Pour l'avant-dernier jour du procès de Sandrine Pissara, jugée pour avoir torturé et affamé sa fille Amandine morte en 2020 à 13 ans, le président de la cour d'assises a tenté une dernière fois de comprendre le processus criminel de la mère de famille. Le magistrat est revenu sur "dix ans de punitions et de violences".
Comment une mère a-t-elle pu tuer à petit feu et avec autant de cruauté sa fille ? C'est ce qu'a tenté de comprendre le président de la cour d'assises dans un ultime interrogatoire de Sandrine Pissara.
La mère de famille est jugée pour actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort de sa fille Amandine, 13 ans, enfermée et affamée dans un placard pendant plusieurs mois. Elle est morte le 6 août 2020 dans la maison familiale de Montblanc, près de Béziers dans l'Hérault. L'adolescente squelettique, le visage tuméfié et couverte de plaies infectées pesait alors 28 kilos pour 1,55 m.
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Face-à-face
Pendant plus d'une heure, dans un ultime face-à-face, avec la mère de famille qu'il fait sortir du box Eric Emmanuelidis, le président de la cour d'assises essaie de comprendre le processus qui a mené à la mort d'Amandine. Fait rare, il fait sortir Sandrine Pissara du box. "Je vous demande d'expliquer avec vos mots, les difficultés, les violences, comment les choses se sont passées. Comment elle s'est retrouvée dénudée, affamée".
Sandrine Pissara reparlant d'elle-même se justifie en évoquant "le traumatisme causé par l'enlèvement par leur père de ses deux premières filles" (parties au Portugal et qu'elle n'a jamais revues) et de la perte de la 3e, décédée de la mort subite du nourrisson.
- En quoi cela entraîne-t-il le fait d'être violent avec ses autres enfants ?, interroge le magistrat.
- Je ne peux pas réellement l'expliquer, j'étais seule avec ma peine, répond l'accusée.
Violente avec tous ses enfants
"Qu'est-ce qui explique les violences avec tous ses enfants (elle en a eu huit en tout de trois pères différents) ? Lui rappelant un enregistrement (un an avant la mort d'Amandine) où elle bat sa fille et la menace "de la crever" pendant de longues minutes le président insiste : "qu'avez-vous dans la tête à ce moment, vous voyez quoi ? Quel adversaire ?" Réponse de l'accusée : "je vois ma fille."
"Pourquoi autant de violences depuis tant d'années sur tous vos enfants ?" "- Je ne sais pas pourquoi j'en suis arrivée là, persiste à dire l'accusée, hormis à cause des traumatismes de l'enfance." Le président insiste alors sur les maltraitances contre Amandine. Qu'est-ce qui va la distinguer des autres ? La ressemblance avec son père.
Même si vous ne l'aimiez pas comment peut-on taper, arracher les cheveux d'un enfant à deux ans et demi, cinq ans, sept ans ?
Eric Emmanuelidis, président de la cour d'assises
"Comment peut-on commettre ces faits-là ?, insiste le magistrat. Sur vos huit enfants, deux sont morts, deux ne veulent plus vous voir et quatre sont parties civiles." Devant l'insistance du président, Sandrine Pissara concède être vue de l'extérieur comme "une mère monstrueuse", ne reconnaissant que quelques gifles et tirages de cheveux, mais pas les supplices et autres humiliations infligés à sa fille.
"Au lieu de vous faire aider vous avez verrouillé les choses", poursuit le président. "J'ai ouvert ma porte aux assistantes sociales", se défend l'accusée. "Ils n'ont pas parlé de peur d'être placés. Tout le monde se couche, même les adultes. Comment voulez-vous que les enfants parlent ?" s'énerve le président.
Le président continue son interrogatoire en demandant de décrire le quotidien de la famille.
"La journée, c'est les devoirs, les repas. Pour tout le monde ?, demande encore le président. "Oui", répond l'accusée. Elle évoque alors les difficultés supposées de sa fille au moment des devoirs. Des difficultés, amplifiées lors du confinement.
Je ne comprends pas qu'une enfant - qui depuis ses trois ans et pendant dix ans prend des coups - pouvait s'opposer à vous.
Eric Emmanuelidis
- C'est la réalité, souffle Sandrine Pissara.
- Elle vous a défié, il fallait la punir ?
- C'est ça.
Puis les questions se font de plus en plus précises. Pourquoi quand elle était punie devait-elle aller dans le débarras plutôt que dans la chambre ? "Car elle se disputait avec sa sœur." "Quels devoirs avait-elle puisqu'elle ne suivait pas les cours en distanciel ? L'accusé reste vague : "de la géo, des maths, via Pronote mais des fois ça ne marchait pas..." élude l'accusée. "Que s'est-il passé entre une punition pour faire ses devoirs jusqu'à ce qu'elle devienne une enfant mourante pesant 28 kilos ?", insiste encore le président.
Je ne sais pas, je n'ai pas vu, j'ai fermé les yeux. Je ne l'ai pas empêchée de manger. Elle mangeait ce qu'elle voulait. Je ne voulais pas qu'elle meure !
Sandrine Pissarra, accusée
Elle crevait de faim madame !
Le président de la cour d'assises
"- Vous alliez la voir dans le débarras ?
- Oui, pour faire des machines, faire tourner le linge.
- Vous avez vu qu'elle dépérissait ? Qu'elle se grattait ? Qu'elle était couverte de plaies infectées (qui ont provoqué une septicémie) et d'escarres car elle était devenue trop faible pour bouger ? C'est à cause de ça qu'elle est morte ! Je veux bien qu'on s'habitue à la voir maigrir, mais on sait qu'elle est en danger !"
Le scénario de l'anorexie
Quelques minutes avant sa mort, Amandine aurait, selon sa mère, demandé à prendre une douche. Impossible selon sa sœur, car l'adolescente trop faible pour s'exprimer, était devenue inaudible. "Est-ce qu'avec une douche et un peu de crème vous n'avez pas mis en place le scénario d'une anorexie mentale ?"
Un scénario battu en brèche par les conclusions de l'autopsie et de l'enquête. Sandrine Pissara et son compagnon ont été interpellés et incarcérés plusieurs mois après le décès d'Amandine. Quelques jours après sa mort, ils étaient partis en vacances en Corse.
Elle risque la perpétuité, lui trente ans de réclusion criminelle. Le verdict est attendu vendredi 24 janvier 2025.