Pour la deuxième fois en France, depuis la proclamation de l'état d'urgence, le Conseil d'Etat a décidé de suspendre une assignation à résidence. Il a estimé que l'administration n'avait pas apporté d'éléments "suffisamment probants" pour justifier la mesure. Elle concernait un homme de Montpellier.
Il s'agit d'un Marocain de 25 ans assigné à résidence à Montpellier depuis le 16 novembre, Youssef Z., qui a porté l'affaire jusque devant le juge des référés de la plus haute administration française, l'instance qui tranche les questions les plus urgentes.
Le ministère de l'Intérieur avait décidé cette mesure en indiquant que l'intéressé avait des liens multiples avec des personnes liées au jihadisme, dont une famille ayant rejoint les rangs du groupe Etat islamique, et qu'il avait chez lui divers documents ou dessins faisant référence à l'EI.
Le Conseil d'Etat a estimé que Youssef Z. avait pu s'expliquer "de manière circonstanciée" sur ses rencontres avec des personnes considérées comme pro-jhadistes
Le jeune homme, un Marocain né en 1990 et arrivé en France à 13 ans, a été assigné à résidence, trois jours après les attentats de Paris, dans le cadre de l'état d'urgence. Une perquisition a aussi eu lieu à son domicile.
"Elle a été très musclée et je ne comprenais pas pourquoi j'étais assigné à résidence", a indiqué Youssef Z., qui s'exprimait dans le cabinet de son avocat.
Les 3 mois d'assignation à résidence ont été difficiles, je n'ai pas pu travailler car j'ai été contraint de pointer, 4 fois par jour, dans un commissariat loin de mon lieu de travail. Lorsque mon père a été hospitalisé, je n'ai pas pu rester tout le temps à ses côtés car il fallait se rendre au commissariat puis à mon domicile", a poursuivi le jeune homme, qui vend des vêtements sur le marché.
Ces rencontres étaient pour certaines liées à un projet de mariage qui a depuis été abandonné, pour d'autres aux activités professionnelles de l'intéressé, qui a affirmé n'avoir pas eu connaissance des liens de ces fréquentations avec des milieux pro-jihadistes.
La plus haute juridiction administrative souligne aussi que le procès-verbal de la perquisition menée chez cet homme ne "mentionne nullement" les fameux documents faisant référence à l'EI.
Les explications du plaignant ont convaincu le juge des référés du Conseil d’État
Youssef Z. a lui indiqué qu'il avait dans sa chambre un carton contenant des livres fondamentalistes et des dessins mentionnant l'EI, mais assuré que ce carton lui avait été remis en 2013 par un membre de la famille dont il espérait épouser la fille, et qu'il ne l'avait jamais ouvert depuis.
Par ailleurs le ministère de l'Intérieur a, "sans motif", refusé de communiquer une clé USB sur laquelle il assurait avoir copié le contenu de l'ordinateur de Youssef Z., notamment une caricature représentant un jihadiste venu de Syrie pour poignarder la France. Youssef Z. assure ne pas posséder d'ordinateur.
Le Conseil d'Etat a estimé que dans ces conditions, prolonger l'assignation à résidence serait une "atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et de venir". Il a donc suspendu la mesure et condamné l'Etat à verser 2.000 euros à Youssef Z. au titre de ses frais de procédure.
Le 22 janvier, le Conseil d'Etat avait pour la première fois suspendu une assignation à résidence décidée dans le cadre de l'état d'urgence, après avoir démonté les arguments avancés par le ministère de l'Intérieur. Cette affaire concernait un homme de Vitry-sur-Seine.
Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a indiqué mardi que près de 400 assignations à résidence avaient été prononcées depuis les attentats du 13 novembre, dont 290 sont toujours en cours.
41 assignations ont été levées par l'administration elle-même, "lorsque des éléments (lui) ont permis de lever les doutes sur la dangerosité des personnes concernées", a indiqué M. Cazeneuve.
La décision du conseil d'Etat
Sur le fondement de l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, le ministre de l’intérieur a assigné le 16 novembre 2015 une personne à résidence sur le territoire de la commune de Montpellier et a renouvelé cette assignation à résidence le 14 décembre 2015.L’intéressé a contesté cette mesure par la voie du référé-liberté, procédure d’urgence qui permet au juge administratif d’ordonner, dans un délai de quarante-huit heures, toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une administration aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale (article L. 521-2 du code de justice administrative).
Le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier ayant rejeté sa demande, l’intéressé a fait appel devant le juge des référés du Conseil d’État.
Dans l’ordonnance qu’il a rendu le 9 février, le juge des référés du Conseil d’État, après avoir estimé qu’il y avait urgence à ce qu’il statue à très bref délai, expose que, selon le ministre, l’assignation à résidence serait fondée, sur deux sortes d’éléments :
- d’une part, le fait que l’intéressé aurait eu des liens multiples avec des personnes liées au jihadisme, notamment une famille partie en 2013 rejoindre les rangs de Daesh et des membres d’un groupuscule pro-jihadiste montpelliérain ;
- d’autre part, la découverte chez l’intéressé de nombreux livres sur l’Islam d’inspiration fondamentaliste et de dessins relatifs à l’Etat islamique, trouvés dans un cahier et son ordinateur, dont un représentant un terroriste venant de Syrie poignarder la France et qui proviendrait de l’ordinateur de l’intéressé.