19, 2021
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La Chambre a contrôlé le gestionnaire sur une période de six ans, de 2014 à 2020. Si aucune irrégularité n'a été observée, des "incohérences persistantes" ont été relevées depuis le premier contrôle, au début des années 2000.
L'occasion d'avoir un aperçu de l'autre versant du pic du Midi de Bigorre.
Le pic du Midi, un site hors norme
Avant tout, un peu de contexte. Le pic du Midi de Bigorre est un sommet de la chaîne des Pyrénées, situé sur le territoire de Bagnères-de-Bigorre dans le département des Hautes-Pyrénées en Occitanie. Culminant à 2 877 mètres, il est surtout connu pour son panorama à couper le souffle. Par temps clair, il est possible de voir l'ensemble de la chaîne pyrénéenne, de la côte basque jusqu'à l'Ariège. Rien que ça.
Le pic attire rapidement les scientifiques, qui y voient un emplacement idéal pour observer le ciel. En 1881, ils y construisent un observatoire astronomique. Toujours en service, il est aujourd'hui rattaché à l'Observatoire Midi-Pyrénées (OMP) et l'Université Paul Sabatier de Toulouse, et recouvre trois domaines : activités nocturnes en astrophysique, activités solaires et activités atmosphériques.
À l'époque des premiers scientifiques et astronomes, il fallait trois heures de cheval pour atteindre le pic depuis le chemin du Tourmalet, selon Adolphe Joanne dans son livre Itinéraire descriptif et historique des Pyrénées de l'Océan a la Méditerranée (1858). Pas très pratique, donc. Cent ans plus tard, un premier téléphérique est installé en 1952, affecté au transport du personnel.
Tout change en 1994, lorsque l'État, propriétaire du site, veut fermer l'observatoire. Feue la région Midi-Pyrénées se mobilise alors et crée le Syndicat mixte pour la valorisation touristique du pic du Midi (SMVTPM).
Ce syndicat est composé de la Région Occitanie, du Conseil départemental des Hautes-Pyrénées, de la Communauté de communes Haute-Bigorre, de la Commission syndicale de la vallée de Barèges et de plusieurs communes des environs.
Mission : la réhabilitation des installations scientifiques et l'ouverture au public d'une partie du site, ainsi que l'"exploitation commerciale" du Pic. Ce qui passe par la création d'une régie, autonome financièrement et juridiquement.
En 1996, l'État cède la gestion du site du pic du Midi au SMVTPM pour 30 ans, mais reste toujours propriétaire (cela veut dire que les installations au sommet et ses accès font partie du domaine public). Débutent alors d'importants travaux d'aménagement qui prendront fin en 2001.
Le téléphérique de service est remplacé par un nouveau, capable d'accueillir le grand public – il ne faut maintenant qu'un quart d'heure pour atteindre le sommet. Pari réussi : chaque année, le Pic accueille environ 140 000 visiteurs, principalement des touristes français. Entre 2014 et 2020, le nombre de visiteurs a augmenté en moyenne de 5,2 % par an, note la CRC Occitanie dans son rapport.
Après la fin des travaux de réaménagement, le syndicat mixte est tenu "d'assurer le transport, la sécurité du site, la gestion et la maintenance des infrastructures d’accès, des infrastructures bâties situées à la Mongie et à la station intermédiaire du Taoulet (premier tronçon du téléphérique) et des bâtiments sommitaux", explique la Chambre.
Une absence de suivi et de contrôle
Le pic du Midi étant un site particulier, à la fois par sa situation géographique, mais aussi par les différentes activités qui y sont exercées, la cohabitation et l'entente sont nécessaires entre le syndicat mixte et la communauté scientifique.
Ainsi, la concession du site par l'État au syndicat mixte prévoyait trois instances de concertation, destinées "à faciliter l’utilisation et la gestion des bâtiments du Pic du Midi et de leurs accès", souligne le rapport du CRC, qui cite un comité de pilotage, un comité de coordination et un comité scientifique et technique. "Aucun de ces comités ne s’est tenu sur la période" observée (2014-2020), alerte la chambre.
Le syndicat mixte "jamais contraint, n'a pas rempli ses obligations d'information" et a disposé "d'une totale marge de manœuvre dans la gestion du site et la réalisation de travaux". Aucun compte-rendu financier ni inventaire actualisé des travaux n'ont été transmis à l'État (qui est, rappelons-le, propriétaire du site).
Par ailleurs, les annexes budgétaires obligatoires (notamment concernant l'état du personnel et celui de la dette du syndicat) ne sont pas totalement remplies, continue la CRC.
Le syndicat mixte a été "l'unique décisionnaire". Et ce, parce que la concession a été conclue "dans des termes imprécis, sources d’ambiguïtés", privilégiant une gestion pratique et empirique. Si la Chambre n'a pas relevé d'irrégularités, elle souligne néanmoins un manque de rigueur dans le mode de suivi et de contrôle.
En outre, la Chambre pointe du doigt "des limites dans le mode de gestion actuel" du site du pic du Midi et des "dysfonctionnements en matière budgétaire et comptable".
Revenons à la régie, dont nous vous parlions plus haut. Créée en 2001, elle agit sous les ordres du syndicat mixte et dispose d'une autonomie financière. Elle sert à "la réalisation, la construction et l'exploitation des équipements nécessaires" à la valorisation touristique du Pic. C'est elle qui, par exemple, s'occupe du téléphérique et de sa maintenance.
"Initialement provisoire, ce mode de gestion s’est pérennisé".
Un mode de gestion qui atteint ses limites
La CRC continue : "Le conseil d’exploitation de la régie ne fonctionne pas"."Bien qu’il soit censé se réunir au moins tous les trois mois sur convocation de son président [...], aucune réunion n’a eu lieu sur la période". D'autant plus que c'est le syndicat mixte qui gère les attributions de la régie, ce qui crée "confusion dans la répartition des compétences".
Ce mode de fonctionnement entre le syndicat mixte, la régie et la communauté scientifique, ainsi que la relation concessionnaire/concédant avec l'État est assez contraignant, et ne permet finalement pas de mettre tout le monde autour de la table pour faciliter les décisions.
"L’obligation de réunir le comité syndical ou le bureau en fonction des délégations de compétences, pour des décisions de gestion quotidienne telles que l’attribution de prime, la modification des tarifs, etc., ne répond pas aux besoins de souplesse et de réactivité liés à l’exploitation du service", déplore la Chambre régionale des comptes.
Recommandation n°5 de la Chambre régionale des comptes pour le syndicat mixte : clarifier, en collaboration avec l’État et la communauté scientifique, les modalités de gestion du site du pic du Midi à l’issue de la concession.
Aux limites du mode de gestion s'ajoute une échéance pas si lointaine : la fin de la concession du site du pic du Midi au syndicat mixte, prévue en 2029.
Or, le type de contrat de concession accordé au syndicat en 1996 implique qu'à son terme, un appel d'offres sur la gestion du site du Pic soit ouvert. Un élément essentiel à prendre en compte pour la suite.
Suite aux remarques de la Chambre, le syndicat mixte dit envisager la création d’un établissement public de coopération culturelle (EPCC), "permettant l’intégration de l’État au sein de la structure, mais également l’intégration et la reconnaissance des missions de territoire assurées actuellement par la régie hors de tout cadre officiel".
Un site qui n'a pas (trop) souffert de la crise du Covid-19
La situation financière du syndicat mixte est encore soutenable. Toutefois, la Chambre alerte sur "la rentabilité économique de l’activité [...], limitée par le poids des dotations aux amortissements". Comprendre : l'exploitation et la maintenance des infrastructures (surtout l'entretien des téléphériques) ont un coût énorme, qui pèse sur la rentabilité du site.
La Chambre appelle donc le syndicat mixte à la prudence et au suivi rigoureux du niveau d'endettement, d'autant plus que la crise sanitaire persiste. Si, en mai 2020, le pic du Midi a retrouvé un niveau de fréquentation habituel, le syndicat mixte essuie une baisse de près d'un tiers de son chiffre d'affaires par rapport à 2019.
Dans sa réponse au rapport, le syndicat mixte soutient que, depuis la réouverture du site le 19 mai 2021, la progression du chiffre d'affaires "présente une dynamique encourageante". Confiant, il ajoute que, grâce aux projets de valorisation du pic à horizon 2022 et 2024, l'offre touristique sera "enrichie" et entrainera une "nouvelle dynamique avec un niveau d'endettement qui apparait soutenable".